Un document inédit de la Commission Diffusion Post-Croissance (2034)
Objet : Sur les principes écologiques de la diffusion cinématographique (horizon 2034)
Emetteur : Commission Diffusion Post-Croissance (commission_diffusion@cine.postgrowth.tv)
Destinataires : CNC++ (direction.transition@CNC++.fr); ministère des Milieux culturels et artistiques (ecologie.culturelle@culture.gouv.fr); ministère de la Transformation climatique (societé.culture@climat.gouv.fr)
Date : 23 Avril 2033, à 18.22
1. Cadre
Les indications qui suivent, précédées d’une brève série de constats préliminaires, constituent le fruit de plusieurs sessions de travail de la Commission Diffusion Post-Croissance constituée par tirage au sort le 20 septembre 2031. Ses activités s’inscrivent dans le volet « Image » du programme « Mutation sociale et culturelle » en lien avec d’autres commissions jumelles comme Création ou Éducation.
La légitimité du travail de chacune de ces commissions se réfère au cadre de l’autogestion citoyenne et de la décentralisation décisionnelle, reconnue et soutenue par la loi du 21 juin 2029 sur Les principes de décision locale et de défense des communs en situation de transition écologique urgente.
La commission Diffusion Post-Croissance s’est réunie à quatre reprises, chaque fois pendant une semaine dans les contextes suivants : Vidéodrome III (Marseille, octobre 2031), L’œil de la louve (Saint-Nazaire, décembre 2031), Le navire Argo (Épinay-sur-Seine, janvier 2032), La cinémathèque fantôme (Rodez, février 2032).
L’aboutissement de ces résidences de travail – accompagnées chaque fois de l’accueil de personnes ressource (entre recherche académique, domaine associatif et milieu artistique) – est résumé dans ce premier document adressé aux instances du CNC++, du ministère des Milieux culturels et artistiques et du ministère de la Transformation climatique.
2. Constats
Les constats suivants rappellent le cadre dans lequel s’inscrivent les propositions d’organisation de la circulation des films qui suivront dans la section 3 du document. Ils découlent d’un état des lieux méticuleux et problématisé de l’écosystème cinématographique actuel, s’inscrivant dans la perspective plus large des mutations en cours de nos environnements socio-économiques.
2.1 Salles
Le coût des salles commerciales du consortium Premium Excellence proposant les technologies de diffusion les plus avancées ainsi que les principales options de confort a désormais atteint 40 euros par séance, hors de portée pour toute personne gagnant le Smic. Nous soulignons qu’après l’augmentation ayant suivi les grèves de mai 2030, ce salaire minimum tourne autour de 1 700 euros nets environ (dont 200 euros de cotisation pour l’assurance européenne « risques climatiques » depuis janvier dernier). Selon le dernier rapport CNC++ « Distribution en salle : problèmes et perspectives », 300 salles sur les 340 agréées dans le circuit d’exploitation régulière sont intégrées à ce circuit.
Il est difficile d’imaginer des prix en baisse à cause du coût élevé des systèmes technologiques adoptés dans ces lieux (image DCP next et son Dolby Ultimate), mais aussi et surtout des dépenses élevées en énergie électrique, toujours croissantes. La consommation conséquente d’électricité de ces structures découle, entre autres, de l’offre « Garantie 20 Degrés » dans les salles de projection, alors que la température moyenne en été dans l’Hexagone s’établissait l’année dernière autour de 36 °C et celle printanière autour de 28 °C.
Pour maintenir une certaine rentabilité, cette situation pousse le groupe restreint des propriétaires réunis par le consortium à défendre une exclusivité absolue des projections à travers le système « semaine total première » (où le coût des billets peut atteindre les 70 euros par séance) et à réclamer au gouvernement des amendes de plus en plus sévères pour toute diffusion non autorisée selon la révision de la nouvelle chronologie de médias actée par le CNC++ et le ministère des Milieux culturels et artistiques fin 2031.
Par ailleurs, l’emplacement de ces structures en zone périurbaine constitue un autre facteur d’inégalité de l’accès à l’expérience cinématographique, après la longue phase de suppression des transports publics en raison de l’opération Zéro Dette Locale et de la hausse du prix des voitures labellisées NC (« No Carbone »), précédée de la mise au ban de tout véhicule immatriculé avant 2023.
