Lecture du mythe d’Eros et Psyché – Notes sur le Désir primordial

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Texte de Bruno Le Gouguec, 2015

 [1]

La note ci-dessous (cf après le résumé), qui s’achève sur une brève évocation de l’expérience cinématographique de Jean-Claude Rousseau interroge un épisode clé de l’histoire mythique d’Eros et Psyché telle qu’on peut la lire dans les Métamorphoses d’Apulée. [2]Cet épisode relate la découverte émerveillée du Désir Primordial, le dieu Eros, et sa disparition simultanée à cause d’une faute de Psyché. Cette faute d’une mortelle éprise de l’Amour divin qui marque le début de ses malheurs est de s’être laissée envahir par les suggestions mauvaises de ses sœurs jalouses qui représentent des instances de l’âme adverses au Désir primordial. Les sœurs imaginent en effet le mari invisible de Psyché au lieu de jouir simplement de sa présence et de ses biens. Or le Désir primordial, selon le mythe, l’amour qui aime divinement dans l’âme, exige une transformation, notamment de l’imaginaire de Psyché (en notre psyché), pour être vu, pour être pleinement reconnu.
C’est pourquoi tant que Psyché est indigne de « voir » Eros, le dieu reste invisible à ses yeux bien qu’elle en perçoive sans cesse la présence. Psyché par manque de confiance dans l’Amour qui aime en premier (d’où l’enlèvement sur le rocher), trahira l’Amour, bernée par sa vaine curiosité nourrie par un imaginaire grossier qui la rend inapte à aimer.
Psyché sera incapable de supporter la vision de l’Amour en effet sans le blesser, en se blessant d’ailleurs la première. La disparition du Désir, l’envol du dieu, qui sera cause de ses tourments – épreuve qui s’apparente à la dépression, à la mélancolie profonde – la conduira à errer sur la terre, hantée par le souvenir de la beauté de l’Amour et par la tentation du suicide.
Les quatre épreuves que lui imposera Aphrodite déesse de la Beauté, mère d’Eros, visent en réalité la correction de ce penchant mortifère lié à sa condition mortelle pour être rendue capable de l’Amour immortel auquel elle aspire. Psyché à la fin de l’histoire sera en effet élevée « au Ciel » pour devenir « légitimement » l’épouse du dieu, autrement dit, Psyché, selon le mythe, notre psyché est capable de l’Amour divin, à condition d’accepter de vivre une métamorphose.

Pour situer plus précisément l’épisode dans l’intrigue, on peut lire le résumé du conte d’Apulée, ci-dessous.

EROS ET PSYCHE : ARGUMENT

Un roi et une reine avaient trois filles chacune d’une beauté remarquable. La cadette toutefois, Psyché, d’une beauté encore supérieure à celle de ses sœurs est considérée dans « le monde entier » comme une nouvelle Aphrodite, au point d’être devenue l’objet d’un culte [3]. Aphrodite déesse de la Beauté et de l’Amour en conçoit une jalousie féroce. Elle décide de se venger en suggérant à son fils Eros de faire en sorte que Psyché s’éprenne d’un amour ardent pour le dernier des hommes, « un homme si bas que par le monde entier il ne puisse trouver son égal en misère ».

Psyché, malgré sa beauté, mais aussi en raison du culte indu dont elle est l’objet, ne tire pourtant aucun parti de sa situation. Elle ne trouve pas de mari et se morfond dans la solitude. Elle en vient à haïr cette beauté qui finalement l’accable et la maintient captive. Le père de Psyché, inquiet du sort de sa fille décide de consulter l’oracle d’Apollon qui lui dévoile que celle-ci épousera un être à la réputation monstrueuse. Psyché soupçonnant quelques colères célestes, mais soucieuse d’obéir aux dieux, se soumet au décret divin et selon l’oracle d’Apollon est exposée sur un rocher où elle est abandonnée de tous à son destin.

