Intentions et avis sur un projet en cours

Correspondances à propos d'un film de Peter Hoffmann, 2011

« La dernière année », 78’, tourné en 16mm n&b, entre 2006 et 2008

 

 

Lettre à Mónica Vázquez 3. 6. 2007 (traduite de l’espagnol)

Petite note concernant le film que je me propose de faire :
Il s’appellera « La dernière année à Rasiguères » ou « Le centre du monde ».
Ce sera un soliloque exposant les diverses raisons pour lesquelles je clos la longue ère des vendanges : aussi bien les changements extérieurs (introduction de la machine à vendanger et d’autres changements) que des raisons personnelles. Disons qu’il tiendra compte de tous les sentiments contradictoires de la retraite.

La voix off se construira indépendamment des images qui montreront les activités des vendanges et le paysage dans lequel elles se situent, en démarrant dans la ville de Perpignan. Je filmerai, tout en participant aux vendanges, et j’enregistrerai les sons à part. Observation, sollicitude et proximité dans les images, recul et digression dans le commentaire.
L’ensemble filmé en n&b car je vois tout comme du passé.

Mail de Michel David 21. 01. 2008

Peter,
J’ai regardé tes rushes.
Je suis très impressionné; tu as raison; il faut faire – et tu en fais – du cinéma.
Je les regarde et me montent à la gorge des impressions enfouies : le grand cinéma soviétique (et ce n’est pas que le noir et blanc ou la texture de l’image) – Dovjenko – ou de grands textes, Hésiode „Les travaux et les jours“ (lointain souvenir de mes études de grec). Du cinéma classique, avec des plans tous fort de sens sur les gestes des hommes, sur la sensualité d’un bain ou d’une danse, sur les objets ou les êtres (oiseaux sur les fils, manger une boîte de sardine, tracteur renversé, etc…). Amour et très vive attention aux gestes quotidiens, aux personnes et aux choses mises sur le même plan. Fort de sens, mais surtout de beauté parce que juste dans le cadre et dans ce qui s’en dégage.
A très bientôt. Amicalement.
Michel David

Mail de Jean-Pierre Rehm à Michel David 17. 02. 2009

Michel David,
Merci pour l’envoi si prompt du film de Peter, et de votre mot pour l’accompagner.
Je l’ai donc aussitôt vu hier, et je me permets de vous donner mon sentiment à chaud. Il me semble en effet y avoir des problèmes de montage, mais pas aux jointures que vous désignez. Si je puis me risquer, avec toute l’injustice et l’imprudence à le faire, j’ai le sentiment que s’articulent deux types d’image. La première, de manière, pour dire vite, Frankienne (Robert Frank), qui fait confiance à l’autonomie des plans. Leur cadrage, leur grain, leur mise en gloire du noir et blanc et mise en gloire des objets, personnages, animaux, gestes, etc. qui y sont saisis : leur beauté en un mot. La seconde, qui s’appuie davantage sur un contexte, une description ‘narrative’, où les images ont plus besoin du son (même désynchro, ce qui, dit en passant, est évidemment très beau tout au long du film) : en tous cas sont plus liés à une continuité.
Cette forme de balance (ou d’autres) n’est pas a priori un souci, si ce n’était que dans ce cas elle crée un déséquilibre en défaveur des plans de ‘contexte’, et qui a comme conséquence pour finir d’égarer l’attention. En un mot : est-ce ce que les gens font qui importe – ou le regard porté sur eux (à eux dédié) ? « Oliva Oliva » jouait de cet équilibre parce que s’échangeaient le ratage du film et celui de l’entreprise filmée, ratage troqué qui avait trouvé sa zone de passage dans le journal, dans le rythme des pages. Ici, la frontière passe sans cesse entre les plans – et s’impose, renvoyant acteurs et regard à leur solitude – et nous, à la nôtre, sans recours.

Je n’ai certes pas de conseil à donner, mais je me demande s’il ne serait pas utile de ‘durcir’ ou ‘refroidir’ (ou ‘réchauffer’, c’est comme on voudra) le montage. Et faire descendre la durée. « Oliva Oliva » faisait 68, on est ici à environ 90. Peut-être faire moins long et plus saisissant en privilégiant le regard – ou en inventant un système rythmique qui découpe les diverses approches ?
Par ailleurs, je pense aussi que le dernier commentaire off (plus le train) est un peu appuyé. Est-il utile de dire aussi explicitement (naïvement) ce que tout le film véhicule : nostalgie, fin et reprise, etc. ?