2.2 Streaming
La situation de la diffusion commerciale en ligne recoupe en partie les problèmes de la diffusion en salle résumés ci-dessus. Nous remarquons, par ailleurs, que les deux principaux exploitants de salles en France sont contrôlés par les acteurs dominants du streaming (notamment, Disney Prime et Netflix Lumière), qui réunissent aujourd’hui 46,5 millions d’abonné.es sur le territoire national. Après leur investissement dans la technologie de transmission des données High Speed Connexion basée sur le réseau 6G Plus, cette infrastructure a connu un black-out intégral en juillet 2029 suite à la semaine de pic de chaleur à 48 °C et aux phénomènes magnétiques exceptionnels liés à la tempête ayant clos cet épisode climatique.
Non seulement le fonctionnement de la 6G Plus a été interrompu pendant deux mois (alors que le système entier de streaming n’était plus capable de tourner sur le réseau 4G resté opérationnel), mais plusieurs fermes de serveurs ont subi des arrêts parfois définitifs à cause de pannes dans les dispositifs de refroidissement. Certains autres centres ont aussi subi des sabotages durables par les actions de la campagne « Désarmons l’oligarchie numérique ! », toujours en cours. Ces opérations appartiennent à ce que le ministère de l’intérieur a appelé en 2028 la nouvelle vague « techno-terroriste », un terme faisant l’objet de beaucoup de controverses.
D’une telle situation ont découlé deux séries de décisions discutables : d’abord, l’exonération pluriannuelle 2029-2031 de la TSV – impôt constituant 50 % des recettes du CNC++ en 2029 – pour soutenir la reconstitution du service de streaming ; ensuite, l’investissement de ces acteurs dans des microréacteurs nucléaires privés de nouvelle génération (modèle FutureAtome), ayant pour but de garantir un approvisionnement électrique de proximité nécessaire pour gérer la température des fermes de serveurs, même dans des situations exceptionnelles. Cette production énergétique privée a bénéficié du programme de co-financement international REL (Résilience Electrique Locale), voté initialement pour aider le développement des communautés d’autonomie énergétique : des procédures judiciaires sont toujours en cours à propos de la légitimité de ces financements.
3 Préconisations
Ci-dessous nous détaillerons une première série d’indications concernant des dispositifs de diffusion pouvant s’adapter à la fois : 1. aux objectifs de réduction de l’empreinte environnementale de la diffusion cinématographique (bilan détaillé joint à un prochain courriel) ; 2. aux principes du programme européen PMM EU (« Europe Post Mass Media ») annoncé en janvier dernier suite aux travaux de la commission initié par l’eurodéputée française Céleste Al Sharawy ; 3. à la volonté de l’actuel gouvernement de promouvoir dans un cadre expérimental les Alliances-Public-Commun (APC), dans l’optique d’une organisation plus résiliente et décentralisée en dehors du modèle partenarial Privé-Public.
Cette courte liste de suggestions s’inspire d’initiatives observées sur le terrain, qui constituent une alternative aux modèles décrits plus haut et demandent à être encouragées par les institutions compétentes.
3.1 Cinémas itinérants
Promouvoir les cinémas intinérants et la logique de ce que le Réseau Nouveau Forain appelle le visionnage « à domicile & en collectif ».
Ces dispositifs souvent basés sur une organisation associative permettent une vraie couverture territoriale (en dehors des pôles limitent urbains privilégiés), les déplacements (c’est la projection qui va vers le public, plutôt que l’inverse), encouragent la convivialité et n’ont pas besoin d’infrastructures trop complexes et énergivores. Ils proposent, en outre, des espaces de co-programmation qui permettent de travailler sur les objectifs de sélection, tri et partage indiqués par tous les programmes d’éducation à l’image numérique et aux sources d’information discutés depuis plusieurs années. Le RNF, par ailleurs, soutient avec les revenus générés par ses sessions de visionnage – à prix libre ou à prix multiple choisi – une mutuelle de financement des productions cinématographiques qui permet d’aider de nouveaux projets de réalisation élus par un jury éphémère.
3.2 Arrêt de l’innovation frénétique
Définir un moratoire de l’innovation technologique dans le secteur audiovisuel afin d’éviter le gaspillage de matériaux, d’énergie électrique et d’outils « périmés ».
Nous accueillons ici l’un des points fondamentaux élaborés par le programme « Culture & Low Tech » de la coalitionDécroissance & Justice éco-sociale à la présidentielle 2032. Ce projet prévoyait, entre autres, l’approbation sélective de chaque nouveau produit technologique prêt à être commercialisé par une commission citoyenne de « Soutenabilité sociale et environnementale », la réorientation ministérielle des fonds pour la recherche publique depuis un principe d’indépendance du secteur privé et marchand, le soutien économique aux espaces collectifs de réparation et recyclage de matériel audiovisuel, ainsi que la mise en place de formations spécifiques à la manutention.
