Patience de la chair. Eric Gouttard.

Texte de Bruno Le Gouguec, 2025

Ce qui frappe d’emblée dans l’œuvre consacrée aux autoportraits d’Éric Gouttard, c’est la patience de la chair qui s’y exprime. Une chair évidemment habitée, heurtée, dont on devine combien elle a dû accuser de coups dans l’existence, combien elle a dû expurger aussi — peut-être par la peinture — les effets de ces puissances telluriques et autres, qui nous traversent de part en part et dont nous sommes très ignorants.
C’est un homme plongé dans le monde, en somme, qui nous fixe tranquillement de ses yeux, d’où émane un petit éclat lumineux, solide, qui se donne et se retient comme l’éclat de la lumière sur une pierre.
Une sorte d’écharde qui empêcherait justement d’avoir un regard trop précipité sur la chair.

Mais pourquoi insister sur la « chair » en regardant ces autoportraits, plutôt que d’en interroger les expressions, les variations, par exemple ?
Parce que l’impression qui demeure est celle d’une acceptation tranquille — plutôt rare — de ce qui nous fait exister actuellement, chacun : la chair et le sang, avec ses hauts et ses bas, caractérisant notre être dans le temps, non pas en soi mais en tant qu’il participe d’une vérité de l’homme qui dépasse ce que l’homme peut en dire.

L’humilité — a-t-on dit — est la vertu de l’intelligence (dont le vice est à coup sûr l’orgueil).
Cette patience de la chair va de pair avec une certaine intelligence, une certaine humilité de la peinture, qui nous préserve des excès d’un Lucian Freud, par exemple, vouant trop hâtivement — à notre avis — la chair de l’homme avec ses passions mortifères à la mort.
Cette patience de la chair nous garde aussi de l’irénisme des représentations idéalisées du corps humain.
Non, la chair chez Éric Gouttard est à part. Elle est comme éclairée du dedans. Claire, un peu diaphane, elle ressemble parfois à une sorte d’ampoule.

Dans certains cas, c’est comme si l’on voyait simultanément le positif et le négatif d’une photographie.
C’est cette même impression que l’on retient lorsque l’on regarde ces photos de têtes de mineurs tout juste sortis du puits, un peu hébétés, tout pénétrés encore par l’atmosphère de la nuit souterraine.
Des têtes presque phosphorescentes qui n’excluent pas le fait paradoxal qu’il y ait de la Nuit dans le Jour.
Sans doute a-t-il fallu broyer du noir — comme broyaient du noir les mineurs au fond des galeries — pour qu’advienne cette douce lumière sur un visage.
Car, comme le dit un ami, le noir ça se broie, en effet.

Pour en rendre compte en peinture, il faut sans doute une pratique qui ne soit pas seulement oculaire : un toucher subtil qui imprègne le tableau de cette présence au monde du peintre, inimitable, et qui échappe.

Se voiler la face sur la réalité de la finitude et de la mort, tout comme en cultiver l’obsession, reviendrait-il à nier la présence d’autrui (qui toujours échappe), se demande-t-on face à quelques autoportraits — en se remémorant encore le réalisme morbide de Lucian Freud ou l’académisme des peintres pompiers ?
Sans doute. Dans l’un et l’autre cas, la relation est faussée.
Jusque dans la mort, la face fait face et ne peut se dérober au fait d’avoir été plongée dans ce monde — avec sa beauté et ses horreurs, avec ses énigmes, son mystère — et d’avoir été, ici-bas, la face de ce corps-parole-ci qui nous regarde.

Ce qui nous regarde — cela va sans dire — dans tous les sens du terme.

*

Éric Gouttard est né à Lyon en 1954. Études de médecine, premières peintures en 1985. Autodidacte. Se consacre totalement à la peinture à partir des années 1990, expose pour la première fois à la galerie St Georges (Lyon) en 1992, obtient le prix Marius Mermillon du groupe Paris-Lyon et fait une première exposition à Paris en 1993 (galerie Étienne de Causans). Participe ensuite à de nombreuses expositions de groupe. Nombreuses expositions personnelles.
Actuellement présent en permanence à la Galerie Jean-Louis Mandon à Lyon.

Bruno LE GOUGUEC
Lyon – Septembre 2025
Contact : brunolegouguec09@gmail.com

 

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