
Il est dit d’un être réfractaire qu’il refuse de se soumettre. Il est dit d’une matière réfractaire qu’elle a une forte résistance. Ce mot réfractaire, nous l’avons repris du titre du livre écrit par Robert Bonamy, Cinéma réfractaire. Au fil des pages, il défend un cinéma qui compte pour nous. En lisant ses mots, nous ressentons une attention, un effort de concentration qui aide à faire le point. Et d’être plusieurs, de se lire, de se voir, de s’écouter, cela donne de la force.
Et cette force nous permet de continuer à chercher dans les films, dans les écrits, dans nos dérives, ce qui se partage et nous rend fécond.
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Hélène Cixous, écrivaine, dramaturge, fondatrice du département des études féminines à Paris 8, dit dans le Vent de Vincennes réalisé par Katharina Bellan :
« Il n’y a pas de savoir, il n’y a que de la recherche ».
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Donna Haraway écrit dans le chapitre Persistance de la vision de son article Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle :
« Les yeux ont servi à signifier une aptitude perverse – parfaitement affinée tout au long de l’histoire d’une science liée au militarisme, au capitalisme, au colonialisme et à la suprématie mâle – aptitude qui éloigne le sujet connaissant de chacun et de tout dans l’intérêt d’un pouvoir sans entrave. Les instruments de visualisation dans la culture multinationale et postmoderne ont aggravé ces significations de désincarnation. »
Ce que Donna Haraway décrit dans le champ des sciences technologiques modernes peut s’accorder à un certain cinéma qui manipule la pulsion scopique, le plaisir de posséder l’autre par le regard, de jouer sur les nerfs, les émotions de celui ou celle qui regarde, sans jamais dire où il est, comment cela se fabrique et comment se distancier. Ce cinéma là, emprisonne, distraie, représente, choque, mais ne réfléchit pas, et au fond ne s’adresse ni à celui ou celle qu’il filme, ni à celui ou celle qui regarde. Ces films, ces cinéastes manipulent. Il est toujours question d’argent, combien ça coûte de reconstituer, de diriger ? Un film, c’est un budget, le cinéma, une industrie, la réussite, des millions d’entrées en salle, des millions de vues sur des plateformes.
Le cinéma qui nous intéresse résiste à la manipulation, introduit de la distanciation, situe son propos. Il fait un pas de côté, il est réfractaire aux recettes de l’efficacité, à la toute puissante vision non située. Il se partage dans d’autres espaces que les salles de cinéma commerciales et les plateformes. Il est fait de peu et n’a rien à conquérir. Sa fabrication prend le temps nécessaire à la recherche. Les films évoqués dans cette lettre sont des possibles de ce cinéma.
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Un cinéaste réfractaire vient de partir, Peter Watkins. En janvier 2021, il nous avait permis de partager plusieurs documents dans sa constellation sur Dérives.
Parmi ces documents, un entretien sur la Monoforme datant de 2001 dont voici un extrait :
« Cette chose, la Monoforme, est devenue LE format obligé structurant tous les films télé et quasiment l’ensemble de la production du cinéma commercial. Cut, mouvement, secousse, Bing, Bang, cut, cut, cut. Et le montage est de plus en plus rapide, c’est presque comme les clips sur MTV. Cela non plus, n’a rien a voir avec de la communication. Cela ne permet pas aux spectateurs de participer vraiment. Vous êtes entraînés à travers cette structure narrative mono-linéaire par ce formatage frénétique et manipulateur : la Monoforme ; qui est employée délibérément parce qu’elle ne nous laisse pas le temps de penser ou d’espace pour une participation démocratique permettant une remise en cause ou un questionnement. »
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Katharina Bellan, films situés, films collectifs

« Comment faire tenir ensemble, dans un seul texte, cinq films, fabriqués sur douze ans, alors qu’ils sont tous fait de rencontres, de hasards, de recherches, de découvertes, d’obsessions…
Et pourtant, si un fil relie chacun de mes films, je pourrais dire qu’ils sont situés, dans l’espace, dans le temps. Chaque film énonce son territoire, sa temporalité.
Et s’ils sont souvent collectifs, le point de vue se cherche, se dit à plusieurs. Chacun de ces films est habité par d’autres. Toujours fabriqué avec, jamais sur. Godard dit dans Lettre à Freddy Buache que faire un film sur, c’est rester à la surface, quand il faudrait aller au fond des choses. René Allio dit dans un entretien datant de 1995 pour la revue 24 images :
« … Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas fétichiser le rapport au réel, à savoir que la seule façon de rendre compte de la réalité serait d’en extraire des fragments vrais, donnés pour vrais, de les saisir par le cinéma, par l’interview, la parole, par l’écrit, l’enregistrement, par le report fidèle… Ce qu’on invente à un moment donné, le fruit de l’imagination, de la pure invention ne parle pas moins du réel que le document, c’est aussi un document sur le réel – parce que cela ne vient jamais comme ça en l’air, c’est toujours enraciné, cela vient du fond de soi. Nous ne sommes pas des êtres abstraits, nous sommes en relation… »
René Allio nous prévient contre l’aveuglement en une croyance pour le vrai, l’objectif, la vérité, la preuve. Il dit aussi toute la puissance du cinéma : la parole, l’écrit, l’enregistrement, le report fidèle. L’image est une empreinte, et c’est parce que nous sommes en relation que nos films sont situés, même s’ils invoquent ce qui nous échappe : la magie, la transe, l’absence… » K. B.
