Une approche de Syberberg

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Texte de Genica Baczynski, 2009

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Cinéaste allemand, Hans-Jurgen Syberberg est né en 1935. Son enfance se confond avec l’avènement et la chute du IIIe Reich. Il a neuf ans et le temps est, déjà, à retrouver. L’Allemagne est vaincue, la Prusse perdue ; Nossendorf le domaine familial, aussi. Son pays se scinde. Très vite, Syberberg se considère comme étranger en terre natale. La mélancolie s’installe et le travail commence. Il choisit de traiter des mythes, et leur confère une densité neuve. Â travers, Wagner, Ludwig II de Bavière , Kleist, Karl May, Syberberg recompose une histoire de l’Allemagne. Il commence au Berliner Ensemble où il se fait engagé par Bertoldt Brecht comme photographe de plateau. Il n’observe pas l’Allemagne. Il la pense. Syberberg ne s’estime pas une victime. Il photographie un passé anéanti par la guerre. Il cherche à lui conférer une modernité. Il donne son regard au présent d’un peuple rendu aveugle par l’expérience qu’il vient d’essuyer.

Le cinéma de Syberberg est un cinéma de l’irruption où l’instant cède sous la charge du passé. Un cinéma se considérant comme une œuvre d’art totale dans la foulée de Novalis. La technique revêt une importance capitale dans le travail de Syberberg. Les formes sont constamment à renouveler. Â l’instar d’autres cinéastes de sa génération, il porte son attention sur l’invention quasi permanente du cinéma muet et de l’expressionnisme allemand. Il y trouve un champ ouvert à la novation où le temps s’altère et où le cinéma rompt avec le rationnel pour atteindre une poésie de l’analogie. Syberberg pousse plus loin cette démarche et élabore les conditions techniques utiles à son type de production. Son système esthétique, Syberberg le fonde au théâtre. Il fera deux expériences décisives et opposées : l’une avec Brecht l’autre avec Kortner. La démarche artistique de ces deux metteurs en scène est antagoniste : l’une repose sur la distanciation, l’autre implique la violence expressionniste. Syberberg conjugue les deux façonner son cinéma. La contrainte théâtrale favorise ici un retour à l’origine du cinéma. Syberberg trouve les arrangements nécessaires à la nouveauté. Arrangements visuels et sonores, montages et décalages…. Il met alors en place un dispositif de projection frontale pour faire se superposer et coexister des mondes. Pour Hitler un film d’Allemagne ce procédé prend une grande ampleur. Il instaure une confusion sensorielle par la surcharge des plans et par une complication des grilles de lectures quand des « réalités s’accumulent ».

Syberberg émerveille. Il poursuit en quelque sorte l’œuvre des romantiques Allemands et réordonne un folklore entaché par la manipulation nazie. Il s’écarte volontairement du cynisme et communique à ses films une dimension à la fois grotesque et légendaire.

L’Oublié de Nossendorf

Dans toute idée, il faut chercher à qui elle va et de qui elle vient, alors seulement on comprend son efficacité. L’œuvre de Syberberg n’échappe pas à cette « règle » brechtienne. Son travail moins qu’un autre.

Jean-Pierre Faye est philosophe. Ami d’Hans Jürgen Syberberg, il fut l’éditeur en France de Hitler un film d’Allemagne. Je souhaitais l‘interroger sur le travail et l’itinéraire du cinéaste Allemand.

