Croyons à l’aube de la saison froide*

Journal de bord de David Yon, 2024

Vercors
Décembre 2024

Mes deux frères sont devenus paysans. Ils trouvent une assise politique dans ce travail où ils se réapproprient des moyens de production. Dans le Vercors, l‘un de mes frères élève des brebis. Je prépare mon prochain film en passant du temps avec lui et son troupeau. Au rythme des saisons, j’observe ses gestes et le cycle de vie des animaux et des végétaux. Ces observations nourrissent l’écriture d’un récit qui se déroulera dans ce territoire. 

Le cinéma se passe ailleurs
Novembre 2024

Le cinéma peut et doit se penser pour d’autres espaces que la salle de cinéma.
Si aujourd’hui les cinéastes restent focalisés sur la diffusion de leurs films dans des salles de cinéma, ils et elles éludent une dimension importante de l’image qui est celle de la nécessité de la rencontre. Etre spectateur d’un film est une relation intime où nous sommes traversés par les images et les sons et ce partage peut avoir lieu ailleurs que dans la salle de cinéma qui est le lieu de l’industrie. A nous d’inventer d’autres modalités de partage du cinéma.

J’ai 45 ans, mes trois premiers films ont été tournés à Djelfa, en Algérie et à Marseille. Ils forment un triptyque où l’intime se mêle à une histoire plus collective. Les trois films racontent la même histoire : un homme adulte vit une séparation, un exil, un deuil et par la parole, l’écriture et la relation à l’autre, il apprend à vivre avec cette perte et retrouve une unité. Mes films donnent forme au sentiment que le passé est toujours avec nous et que l’acte de remémoration nous permet de vivre au présent.

Les oiseaux d’Arabie (2009), La nuit et l’enfant (2015), Ne me guéris jamais (2023)

Je me demande quelle place a ce cinéma dans les circuits de diffusion ? Après une projection de son film Point de départ à Roubaix en mai 1995, Robert Kramer expliquait :

« Le vrai travail quotidien du réalisateur est de ménager le trouble – et ça va se manifester dans le film à chaque coup. S’il n’y a pas cette énergie, cette envie de défaire le nœud – et de trouver, dès qu’on l’a défait, qu’il est fait autrement -, et si ça ne peut pas s’exprimer dans ce qu’on fait, je ne vois pas pourquoi on le fait. Dans le domaine audiovisuel actuel, tout cela est exclu parce que ce sont des états d’âmes et qu’on n’est pas payé pour des états d’âme, on est payé pour des performances. » (« Rencontre avec Robert Kramer », propos recueillis par Civan Gürel, Bertram Dhellemmes et Cédric Verlynde, Tausend Augen #5, Février 1996 )

La caméra des frères Lumière servait à la fois à enregistrer et à projeter des images. Aujourd’hui les fonctions ont été séparées et je me demande s’il ne serait pas intéressant de retrouver une autonomie dans la diffusion des films. Quelque-part, ce désir est déjà à l’oeuvre avec la revue de cinéma Dérives que nous avons fondé avec des amis il y a maintenant 20 ans.

Ne pas écrire
Octobre 2024

Le 11 octobre 2024, un ami m’envoie par sms ces mots : « Foyer, présence, territoire natal, ne pas écrire ». D’une certaine manière, ils évoquent mon rapport à la réalisation de films.

Dans la nuit du 18 au 19 octobre, j’ai rêvé que quelqu’un me demandait d’écrire un film et je lui répondais qu’un film n’est pas constitué de mots mais d’images et de sons. Dans ce rêve, j’exprimais des sons de ma bouche sans que cela ne soit des mots. Je tournais sur moi-même en riant et en exclamant ces sons sans significations. Et mon corps, épris de joie et de légèreté, se détachait du sol. En me réveillant, j’ai ressenti une grande force, comme si j’avais partagé l’expérience d’une exaltation. Après coup, j’ai pensé que ce rêve était une réponse possible à ce que signifiait « ne pas écrire ».

Cette année, 25 ans après être parti, je suis revenu vivre au pied du Vercors. Chaque jour je vois cette montagne sur laquelle j’ai formé mon regard. J’y retrouve les textures, les couleurs et les rythmes qui me donnent l’élan d’un film nouveau. Mais j’ai aussi découvert une ruralité qui est plus ou moins abandonnée par les services publics. Aux dernières élections, un député d’extrême droite a été élu dans la circonscription où je vis. Je me demande quelle est ma responsabilité face à cela, moi le faiseur d’images dont les films n’ont jamais été partagés dans ce territoire. Je commence un cycle de programmation intitulé le monde et ses visages, à 200 mètres de là où je vis, comme une manière de revenir au local dans un rapport simple au cinéma. Se retrouver à plusieurs et partager nos positions.

Croyons à l’aube de la saison froide est le dernier recueil de Forough Farrokhzâd.

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