Un vent léger (Zéphir) l’emporte alors vers une vallée située au dessous. Elle y découvre des lieux enchanteurs, un palais ou elle fait la connaissance d’un mari invisible qui la rejoint chaque nuit mais qui s’évanouit d’entre ses bras dès que vient le jour. Celui-ci l’enjoint dans la nuit de ne jamais chercher à voir son visage, « car tu ne le verras plus si tu le vois ».

Les sœurs inquiètes du sort de Psyché cherchent à la retrouver. Psyché perçoit leurs plaintes. Le mari invisible mais prévenant met en garde Psyché contre des retrouvailles qui pourraient nuire à leur union d’autant plus qu’elle a conçu en son sein le fruit de leurs amours. Psyché malgré les conseils de son mari succombe à la tentation de revoir ses sœurs. Parvenues auprès du rocher où Psyché a été enlevée, les sœurs se lamentent. Psyché commande alors au vent Zéphir de les transporter jusqu’au palais où elle peut leur témoigner son affection et les assurer de son bonheur. Les sœurs émerveillées cherchent à savoir qui est l’hôte mystérieux de ces lieux. Psyché est obligée de mentir. Les sœurs jalouses décident de revenir une seconde fois pour l’interroger. Psyché ment de nouveau et dresse dans sa naïveté un portrait différent de son mari. Ses sœurs lui font remarquer son mensonge et Psyché avoue qu’elle ignore en réalité l’aspect de cet étrange mari. Ces sœurs soupçonnant alors « quelque bête féroce qui l’engraisse, elle et son enfant, en vue de les dévorer bientôt », lui conseillent de chercher à le voir et de le tuer si nécessaire.

Psyché égarée par les mauvais conseils de ses sœurs décide d’en avoir le cœur net. Un soir, munie d’une lampe et d’un rasoir, elle éclaire le lit et découvre l’être le plus désirable qui soit, Eros en personne, le grand dieu qu’elle reconnait, entre autre, grâce aux armes posées au pied du lit. Se saisissant d’une flèche du dieu, pour en éprouver la pointe, elle se blesse le doigt jusqu’au sang. Elle tombe alors « dans l’amour de l’amour, et brulant de plus en plus de désir pour le Désir, elle se penche vers le dieu toute béante d’avidité […] et voici que la lampe vomit du haut de sa lumière une goutte d’huile bouillante sur son épaule droite. » Le dieu du Désir trahi s’envole, non sans avoir révélé à Psyché qu’il s’est épris d’elle en se perçant lui-même de ses traits pour la préserver de la vengeance de sa mère Aphrodite qui la vouait à l’homme le plus vil de la terre. Eros disparu, Psyché cherche à se tuer. Commence une longue période d’errance. Elle quitte le palais du dieu et se venge d’abord de ses sœurs, mauvaises conseillères, en leur promettant, par ruse, un mariage avec Eros qui l’a chassée en lui confiant qu’il épouserait volontiers l’une d’elles. Les sœurs envieuses tombent dans le piège et se rendent chacune auprès du rocher où elles invoquent Zéphir, le souffle divin. Elles se jettent alors, au passage du premier souffle venu, dans le vide et s’écrasent sur des rochers, Zéphir n’étant pas au rendez-vous.

Aphrodite avertie de la désobéissance de son fils enferme celui-ci dans une chambre de son domaine et cherche à retrouver Psyché pour la punir. Celle-ci de son côté s’exerce, en vain, à se concilier la bienveillance des dieux. Mais la déesse a déjà convoqué Hermès et lui confie la mission de proclamer que « tout mortel qui retrouverait Psyché aurait droit à sept baisers dont un tout miel ». Psyché traquée par les mortels, ne sachant où aller, lassée de son errance, décide de se plier à la volonté d’Aphrodite espérant adoucir sa fureur. A proximité de sa demeure l’une des servantes nommée « Habitude » la reconnait, se saisit d’elle et la traine par les cheveux. Sitôt introduite dans la demeure d’Aphrodite elle est livrée à deux autres servantes de la déesse « Tristesse et Inquiétude » qui la tourmentent.