La rencontre avec Jean-Pierre Faye se déroula dans son appartement parisien, rue vanneau, à Paris, où le jeune Marx séjourna lors d’un premier exil à Paris. Cette coïncidence géographique incita Bernard Sobel à demander à Jean-Pierre Faye sa collaboration pour un film, jamais réalisé, et qui devait s’intituler « Marx à Paris ou le bateau fou »
Jean-Pierre Faye évoqua tout d’abord son travail actuel. L’écriture d’un ouvrage traitant du nihilisme. Il m’entretint alors, d’une difficulté, pour ne pas dire une contrainte, écrire à quatre mains. Jean Pierre Faye m’expliqua ensuite le sens exact de nihilisme*, au regard de son emploi plus ou moins juste, aujourd’hui.
« La notion de nihilisme naquit sous la Révolution, grâce à un personnage très singulier, Anarchasis Cloots. Cet Allemand passionné par la France et la Révolution française fut élu à la Convention. Robespierre ne l’aimait pas. Au temps de la loi des suspects, il fut considéré comme un éventuel espion du fait de son origine allemande. Anarchasis Cloots rêvait à l’unité du genre humain – il fut l’inventeur du « Citoyen du monde » – et en particulier d’un chemin qui lierait Pékin à Paris. En un sens, il fut le premier internationaliste. Une certaine naïveté dans ses discours ne lui accorda pas le sérieux qu’il escomptait. On le catalogua dans le groupe d’Hébert. Il fut exécuté en même temps. Ils représentaient les partisans du culte de la Raison. Le culte de la Raison se rapprochait plus de Mardi gras avec nombre de carnavals et autres chars festifs. Robespierre exécrait ces démonstrations. Il lui préférait le culte de l’Être suprême, plus sérieux, organisé par David avec des chars de vierges et de vieillards se dirigeant vers le Champs de Mars.
Le culte de la Raison était proche des panathénées.
Le mot nihilisme apparaît à ce moment.

Le nihilisme sans constituer un rapprochement direct avec les films de Syberberg nous conduit à parler de l’Allemagne et du cinéaste.

Jean-pierre Faye, Bernard Sobel, Karl Marx et le bateau fou

J’ai rencontré Syberberg grâce à Bernard Sobel, le metteur en scène. À cette époque , nous avions un projet commun, un film s’intitulant « Marx à Paris ou le bateau fou ». Bernard Sobel faisait ainsi référence à une citation de Marx « Nous sommes sur un bateau fou comme ceux qui descendaient le Rhin avec les fous et les malades. »
Le film ne s’est pas fait, mais nous nous sommes revus.
Un jour, Sobel me conseilla, vivement, d’aller voir un film d’une durée de huit heures. Il s’agissait de
Hitler, un film d’Allemagne. La projection se déroulait en deux parties. Il m’indiqua la présence de Syberberg lors de la seconde moitié. Le film fut un choc tant esthétique qu’intellectuel. Jamais Hitler ne fut abordé avec autant de dérision. Je rencontrai donc Syberberg, et l’invitai chez moi.

Assez rapidement Syberberg eut le sentiment que son Hitler ne fut pas assez perçu comme une pièce politique à l’égal d’un ouvrage de Jean-Paul Sartre. Même si Sartre fut lui-même très attaqué. L’ironie extrême de Syberberg resta très inaudible. Il renchérit en provoquant. Ses essais volontairement dérangeant matérialisaient la violence réservée à ses films. Aux attaques qu’il enduré, il a répondu par le couteau. La mélancolie est alors survenue. Un désastre intérieur s’est dessiné.
Bernard Sobel m’a prévenu des ennuis de Syberberg. Il m’a proposé d’écrire un article sur le film. Je l’ai rédigé. Sobel l’a signé. La revue Révolution l’a publié. Personne
n’ a polémiqué. Je n’ai jamais su concrètement sur quel front se jouaient les attaques.
Dans un deuxième temps, Bernard Sobel m’a proposé d’éditer le livre
Hitler un film d’Allemagne. Pour Syberberg, cette période fut difficile. Son film, immense, se heurta à une évidente incompréhension. Petit à petit, certains articles lui étaient défavorables. Il vécut cette période comme désastreuse. La presse l’agressa et en particulier la presse allemande. Bernard Sobel rédigea un texte de défense, je l’ai signé et nous lui avons consacré un numéro d’Obliques.

