Après un long voyage, Ana revient à Paris. Sans logement, elle dort chez ses amis dans l’attente d’une meilleure situation. Commence alors l’errance d’Ana dans la ville, dans la nuit de sa propre mélancolie.
Notes de préparation au tournage (été 2017),
destinées aux collaborateurs du film :
Comment faire un film « sur » la solitude sans pour autant filmer des êtres seuls (je veux dire sans amis, sans attaches, loin de tout, etc.) ? Quelle teinte donner à cette mélancolie particulière ? Comment la faire résonner au sentiment de la vie en ville ? Si ça résonne, c’est qu’il y a quelque part un écho à trouver, et à affiner.
Ce qui suit tente de répondre à ces questions en posant d’autres questions, propositions cinématographiques pratiques et/ou théoriques (les deux étant toujours à dialectiser et non à opposer).
La solitude (dans la vie comme dans le rapport sensible aux films, à l’art en général) nous met face au problème de la distance. Qu’est-ce qu’une distance ?
On entend trop souvent dire « ce film a trouvé la bonne distance avec ses personnages » ; « le/la cinéaste filme à bonne distance » ou, en langage psychanalytique, que l’on cherche « la bonne distance avec soi-même ». Drôle d’affaire que ces affirmations morales – morales : ce qui tient du bon ou du mauvais –, qui touchent à la fois l’art et la vie. Qu’y a-t-il donc de « bon » dans cette distance recherchée ? (ou bien de mauvais dans une distance écartée ?)
Je suis d’accord qu’il faut bien trouver de la distance pour gagner en clarté, en lecture ou bien encore en analyse par rapport à une situation donnée, mais je ne comprends pas qu’il faille y trouver du présupposé « bon » dans une distance recherchée, car nos vies qui sont tissées de temps mais surtout d’espaces, tout est question de distance, et cela revient à dire que toute situation perçue en soi peut être « bonne » ou « mauvaise ». D’où la nécessité d’affiner le propos, ou bien le contourner, là où le vocabulaire se retranche trop facilement dans un antagonisme creux.
Une distance, est-ce une séparation ou une liaison ?
Ou bien est-ce les deux, et, selon notre degré d’implication dans notre appréhension au monde extérieur, cela fluctue-t-il vers la séparation que la liaison, et vice-versa ?
Il paraît évident que le film doit tenter d’en donner une réponse, par ce qu’on appelle forme. Ce n’est pas au récit ni aux personnages de résoudre cette question, mais bien le film, la nécessité de faire ce film. Il faut créer le pont entre « nous », qui faisons un film, qui faisons film, et les personnages. Il ne s’agit pas de replier nos vies et nos expériences dans les films, les faire se ressembler; il s’agit d’une proposition, de création d’une forme pleine à partir d’un point de départ, d’expériences remises à plat dans un temps et un contexte géographique précis.
La fabrication du film doit donc fouiller la zone de flou, quand on ne sait plus si une distance est une séparation ou une liaison. Ou : quand elle peut passer, miraculeusement, de l’un à l’autre. Ou encore : quand elle peut être à la fois l’une et l’autre.
Disons bien une distance, et non la distance. À chaque situation sa distance propre. Il n’y a pas une distance propre à une vie, à un film, à une relation entre deux personnages, etc. Malgré tout, il nous faut trouver une distance propre à ce film-là, qui condense en lui plusieurs phases et degrés de distances liées au personnage d’Ana.
Cela passe par la caméra, par ce qu’elle offre la vision de personnes filmées au spectateur. La caméra doit un peu ressembler à la sensibilité d’Ana : dans un trop plein d’affection, mais, malgré tout, à distance (dans la temporalité, les regards, les gestes). Elle est proche, tout proche de l’autre, mais sans vouloir trop l’embrasser par peur de tout casser. Regarder, laisser faire, laisser dire, s’imprégner de la présence des corps et des lieux amis, en se sentant malgré tout étranger.
Et comment derrière, caméra et micros proposent une solution à ce paradoxe : arriver à faire en sorte que cette distance ne soit plus distance mais un lien. Faire de la distance non pas une coupure, mais une suture, un espace nécessaire de mise en présence.