Aphrodite impose ensuite à Psyché quatre épreuves qui la laisseront chaque fois plus brisée malgré une aide providentielle divine, dont on soupçonne qu’elle est celle d’Eros qui agit à distance, depuis sa prison, à travers les éléments du monde. Malgré cela, désespérée, Psyché ne cherche qu’à mourir. La dernière épreuve, redoutable, qui en réalité comporte un piège subtil consiste à se rendre aux enfers pour se procurer un peu de beauté divine pour les soins d’Aphrodite. Psyché ne sachant comment faire envisage de se jeter du haut d’une tour, sure de parvenir par ce moyen au séjour des morts, mais la tour se met à parler soudainement la suppliant de renoncer à son projet. Elle lui prodigue des conseils pour accomplir sa mission sans mourir. Psyché obéit scrupuleusement et ressort victorieuse munie du précieux coffret que lui a donné Perséphone. Elle succombe toutefois à la tentation de se parer d’un peu de beauté divine comme s’il s’agissait d’un fard, en pleine lumière, croyant plaire ainsi à son bel amant qu’elle espère revoir. Or c’est ici qu’est le piège. Jamais la beauté divine ne saurait être saisie en dehors d’une relation à la divinité, et à l’intérieur du coffret, elle ne trouve rien d’autre qu’un sommeil mortel à l’image de son vain désir qui l’envahit progressivement et la laisse bientôt comme une morte sur le chemin.

Eros rétabli de sa blessure et désireux de revoir sa bien-aimée s’échappe de la prison maternelle et part à la recherche de Psyché. Il la trouve inanimée sur le chemin. Pris de compassion, il éponge le sommeil mortel et la réveille en la piquant d’une de ses flèches, l’enjoint, malgré sa faute, d’accomplir sans tarder sa mission auprès de sa mère Aphrodite en lui apportant le coffret, et s’envole aussitôt chez Zeus pour plaider la cause de leur union. Zeus qui aime beaucoup Eros, malgré ses turpitudes, consent à lui donner Psyché, une mortelle, en mariage et convoque une assemblée des dieux pour célébrer les noces. Hermès enlève Psyché dans l’Olympe. Zeus tend la coupe d’ambroisie à Psyché pour lui conférer l’immortalité. La colère d’Aphrodite s’apaise, Psyché ayant été rendue digne de son fils Eros. Les noces sont célébrées dans l’harmonie. L’union d’Eros et Psyché donne, au Ciel, naissance à une fille nommée « Volupté ».

Notes : octobre 2013Une nuit, tandis qu’Eros est tombé dans un profond sommeil, Psyché sort une lampe qu’elle cachait dans un coffre, et se saisissant d’un rasoir, elle s’apprête à supprimer l’époux divin s’il est ce monstre que ces sœurs jalouses lui ont décrit, mais :

« Lorsque les secrets du lit se furent éclairés par l’offrande de la lumière, elle voit de tous les animaux sauvages, la bête la plus tendre, la plus douce, Cupidon (Eros) en personne, le dieu si beau dans son beau sommeil […]. Sans pouvoir rassasier sa curiosité, Psyché examine, manie et admire les armes de son mari ; elle tire une flèche du carquois et pour en essayer la pointe elle se pique et se blesse le doigt jusqu’au sang, […] c’est ainsi que sans le savoir Psyché, spontanément, est tombée dans l’amour de l’Amour. Alors brulant de plus en plus de désir pour le Désir, elle se pencha sur lui toute béante d’avidité […] et voici que la lampe vomit du haut de sa lumière une goutte d’huile bouillante sur l’épaule droite du dieu. […]Ainsi brulé, le dieu bondit, et quand il vit la souillure faite à sa confiance trahie, il s’arracha aux baisers et aux mains de sa très malheureuse épouse et sans rien dire, il s’envola. »