Un des articles du Spiegel l’accuse d’avoir qualifié Hitler de génie. Je n’arrive pas à retrouver cette phrase dans ses livres. Il est également attaqué pour un prétendu antisémitisme. La langue allemande est à la fois complexe et poétique, finalement je la connais mal. On commet facilement des contresens et il se pourrait si cette phrase existe qu’elle ait été tirée de son contexte.
En ce qui me concerne, pendant l’occupation, mes camarades et moi, nous l’approchions au travers de Rilke. J’ai lu
Faust de Goethe dans Paris occupé. Toutes les vitres étaient recouvertes de bleu. Puis Paris connu la désertion de son enfance. Nous partîmes tous pour une province. L’atmosphère était sinistre. Le désastre résultant de la défaite était visible. Les affiches représentaient une forme de terreur. Les familles juives s’affrontaient sur la déclaration ou pas de leur situation au commissariat.

Comment le même pays mêlaient des langues si différentes, des représentations si éloignées. La poésie des
Elégies de Duino croisée le chaos du nazisme.

Un miroir déformant


Je pense que l’article du Spiegel est injuste. Il faut reconnaître que Syberberg aujourd’hui devient très anti-gauche (Linke). Syberberg prétend interroger le sens du mot. Il irrite en critiquant le vocable Linke.

Hans Jürgen Syberberg est devenu un véritable ami. Je me suis rendu à Munich et
je l’ai revu et j’ai été frappé par le changement total de cet homme.
Syberberg se considérait comme un homme ou plutôt un cinéaste mort. Il se situait hors du monde et surtout rejeté par son milieu.
Il a poussé l’ironie trop loin dans un essai « illisible ». Il reste en pénitence en Allemagne. Notons cependant que le centre Beaubourg lui a consacré, en 2003, une rétrospective.

Hitler un film d’Allemagne a, selon moi, provoqué le film de Claude Lanzmann Shoa. Claude Lanzmann a aussi réagit au déchaînement suscité par le négationnisme de Faurisson. Deux événements antinomiques se sont ainsi conjugués. Mais la conception d’un film de huit heures n’est pas anodine. Évidemment, à l’inverse de Syberberg, l’ironie n’a aucune place dans Shoa.
Dans ce climat, propice au malentendu, Syberberg a été écrasé. Après
Shoa, son film est apparu profanateur.

Pourtant c’est une invention esthétique et épique qui coule le nazisme dans son ridicule comme a pu le faire Brecht. Il ne faut pas le prendre au sérieux. Si on l’aborde tragiquement on en fait Prométhée, si on l’aborde avec humour, on en fait Eschyle.

Certains moments cristallisent l’émotion, par exemple, la voix de femme évoquant la flamme visible jour et nuit et qui ne s’oublie pas. La forme ressemble à un cri.
Cela résume en une seule seconde
Shoa, même si la comparaison parait inutile.
Le projectionniste reprochant à
Hitler de leur avoir gâché le kitch, d’avoir supprimé à jamais toutes les choses ridicules du folklore allemand. De la sorte tout un pan culturel reste figé, incarnant malgré lui une forme de l’ horreur. Ces passages bouleversent.

Parsifal qu’il a mis en scène est intéressant. Il a placé l’action dans une nymbe pas dans un univers pesant. La contrainte règne. Lors d’une représentation du Parsifal tout le monde se lève et personne n’applaudit. Parsifal ne s’applaudit pas. Cet instant reste, pour moi, une sensation désagréable. Parsifal est une histoire de sang et le sacraliser ainsi me gêne. Wagner devient le précurseur du nazisme il fut le premier à évoquer et à s’intéresser à cette idée nauséabonde autour de la souillure des races.

Autre image du désastre Louis II de Bavière où la narration développe un point de vue original, mais comparer au film de Luchino Visconti admettons qu’il ne tient pas.

La nuit demeure un beau film. Avec Edith Clever. Remarquable. Une pièce très courte. Une sorte de poème. Une plainte où le jeu de lumière sur Edith Clever est bouleversant.

Cette nuit sans sommeil dans le poème de Henrich Heine dont deux vers servent d’exergue à Hitler un film d’Allemagne.

La nuit quand je pense à l’Allemagne
Le sommeil me fuit

*Michèle Cohen-Halimi & Jean-Pierre Faye L’histoire cachée du nihilisme La fabrique édition 2008

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