« Jaime », un film de António Reis

Texte de Pedro Costa, 2007

C’est un film sur un fou. Tourné à l’“hôpital des fous”, à Lisbonne, qui à l’époque
– le milieu des années 70 – était un endroit moitié prison, moitié sauvage, dont
on ne parlait pas. Les fous n’étaient pas seuls à y séjourner, Joao César Monteiro
s’y est rendu à plusieurs reprises. Le lieu est d’ailleurs montré, avec sa fameuse
cour ronde, à la fin de Souvenirs de la maison jaune. Jaime, le personnage qui
donne son titre au film, faisait des dessins assez beaux et assez spectaculaires.
La particularité est qu’il les réalisait avec des stylos bic, rouge, vert, bleu… Cette
technique, les couleurs primaires, tout cela participait de l’intérêt plastique.
António Reis a réalisé à partir de ça un film étonnant, assez surréaliste, complètement à part dans son oeuvre : on ne peut pas vraiment dire que Jaime annonce les films suivants, Tras-Os-Montes, Ana. Il avait tourné auparavant quelques documentaires courts qui ne sont jamais montrés, et qui sont sans doute perdus.
Il avait été assistant de Manoel de Oliveira, sur Acte de printemps (1963), je
crois. Puis il a tourné ce film, un beau portrait de peintre conçu de manière très
moderne, comme un collage, dans le style de ce que fera plus tard André S.
Labarthe.
Reis est aujourd’hui oublié, au Portugal. Des problèmes de droits et d’autorisation,
les refus de Margarida Cordeiro ont longtemps empêché que les films soient vus.
José Manuel Costa est désormais en charge de la restauration des copies. Cela
risque de n’avoir aucun effet, hélas. On peut dire à peu près la même chose de
Reis que de Straub : les gens ne veulent pas voir ses films. Pourquoi ? Il y a chez
Reis comme chez Straub un côté luxueux dans la pauvreté qui semble contrarier
tout le monde. Cela va, il est vrai, à l’encontre de tout ce qui se fait dans le
cinéma. J’ai ressenti un peu la même chose avec En avant, jeunesse : si vous
faites beaucoup mieux et beaucoup plus riche que les Américains, mais avec
moins d’argent, ça pose des problèmes, les rapports de production deviennent
vite compliqués.

Texte initialement paru dans le catalogue 2007 du FIDMarseille.

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