Dans une maison en ruine toute baignée dans l’obscurité, accoudé sur le bord de la fenêtre située tout à fait à gauche du cadre, et avant de l’enjamber pour sortir, tel un fantôme, à la faveur d’un fondu enchainé, un petit garçon s’adresse à deux reprises à son compagnon plus âgé que lui : « Et maintenant où on va Lamine ? ».
Ce plan extraordinaire où à la faible lumière du jour naissant entrant par la fenêtre répondront les étincelles de feu que répandra Lamine dans les différents coins de la chambre, ce plan, à l’instar de tant d’autres, résonne dans mon esprit comme la métaphore, pas seulement de « la nuit et l’enfant » mais de la situation plus générale du cinéma de la région.
Parfaitement comme nous l’imaginons dans Archipels Images.
L’enfant ne sait pas où il doit partir avec son ami, mais il s’échappera par la fenêtre, happé par la lumière extérieure. Lamine le suivra. Ce paradoxe est l’expression condensée de la stratégie à suivre dans notre manière d’accompagner le cinéma, disons en Méditerranée.
Nous ne sommes pas en période de déclin, de fin du cinéma mais incontestablement de la fin d’un cinéma, d’une économie du cinéma. Nous savons comment était son état jusqu’ici, nous savons moins ce qu’il sera demain. Car nous sommes engouffrés dans la confusion d’un énorme changement, pris dans le mouvement d’un bouleversement. Il serait à la fois présomptueux et anachronique de dessiner la configuration du paysage cinématographique tel qu’il va se constituer dans les années à venir. Nous savons cependant, avec la certitude de l’évidence, par où se fera la sortie, de quel côté il faudra aller.
Ce ne sont pas des études statistiques, des analyses prospectives qui nous le diront, mais les films eux-mêmes à condition qu’on sache les regarder. Et les suivre.
Une analyse détaillée de « La nuit et l’enfant » pourra nous conduire, si nous prenons la mesure de la portée métaphorique du film, à entrevoir la voie à suivre dans l’accompagnement de ce qui se fait de mieux en ce moment sur les deux rives de la Méditerranée et bien au-delà.
L’idée (de la rencontre) qui se dégage de l’expérience de « La nuit et de l’enfant » tant au niveau du film qu’au niveau de sa fabrication, c’est à dire, le mélange extraordinairement fécond et contemporain, de l’acceptation de l’opacité (encore Glissant) et de la résolue volonté de la rencontre, c’est ce mouvement incroyablement poétique qui nous animera dans nos projets archipéliques.
Toujours trans-portés par l’amour des films, de ces films-là.
Tahar Chikhaoui est président de l’association Archipels Images
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