Bondy vu par… 18 min, 2000
Le vent de Vincennes, 53 min, 2005
Un matin va venir, 25 min, 2006
Des Tarentelles, 22 min, 2009
Plusieurs Fois la Commune, 50 mi, 2012
Réalisation, Image, Montage : Katharina Bellan, Régis Boitier, Damien Peaucelle, Aziz Soumaré, Vincent Poulin, Julien Chollat-Namy
Aminatou Echard
Une histoire de tissage
Texte de Karim Abdelaziz, 2025
Un montage brut, où l’on fabrique avec le « zarma sanni » le sens caché des choses
Conversation avec Young Sun Noh, monteuse, à propos du film « Le Grand Tout », 2025
Sur nos chemins, où l’on avance comme le serpent, par tours et détours.
Conversation avec Karim Abdelaziz, comédien metteur en scène, et Rolly Bienvenue, comédien, 2025
Présences
Film entretien avec Aminatou Echard, 2022
Chantal Akerman
Chantal Akerman, un mal antérieur
Texte de Pascale Cassagnau, 2018 -2025
À propos de Chantal Akerman. Rencontre avec Claire Atherton
Par Pascale Cassagnau, 2018
Chantal Akerman, The Pajama Interview
Propos recueillis par Nicole Brenez et relus par Chantal Akerman, 2011
Philippe Van Cutsem
Le récit de mon père, 82 min, 2014
Nouveau monde, 68 min, 2012
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Films
The Other River
Film de Pieter Swier, 2024
All Flesh is Grass
Film de Nathan Swann, 2025
Achka
Film de Ella Bellone, 2024, 45 minutes
La Croix des Oiseaux
Film de SL Condopoulos, 2024
Le congrès
Film de Clément Villiers, 2021
La maison d’en face
Film de Adrien Charmot, 2024
Draps sous fenêtres sous oiseaux
Film de Henriette Grenier, 2020
Old Groth
Film de Ryan Marino, 2014
The Angel of Forms
Film de Rushnan Jaleel, 2023
Kauaʻi ʻōʻō
Film de Samy Benammar, 2023
Spectre
Film de Kyle Faulkner, 2022
La révolte en Palestine d’après Gabriel Péri
Film du groupe Jourdain, 2021
Création sonore
Ce qui passe par la Terre
Réalisée par Benoit Bories et Aurélien Caillaux, 2024
Texte de Robert Bonamy, 2025
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Entretiens
Pasolini, selon moi. Fragments de conversation avec Cecilia Mangini
Par Aude Fourel, 2015
Discussion avec Simone Bitton
Par Ouahib Mortada et Edouard Mills-Affif, 2025
Entretien avec Pierre Louapre
Par David Yon, 2025
Discussion avec Lionel Soukaz
Par Darjeeling Bouton, Annie Taïola, Lo Thivolle, Fabrice Copin et David Yon, 2020
Textes

Images en marge de l’absence (Edgardo Cozarinsky, Yervant Gianikian / Angela Ricci Lucchi Jean-Luc Godard)
Texte de Didier Coureau, 2025
« con te e contro di te ». rester dans le trouble decolonial avec pedro pinho et Filipa Cesar
Texte de jacopo rasmi, 2025
Pour agir en solidarité avec le peuple Palestinien
Texte du Collectif “La Palestine sauvera le cinéma”, août 2025
Patience de la chair. Eric Gouttard.
Texte de Bruno Le Gouguec, 2025
Filmer avec le temps qui reste
Texte de Laurent Roth, 2024
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Agenda
21 novembre à Romans-sur-Isère au ciné-club du Passage
20h30. Le boxeur Chancelant (2024) réalisé par Lo Thivolle suivie d’une rencontre.
6 décembre à Marseille au polygone étoilé
17h. Tras-os-Montes (1976) réalisé par Antonio Reis et Margarida Cordeiro.
21h. Ana (1982) réalisé par Antonio Reis et Margarida Cordeiro.
21 janvier à Paris au collège des Bernardins
18h. Ne me guéris jamais (2023) réalisé par David Yon suivie d’une rencontre.
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