Pardon encore de ces remarques, dont je ne voudrais pas que l’apparente brutalité puisse gommer tout mon intérêt très certain.
Dans l’attente de votre retour,
Bien à vous,
Jean-Pierre Rehm

Mail de Stefanie Bodien 1. 3. 2010 (traduit de l’allemand)

cher Peter,
j’ai enfin regardé « la dernière  année »  !
la première demi-heure (jusqu’à environ 27 min.) est magnifique, un film en soi, après il m’a paru décousu, long, ça manquait de « dramaturgie ». on ne comprend pas grand chose au niveau du son qui devient murmure de fond sans intérêt. mais : les images sont magnifiques, les contrastes, le grain, ta manière de filmer. il s’agit donc « uniquement » d’un problème de montage (plus le son). et : la voix-off ! un élément si important pour la structuration. elle me manque souvent (quand tu parles et ce que tu dis est toujours intéressant). l’avant-dernier monologue, environ
5 min. avant la fin, sur « la dernière fois » et tes projets de vie, est crucial. pour le spectateur ce serait évidemment plus satisfaisant s’il se trouvait au début du film. on verrait alors le film dans une autre perspective et on y découvrirait plus de sens, je pense.
(…)
à bientôt,
stefanie

Mail de Michel David 19. 07. 2010

Peter, bonjour,
J’ai regardé avec retard la version juin de « la dernière année ».
Tu as beaucoup changé le montage. On voit mieux les corps, les gestes, la beauté des visages, des moments au « détriment » d’une architecture alternance Travaux dans la vigne/ autres moments. Et je trouve bien d’avoir cassé ce rythme qui était peut-être trop répétitif et ne permettait pas au film d’avancer.
Les à côtés de vendanges me paraissent du coup être plus importantes dans cette version ( même si ce n’est pas forcément plus long) et accuser le côté d’un monde qui disparaît un peu désespéré.
J’ai aussi eu l’impression que c’était le « montage son » ( c’est à dire les échanges, dialogues, etc…) qui avait guidé le montage
( beaucoup plus que dans la version antérieure).
Quelques réserves toutefois : Ta voix off du début et fin est juste, même dans son hésitation; je regrette pourtant un peu la voix off fin que j’avais entendu. Mais les infos sur les amis ( avant la gare) fonctionnent bien.
Le tracteur renversé est un peu trop symbolique très à la fin du film avant le départ. Voilà quelques impressions. Mais parlons-en.
Amicalement.

Mail de Cristóbal Vicente 22. 08. 2010 (traduit de l’espagnol)

Ami Peter, je viens de regarder ton film,
Mes félicitations, il me paraît très divertissant, le plaisir de voir du cinéma !
Sans le comprendre complètement, j’ai joui attentivement des liens que tu fais, et tout ce monde que tu construis avec une image simple et quelques sons, la beauté de l’austérité ! Même au cinéma elle est possible ! Vraiment, ça me rend heureux de le voir, et de voir ce que tu parviens à faire est très inspirant ! Et si les festivals ne le veulent pas, tant pis pour eux, celui-ci va dans un autre sens, le film est comme un personnage de plus qui se roulera sa cigarette et se mettra à couper du raisin !
Et le reste à la merde !
Je t’embrasse, et vraiment, il me remplit d ‘enthousiasme.
(…)
Cristóbal.

Mail de Stefanie Bodien 11. 10. 2010 (traduit de l’allemand )

salut !

merci pour ton mail, je ne t’ai pas encore écrit, par négligence, mais aussi, parce que je savais que tu es à rasiguères et que tu n’as pas accès à internet (?).
oui, ton film est arrivée ! dans notre boîte à lettre et dans nos cœurs. nous l’avons regardé il y a deux ou trois semaines, ingo et moi, ingo a déjà préparé et presque terminé un mail pour toi où il écrit à propos de ton film.
moi aussi j’ai apprécié le film ! et maintenant je regrette ne pas avoir noté mes impressions juste après le visionnage, car maintenant, bien sûr, je ne me rappelle plus exactement des détails… je me rappelles encore que je ne trouvais pas tout à fait évidente ta voix off, elle parle à des niveaux très différents (l’histoire de l’argent par exemple est très différente de quand tu parles des vies des gens à la fin). mais en fait, la voix n’apparaît que rarement, le plus souvent ce ne sont « que » les images et les sons originaux dont le montage me paraît très réussi.
si, j’étais dans le film, de nouveau j’ai trouvé la pellicule noir et blanc magnifique, l’ambiance entre les gens et toute l’atmosphère là-bas sont très singulières et me touchent d’une façon particulière. le film et ce monde-là forment un monde à part, duquel on garde un « souvenir cohérent » (si on peut dire). par moments, je me rappelles, ma pensée a vagabondé (disons qu’il y avait des « longueurs »), mais je me le suis permis puisque tu le permets aussi (je crois).
(…)
stefanie