Psyché essaiera de le suivre à travers le ciel, pitoyablement accrochée à sa jambe droite,« elle l’accompagne jusqu’à l’extrême limite de ses forces et enfin épuisée, elle se laisse glisser sur le sol ». Eros disparu, Psyché est anéantie. Toute beauté a disparu. Elle cherche aussitôt à se tuer en se précipitant du haut d’un rocher mais en vain puisque les éléments eux-mêmes, par respect pour le dieu, et par crainte aussi pour eux-mêmes, se charge de lui conserver la vie.

Cette expérience de l’envol du désir, de la chute, et de l’errance de Psyché sur la terre qui s’en suivra est effrayante. Mais vouloir saisir l’Amour qui aime divinement en l’homme, en mobilisant seulement un peu de curiosité nourrie par un imaginaire grossier, revient à blesser l’Amour qui fuit l’absence de confiance et la bêtise. La vaine curiosité de Psyché désire la lumière alors que la connaissance du dieu réclame la longue patience de la connaissance de Nuit. La vaine curiosité de Psyché, mal conseillée par ses sœurs jalouses (qui désirent d’un désir mimétique les biens divins de leur sœur, sans jamais aimer selon le trésor qu’elles sont à elles-mêmes) veut dévoiler les secrets de l’union avec Eros par la lumière et Psyché ne connaitra légitimement son désir que lorsqu’elle sera capable d’aimer en vérité. L’époux de Psyché est ainsi cet étrange mari fuyant la lumière, parce qu’il veut préserver sa bien-aimée d’une vaine curiosité qui pourrait la détruire. Il la préserve ainsi dans la Nuit.

Pour Psyché, qui est une représentation d’une instance de l’âme, la véritable connaissance de la valeur du corps humain passera par le dépassement de la tentation du suicide qui la tourmente sans cesse depuis l’envol du dieu. Elle devra se laisser instruire par Eros, quand bien même le Désir est absent à ses sens au cours de ses épreuves, en reconnaissant que la vie sensible est obsessionnelle et sans issue tant qu’elle est vécue comme une fin en soi. Si Psyché devient momentanément l’esclave des passions négatives figurées par les servantes d’Aphrodite, Habitude, Tristesse et Inquiétude, c’est parce qu’elle fait de la vie sensible sa seule raison de vivre. Or Volupté, la volupté qui a été conçue dans son sein lors de son union avec Eros, dans la nuit, naîtra dans les Cieux, légitimée par les dieux. Psyché se méprend sur la volupté, parce qu’elle ignore la finalité de son désir qui en réalité est d’origine divine. C’est-à-dire qu’elle se méprend sur sa corporéité même. Et c’est par une expérience négative de la vie sensible, causée par la perte du sentiment de l’amour que Psyché sera délivrée d’une conception grossière et obsessionnelle (uniquement sensible) de sa propre corporéité et de ce qu’elle croit être l’amour et la beauté, en éveillant d’autres puissances nécessaires à la réalisation de sa propre essence. Psyché doit s’éveiller à la vie intelligible, à la vie spirituelle en son corps tout comme elle s’est éveillée à la vie sensible en son corps parce que c’est en sa corporéité même qu’elle est appelée à être divinisée pour être rendue capable de l’Amour. Elle doit renoncer à faire de la vie sensible la seule fin de l’existence.

