Transir

Texte et film de Robert Bonamy, 2023

Le travail filmique de la cinéaste et plasticienne Bani Khoshnoudi convoque des gestes contemporains, en contexte de luttes et de répressions autoritaires, qui concernent l’Histoire des peuples, des communautés et des lieux : notamment les gestes de la collecte et de l’excavation.

La collecte s’est partiellement effectuée sur place, pour ses deux films documentaires, vidéographiques, tournés à Téhéran : A People in the Shadows (2008) et The Silent Majority Speaks (2009-2014).

Le documentaire que nous préparons au sujet de ses engagements filmiques (depuis ses propositions en cinéma et en autres arts filmiques) remonte les pas de ses images documentaires (ici choisies, plutôt que ses fictions, quand bien même nous portons une admiration sans faille pour son premier court métrage de fiction intitulé Transit [2004]).

Dans cette remontée des sons et des images, l’Histoire iranienne de la première décennie du 21e siècle, à savoir le soulèvement post-électoral appelé « mouvement vert », n’est pas encore abordée. C’est un passé à venir dans la suite de ce film, au contact des rebellions révolutionnaires présentes. Cela dit, les recherches de Bani Khoshnoudi, telles qu’elles sont envisagées dans les ici et maintenant travaillent aux transitions des temps historiques et politiques, en faisant en sorte que les images filmiques sachent transir (aillent au-delà) sans laisser transis (pétrifiés). Transir, c’est traverser pour quelque part, dans un sens, aller en avant de soi pour les autres ; alors que transir dit d’abord – intransitivement – mourir.

Note pour l’à-venir : du verbe transir, que l’on peut par exemple souvent relever dans les écrits du philosophe Jean-Luc Nancy autrement dit car il s’agit justement pour le philosophe de déconstruire les termes et de dire autrement il nous faudra retenir et développer quelque chose.

Cette collecte s’effectue désormais pour la réalisatrice en exil, à distance ou en transit, pour documenter et penser précisément les luttes du présent en Iran, en creusant celles d’ailleurs et du passé jamais véritablement inactuel dès lors qu’il est suivi à la trace.

On comprendra ainsi qu’il est très possible que l’actuel sous-titre de travail de ce documentaire en chantier, à savoir « contrées filmiques », soit remplacé par un titre qui cherche le sens du terme « transit ». Ce terme est bien le titre d’ouverture de la filmographie de Bani Khoshnoudi (Transit, 2004), mais aussi celui d’un documentaire réalisé en 2016 que nous lui avons proposé de confier à Dérives : Transit(s) : nos traces, notre ruine. Il y est question de camps de transit et de retraversée de l’Histoire. De transes, aussi, en quelque sorte, par des danses et de la musique – toujours engagées pour des chantiers politiques.

Réunir plusieurs films peu connus de Bani Khoshnoudi pour Dérives, notamment certaines formes documentaires expérimentales brèves, fut en quelque chose un geste d’écriture pour ce film documentaire en cours. La constellation Bani Khoshnoudi se forme sur Dérives en même temps que ce documentaire.

Ne pouvant plus travailler en Iran, Bani Khoshnoudi déplace aussi désormais ses recherches filmiques au Mexique. Avec El Chinero, un cerro fantasma, un film en 16 mm et une installation qui prennent le nom d’une colline à un peu plus de 100 km au sud de Mexicali, elle construit une archive de la chasse aux Chinois installés au Mexique, quelques années après la révolution mexicaine de 1910. Ce travail d’excavation filmique est aussi la confirmation d’une réflexion plus ample sur la notion de fosse commune.

Vraies fosses communes. En Iran et ailleurs.

Cet extrait est une esquisse, à l’écoute de ce qui vient dans les mots et gestes de la pratique. Une esquisse à développer pour Dérives, avec l’aide, au montage, d’Antoine Chesne (un compagno cinéaste au travail aussi généreux, lucide que permanent).

Un film en venue, à venir, en transit.

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