Mail d’Ingo Baltes 13. 10. 2010

bonjour peter !
voilà déjà un petit moment que nous avons vu ton film, stef et moi, mais que nous n’avons pas pipé mot. moi aujourd’hui, je veux faire un timide début, peut-être que stef suivra bientôt, par mail, téléphone ou vive voix.
je ne sais pas si tu as encore l’intention de travailler sur ton film. en tout cas, moi, je le considère aujourd’hui comme s’il était terminé – je n’aime de toute façon pas les spectateurs qui se mettent tous dans une peau de réalisateur et proposent de changer ceci, cela.
là-dessus, je me contredis tout de suite, parce qu’il y a une chose qui ne va pas, selon moi. l’épisode de hanovre dans la voix off, non ! moi, je connais l’hélicoptère, je l’ai photographié, il a volé au-dessus de ma tête quand j’étais dans ton appartement. mais demander au spectateur de dissocier le « bruit du film »  du bruit ambiant lors de la prise de son de la voix off, ça me semble un peu trop demandé. somme toute, tu donnes des explications pour une cause qui est difficile à trouver. quel casse-tête ! en plus, je ne l’ai même pas entendu ! mais c’est peut-être à cause de stef qui se goinfrait de bonbons de réglisse à ce moment-là… (dire que ce sont des gens comme cela, qui sont susceptibles de regarder des films pour des festivals, ça ne donne pas trop d’espoir, entre parenthèses)…
à part cela, j’ai beaucoup aimé cette voix off, car elle donne le ton, et le ton de ton film, il est amer. très amer. en tout cas, ça m’a fait réfléchir : amer > vin > les vies des autres cueilleurs > toi filmeur de vies.

l’amer donne le ton pour tout, c’est la « couleur » du film. l’amer, c’est le bruit du renault trafic, la musique de pergolesi, les chansons à la guitare.
personne n’est là par hasard. et puis, vous ne cueillez pas des pralines au chocolat non plus.
autre chose : aussi fragiles que sont les gens que tu filmes, tu n’aides personne. ça vaut pour toi aussi. tu n’embellis rien (au contraire, tu évoques un hélicoptère à hanovre !). personne n’apparaît sous une meilleure lumière dans ton film. c’est assez rare, et inattendu dans ce contexte, vu qu’on pourrait dire que tu filmes « tes amis » et que tu as un propos à défendre. mais tu ne marches pas de manière dialectique comme plein d’autres films, et cela me semble terriblement juste. mais si sarkozy tombe là-dessus, il interdira la cueillette manuelle l’année prochaine. et son amie carla ne chantera pas de chanson sur la vie du cueilleur non plus.
on vit avec, on passe du temps dans les vignes, on suit un peu les histoires, mais pas trop, on suit surtout l’effort du travail et de la vie. car la vie est au moins aussi dure que la cueillette. on est tenté de dire cyniquement : « c’est une vraie passion. »
et puis, j’ai pensé tout le temps : si la caméra tourne, c’est que le mec qui filme a pris un peu d’avance et profite de son capital de temps pour le dépenser en filmant. mais si cela tourne, c’est aussi que les autres l’acceptent et ne disent pas : peter, termine d’abord ton panier et arrête de faire le con.
l’analogie de cueillir des vignes et cueillir des plans, c’est très clair. j’ai aussi pensé à d’autres histoires et me suis demandé : si jamais peter n’a pas fait son travail comme les autres, les autres, n’ont-ils pas été jaloux ? n’ont-ils pas râlé qu’il puisse gagner la même chose qu’eux en fin de journée ? ça encore, c’est une pensée amère. mais ce n’est pas dans le film.
en tout cas, j’ai vu rasiguères il y a 6 semaines maintenant, et depuis, il me semble que je l’ai revu, car beaucoup de choses sont très présentes, ou refont surface, sans qu’on ait besoin de les revoir. elles reviennent toutes seules. donc merci !
j’espère qu’un jour dans un avenir pas trop lointain, tu passeras par ici et tu pourras m’expliquer la fin et le titre du film. heureusement, la « dernière année » est resté fiction, car tu es retourné encore cette année. avec ou sans caméra ?
bonne bise du nord,
ingo

Mail de Jean-Christophe Soulageon 24. 11. 2010

Salut Peter,
En deux mots j’ai pris encore un grand plaisir à retrouver ta voix me narrer le quotidien des vendangeurs, de ceux-ci en particulier, aux gueules incroyables, ces hippies paumés des temps modernes, qui changent de banques quand ils sont à découvert et se baladent avec leur chien, se baignent à moitié à poil dans les cours d’eau et boivent des 6/8 de bière bien forte…
Toutefois, par rapport à « Oliva Oliva », me manque un peu la sous-intrigue qui donnait du rythme au récit (le terrain qui sous prétexte de la construction du barrage, doit être vendu, et le soupçon d’une arnaque, quand on va avec toi à la banque)… Disons que le film fonctionne plus comme une chronique qui s’assume, mais au final me surprend moins ; il y a beaucoup de personnages, et on ne s’attache finalement pas vraiment à l’un plus qu’à l’autre, ce qui donne cet aspect très brut, très photographique, que seul ton regard/voix nous permet de suivre. Heureusement c’est suffisant, même si c’est un petit regret…
(…)
Bonne chance à ce nouvel opus, qui trace ton sillon unique dans la veine d’un Rouch/Morder, qui observe les autres de façon entomologique autant qu’introspective, j’espère que ce travail aura la reconnaissance qu’il mérite (c’est à dire la plus grande !).
Bien à toi,
J-Christophe

 

 

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