Eros est un dieu, fils d’Aphrodite (et d’Arès selon la mythologie) dans le récit d’Apulée. Mais c’est aussi dans la théogonie d’Hésiode une divinité primordiale qui précède celle qui le rend présent. C’est-à-dire qu’Eros est considéré tantôt comme le fils tantôt comme un principe de la déesse. Psyché quant à elle est dite au début du récit belle au point d’être devenue l’objet d’un culte (indu) semblable à celui qu’on rend à Aphrodite. Si Eros s’éprend de Psyché, bien qu’elle soit mortelle, c’est parce qu’il voit en elle, en notre psyché, le reflet de celle qui le rend présent au monde des mortels, sa mère Aphrodite, qui n’est rien d’autre qu’une personnification signifiant dans l’univers la transcendance de la beauté divine, éclat de l’amour divin ; c’est-à-dire que l’amour même se reconnait à travers la beauté transcendante de l’Univers en Psyché. Si Psyché perçoit le désir divin c’est parce qu’elle s’oriente spontanément vers la beauté. L’Orient de Psyché, ce vers quoi elle se tourne naturellement pour se repérer, si l’on peut dire, est la beauté de l’amour. Toutefois, si Psyché reflète la beauté divine elle n’est pas Aphrodite. Psyché reflète l’éclat de l’amour divin manifesté dans l’Univers, mais Psyché notre psyché dans les affaires amoureuses ne possède en réalité ni l’amour, ni la beauté, et Psyché devra pour apaiser la colère d’Aphrodite, renoncer à s’approprier illégitimement ce qui est le fait d’une relation à la divinité. C’est-à-dire qu’elle doit apprendre à aimer réellement (être unie réellement et durablement à Eros, c’est à dire en être digne) pour être légitimée dans le monde des dieux et non plus se contenter d’être un reflet de la beauté de l’amour. Les mortels en effet, selon le mythe – en cette instance particulière en eux-mêmes nommée psyché – ont accès, comme on voit une image dans un miroir, au monde des dieux. Mais ce reflet sans substance reste mortel tant que les hommes se méprennent sur sa source réelle. Et le danger sera pour les hommes de se complaire sans fin dans l’image pour passer le temps, et de s’y noyer sans jamais vouloir se laisser transformer par celui qui en est l’origine.

C’est pourquoi tant que Psyché est indigne de l’Amour, elle sera maltraitée par la belle-mère divine. Aphrodite est la seule en effet qui puisse juger des progrès d’une mortelle en amour car elle seule connait l’origine de la beauté insaisissable mais qui saisit et qui est celle de son principe manifesté partout dans l’univers, le divin désir. C’est la raison pour laquelle les hommes qui ont affaire réellement au mystère de la beauté seront durablement éprouvés en leur psyché à cause de l’Amour même, en raison de leur amour propre. Les passions négatives qui s’emparent de Psyché dans la demeure d’Aphrodite – dans la demeure de la Beauté – sont le signe d’un amour ignorant, aveugle, mais qui aspire déjà à la joie et à la quiétude sans cesse renouvelées propre à l’amour divin.

La seule visée d’Eros, le dieu du Désir primordial selon le récit d’Apulée (mais on pourrait aussi bien dire ici Dieu tout simplement où plus exactement le Christ (tel qu’il est confessé dans le christianisme, vrai homme et vrai Dieu) est en effet de conformer corps et âme, Psyché, à ce dont elle est l’image. Psyché, qui est traditionnellement assimilée (pour faire court) à une personnification de l’âme, reflète la beauté divine parce qu’elle est faite pour l’amour divin. Eros, dans la version d’Apulée, le dieu du Désir primordial, est celui par qui la vocation de Psyché commence à se réaliser.

