Printemps – Été 2024. Il est temps que la réalité commence*

Nous étions encore des enfants lorsque les images de la première guerre du Golfe ont envahi nos foyers au début des années 90. La technologie de transmission par satellite permettait pour la première fois de diffuser en direct des images à partir de n’importe quel endroit de la planète. De nuit, des images verdâtres montraient une caméra embarquée sur un avion militaire américain. Vu du ciel, nous scrutions un territoire désertique en Irak avec des habitations. La cible de la bombe était entourée d’une carré blanc. Une forme de déréalisation du monde était à l’œuvre. Une image manquée, celle de l’enfant qui habitait là, dans cette maison. L’autre était absent. L‘image devenait un flux qui se mêlait à notre présent et nous rendait impuissant à appréhender la réalité.

En 1940, la philosophe Simone Weil a commencé à écrire une pièce de théâtre Venise Sauvée, le monologue qui suit et celui d’un homme qui va prendre le pouvoir en une nuit à Venise. Il dit :« Oui nous rêvons. Les hommes d’action et d’entreprise sont des rêveurs ; ils préfèrent le rêve à la réalité. Mais, par les armes, ils contraignent les autres à rêver leurs rêves. Le vainqueur vit son rêve, le vaincu vit le rêve d’autrui. Tous les hommes qui auront vécu la nuit prochaine et la journée de demain resteront jusqu’à leur mort sans savoir s’ils rêvent ou veillent. Mais, dès demain, leur cité, leur liberté, leur puissance leur paraîtra encore plus irréelle qu’un rêve. Les armes font le rêve plus fort que la réalité ; c’est cette stupeur qui fait la soumission. Le ciel, le soleil, la mer, les monuments de pierre ne seront plus réels pour eux. Quand aux enfants, ils naîtront déracinés. Mais il faut que le choc soit violent pour leur ôter pour toujours le sentiment du réel. Il est bon que la nuit de notre entreprise soit celle même qui précède la fête, que l’aube qui aurait dû être celle de la fête se lève sur leur ruine. ».

Ces mots résonnent avec la tragédie qui se déroule aujourd’hui à Gaza.
Till Roesken partage avec nous son film Vidéocartographies : Aïda, Palestine avec des versions sous-titrées en français, en anglais, en italien, en espagnol et en allemand. Toutes ces versions sont téléchargeable à cette adresse.
Camilo Restrepo partage le film Marquer la limite.

* Phrase reprise par Harun Farocki et écrite par Günther Anders, « Schinkensemmelfrieden – Rede zum Dritten Forum der Krefelder Friedensinitiative », in Konkret, Hamhourg 11/83. (En français, on peut lire de Günther Anders : « Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse », in L’Obsolescence de l’homme, Paris : L’Encyclopédie des nuisances / Ivréa, 2002.)

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