3.3 Réseau léger
Encourager ce qu’on appelle actuellement le « light internet ».
Il s’agit, en ce sens, d’endosser le projet de « droit à l’intermittence digitale et à la connexion située » promu par le collectif Convivialité numérique 2030 après le constat des limites de l’idéologie du streaming instantané et ubiquitaire dans notre contexte de fragilité infrastructurelle et de production électrique compliquée. D’abord, il est fondamental d’accepter l’alternance on line/off line des systèmes de serveurs locaux alimentés par les énergies renouvelables (donc sensibles aux contingences climatiques) : leur fonctionnement et leur disponibilité dépendent des possibilités de production électrique, mais aussi du maintien d’une température adaptée, sans circuits de refroidissement énergivores. Si une telle situation ne permet pas l’accès permanent aux données et une diffusion en streaming permanente, elle invite à télécharger les fichiers lors des fenêtres disponibles. Dans cette logique qui privilégie l’acquisition de la copie plutôt que la location temporaire par abonnement, il faut valoriser les organisations de partage de fichiers par transmission directe via des lieux et des groupes de mise à disposition de répertoires sur disques externes. Cette dimension est aujourd’hui appelée par la littérature scientifique « réseau numérique solidaire déconnecté ».
3.4 Salles de proximité saisonnières
Soutenir le modèle des « Salles Associatives et Saisonnières » (SAS).
Il constitue actuellement un secteur d’exploitation non compatible avec la plupart des dispositifs de soutien institutionnels, notamment le CNC++. La SAS créée lors des États des lieux des communautés distributives (2029) privilégie une organisation de salles sédentaires de proximité où la projection n’est pas effectuée en continu, mais plutôt selon des périodes intensives programmées collectivement, avec des sorties récentes et des films patrimoniaux. Selon le manifeste rédigé après ces rencontres, leur travail est adapté aux conditions climatiques, vise une taille de public conviviale (souvent il s’agit de structures « mono-salle »), propose un espace de vie temporaire qui permet éventuellement de nourrir et d’héberger les publics en visite. Leur fonctionnement solidaire permet de mutualiser les programmes et les ressources, par exemple en partageant les tournées des cinéastes et des équipes invitées, ainsi que les éventuelles copies argentiques et leurs outils de projection. Les espaces occupés par ces structures peuvent se prêter à d’autres usages en dehors des sessions de visionnage, en accord avec les chartes d’autogestion établies par les communautés responsables.
3.5 Revenu de Transition
Inscrire les activités liées à ces infrastructures de diffusion (programmation, réparation, formation…) dans le registre du travail orienté vers l’écologie et le lien social, destiné à être indépendant du marché.
Elles feront donc partie des secteurs bénéficiant d’un Revenu de Transition Ecologique, selon le cadre légal en cours de discussion au Parlement depuis mars en soutien aux métiers respectueux de l’environnement et des communautés locales.
4. Annexes
Nous joignons une série de documents complémentaires pour comprendre les suggestions détaillées ci-dessus, par ordre chronologique :
« Programme – Section Culture et technologie », Coalition Décroissance & Justice éco-sociale, 2032, en ligne.
« Reti solidari sconnesse : un ossimoro fecondo », Italian Journal of Critical Sociology, n° 11, 2031.
« Écologies de la diffusion : quelle résilience ? », dossier, Cahiers du cinéma, novembre 2030.
« Synthèse des discussions des États des lieux des communautés distributives », juin 2029, accessible en ligne sur Derives.tv.
Mona Arundatyrai, Reframing Film Circulation in Post-Growth Era, Kolkata, Calcutta University Press, 2028.
« Pour un droit à l’intermittence digitale et à la connexion située », Collectif Convivialité Numérique 2030, 2028, le blog de Mediapart, en ligne.
Louise Guillot, Rémy Seillier et Sébastien Schulz, « De l’ordolibéralisme à l’ordo-communalisme », AOC, 12 avril 2024, en ligne.
« Décarbonons la culture ! », The Shift Project, 2021, en ligne.
AA.VV., « Propositions pour un retour sur Terre », avril 2020, en ligne.
Ernesto Oroza, « El Paquete Semanal – Cuba », The Pirate Book, Ljubljana, Aksioma, 2015 (accessible en ligne).