Les quatre épreuves qui seront infligées à Psyché par Aphrodite pour qu’elle s’éveille à la vie spirituelle, sous l’influence invisible d’Eros, seront ainsi autant d’étapes vers l’accomplissement de sa propre essence qui est inséparable de l’accomplissement de sa corporéité réelle laquelle est un mystère. Qui sait ce qu’est la nature corps et âme de l’homme ? A-t-on déjà vu une psyché sans un corps ? Le corps de l’homme est-il seulement animal, comme d’aucuns le prétendent ? L’accomplissement de la nature de l’homme selon le mythe suppose une totale transformation du désir propre, jusqu’à ce que Psyché soit capable d’épouser sa propre cause, le dieu des désirs, pour être élevé, par le Désir renouvelé, corps et âme, jusque dans la divinité. Elle devra, entre autre, renoncer totalement à cette illusion de croire qu’en se séparant de son corps, en se jetant du haut d’une tour par ex., pour rejoindre les enfers où Aphrodite l’envoie chercher un peu de beauté divine, elle pourra trouver ce qu’elle cherche. Si séparer la beauté du désir primordial revient à mourir [4], mourir en séparant une fois pour toute l’âme du corps pour saisir la beauté maintiendra, selon le mythe, Psyché captive des enfers. Et « la Tour » quand Psyché s’apprête à se jeter dans le vide, providentiellement éclatera en paroles soudaines sous l’influence d’Eros : « Pourquoi pauvre petite, cherches-tu à te faire disparaitre en te précipitant dans le vide […] En effet si ton âme, une fois pour toutes, est séparée de ton corps, tu iras assurément au fond du Tartare, mais tu ne pourras en revenir par aucun moyen. Ecoute-moi ! »

Psyché doit consentir librement à ce que la Beauté qu’elle croyait son bien propre est le fait d’une relation à la divinité en sa corporéité même. Ne plus être effleuré par le désir de s’emparer de la Beauté est le signe d’une guérison profonde de la volonté et le début d’une transformation réelle du désir par un éveil réel à la vie spirituelle. Ce renoncement à l’amour propre pour être uni à l’Amour même, met en lumière ce lieu du choix qui permet de gouverner sa propre existence accordée au Désir divin. Toutefois il faut souligner que c’est seulement par grâce que Psyché sera totalement unie corps et âme au désir primordial divin, en raison de sa faiblesse, par la volonté de Zeus.

L’étrangeté du cinéma si déroutant d’un Jean-Claude Rousseau par exemple, qui n’est pas sans évoquer la nature des relations mythiques entre Eros et Psyché (reconnaissance de la transcendance de la beauté qui saisit mais qui ne peut être saisie, abandon au désir qui est dans la Nuit, acceptation du jeu providentiel qui échappe mais qui oriente, etc.) tient dans le fait qu’il montre simultanément la vanité des désirs, quand ceux-là ne sont que des désirs d’emprunt, l’inquiétude de l’âme qui s’épuise à tourner en rond dans ce qui ressemble à un manège obsédant, le presque rien de l’existence en laquelle tout se joue néanmoins, tout en suggérant ce lieu invisible du désir primordial en y étant très lentement assimilé dans la Nuit dans une apparente absence à soi. Le paradoxe, c’est que l’épreuve de la purification du désir pour anéantissante qu’elle soit laisse une trace néanmoins savoureuse par la composition cinématographique (qui n’est jamais prévue chez Rousseau), quand bien même l’impression de n’avoir rien vu, ni rien compris demeure.

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Contact : legouguec.bruno(arobase)neuf.fr

Notes

[1] Psyché découvre Eros : peinture de Benedetto Lutti – 1720

[2] Le conte de Cupidon (Eros) et Psyché (ou Amour et Ame) commence au Livre IV (Chap. XXVIII) et se termine au Livre VI (chap. XXIV) des Métamorphoses ou l’Ane d’or, d’Apulée. La présente lecture du mythe s’inspire de l’interprétation qu’en donne Jean-François Froger dans La voie du désir selon le mythe Eros et Psyché (avec une trad. du texte d’Apulée par Bernard Verten), Editions DésIris, 1997.

[3] Par commodité, mais aussi par souci de cohérence, les noms des dieux de la mythologie romaine tels qu’on peut les lire dans le récit d’Apulée ont eté systématiquement remplacés par leur équivalent grec, pour résonner avec les noms des « héros » Eros et Psyché bien plus connus que Cupidon et âme.

[4] Cf le texte Nyx, la Nuit : Rousseau : Bruno Le Gouguec, 2013, Dérives TV

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