João César Monteiro – Je ne vous demande pas quand votre intérêt pour le cinéma a commencé mais plutôt quand vous avez pu commencer à travailler dans le cinéma ?
António Reis – Nous avons commencé, au Ciné-club de Porto [Cineclube do Porto], en faisant des recherches sur la théorie du cinéma, et en essayant, avec l’aide de quelques amis, de fonder la session de cinéma expérimental, même si le cinéma m’intéressait déjà avant en tant que forme d’expression esthétique.
J.C.M. – Et concrètement, cette implication se traduisait par quoi ?
A.R. – Nous nous sommes contentés de nous procurer une caméra 16mm, de planifier collectivement un sujet déterminé, d’essayer les premiers pas de la réalisation d’un film, mais sans responsabilité envers personne, si ce n’est envers un esprit de groupe de travail. Nous étions seuls. Nous n’avions aucun soutien. Rien. Pourtant, c’est une expérience que je considère comme décisive.
J.C.M. – Êtes-vous arrivés à terminer un film ?
A.R. – Après ce travail de groupe, Auto da Floripes 1 a fini par se concrétiser. Un travail de recherche a été mené dans la région de Barroselas (Viana do Castelo).
J.C.M. – Comment ce travail de groupe était-il organisé ?
A.R. – Nous avions, comme matériel de base, le texte de l’Auto, qui avait été publié dans la revue Vértice. À partir de cela, nous avons adapté le texte ; d’un côté, en fonction de ce qui nous paraissait essentiel pour sa réussite cinématographique, sans oublier le caractère de son expression théâtrale, et de l’autre, en tenant en compte que le tournage était conditionné au fait que l’Auto n’allait se jouer qu’une seule fois, pour la dernière fois, ce qui excluait toute possibilité de répétition des plans. Cela a impliqué quelques déplacements de l’équipe, afin de procéder à un repérage géographique minutieux de la zone. Par exemple, nous avons même mesuré le terrain et étudié le problème du positionnement des caméras, en cherchant, un peu comme à la télévision, l’obtention d’une multiplicité de prises de vues. Et, effectivement, nous avons travaillé avec quatre caméras.
Après ces « raids » de repérage, nous avons restructuré tout le travail élaboré préalablement, et, un beau jour, l’Auto da Floripes s’est réalisé. L’équipe est partie la veille à Viana. On a pris les positions stratégiques, utilisant deux caméras fixes pour les plans larges et deux caméras mobiles, au niveau de l’estrade de la scène, pour ne pas gêner le public qui assistait à la représentation, et pour suivre les acteurs qui se déplaçaient, ce qui présupposait une connaissance préalable de l’Auto et de l’espace scénique et, par conséquent, un montage « a priori » qui, pourtant, a fini par ne pas être le montage final du film, mais qui, de toute façon, était une espèce de montage de référence. Il n’y a pas eu un auteur proprement dit ; il y a eu plutôt un vrai travail d’équipe, avec une participation plus ou moins importante de chacun. Comme je vous l’ai dit, c’était une expérience décisive et assez importante, quoique, aujourd’hui, je ne puisse pas évaluer le résultat esthétique du film. Néanmoins, en tant qu’expérience d’amour du travail, en tant que sacrifice et acte désintéressé collectif, c’était inoubliable. C’était des nuits et des nuits. Les gars quittaient leurs boulots, des activités professionnelles très dures, et se concentraient jusqu’à très tard dans ce travail. Cela peut faire rire un cinéaste professionnel aujourd’hui, ou même les cinéastes de Lisbonne, mais je crois que tout commence sérieusement ainsi dans la vie.
J.C.M. – Je ne suis pas de Lisbonne, et, pardonnez mon insistance, mais j’aimerais que vous détailliez davantage votre travail de repérage géographique en ce qui concerne l’Auto da Floripes.
A.R. – De la même manière que nous, aujourd’hui, faisons un travail d’étude d’ambiances de lumières, de champs focaux, par exemple, nous savions que le temps de représentation théâtrale constituait une grande entrave pour le temps de découpage cinématographique. Nous savions aussi que l’Auto avait des points fondamentaux, des points cruciaux tant du point de vue théâtral que du point de vue d’une éventuelle transposition cinématographique la plus détachée possible de toute ambigüité linguistique. Cela nous a obligé à ne pas perdre a priori ce qui était vital. Les grands mouvements chorégraphiques, les plans rapprochés des acteurs ou des groupes d’acteurs à considérer étaient, par moments, davantage cinématographiques que théâtraux. Nous n’étions pas naïfs, nous nous préparions déjà à de nombreux problèmes, et, pour cela, le repérage que nous avons fait a été extrêmement utile. Nous avons contacté, de la même façon, ceux qui allaient jouer l’Auto, nous les avons vu dans leur quotidien. L’un était tailleur, l’autre agriculteur… Il est évident que le film n’a eu une recherche que très élémentaire des aspects ethnographiques, nous pouvons même rire d’une certaine bonhomie, mais cela est secondaire.
J.C.M. – De toutes façons, cette expérience doit avoir été d’une grande utilité pour votre collaboration dans Le Mystère du printemps 2 de Manoel Oliveira.
A.R. – Dans une certaine mesure, oui. Quelque temps après notre travail au sein de la session de cinéma expérimental du Ciné-club de Porto, Oliveira m’a invité à être son assistant. J’étais assez étonné, mais j’y suis allé. Pourtant, je suis davantage tributaire du cinéma et des arts plastiques – j’ai appris plus en regardant le cinéma et les arts plastiques qu’avec ce travail, malgré tout le respect qu’il mérite. Les arts plastiques, la musique même, la poésie, m’ont été fondamentaux. Le cinéma est un art qui touche les autres arts, sans que ceux-ci s’y additionnent. Ils ont, néanmoins, des implications très fortes, et l’on finit par acquérir un esprit cinématographique qui devient ensuite indépendant, mais qui, en effet, s’apprend dans l’échange avec les autres arts.
ILS PARLENT AVEC UNE GRANDE GRAVITÉ ET SEULEMENT LE STRICT NÉCESSAIRE
J.C.M. – Les dialogues que vous avez écrits pour Mudar de Vida 3 de Paulo Rocha sont aussi le résultat d’une recherche préalable ?
A.R. – Dans ce cas, la nature des dialogues est due d’abord à l’esprit très concis que j’ai développé en écrivant de la poésie. Son aspect désincarné est aussi particulier de la région des « vareiros » de Aforada 4, que je connaissais. Il y avait une certaine affinité avec la manière de s’exprimer de la région parce qu’ils parlent avec une grande gravité et ne disent que le strict nécessaire. Au delà de ça, Paulo Rocha allait traiter un thème que j’avais étudié dans mon adolescence, et cela a été déterminant. J’ai pratiquement toujours écrit les dialogues comme les gens parlent. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de silences, beaucoup de staccatos, une ponctuation cinématographique. En effet, je crois que j’ai créé un dialogue pour le cinéma. Avec cette chance aussi : dans l’expression poétique j’étais très économique et connaisseur des vices de l’utilisation du dialogue en tant que support pour beaucoup de films. J’étais, pour ainsi dire, alerté contre ce type de danger. J’ai écrit, par contre, les dialogues avec une grande spontanéité, presque sans avoir eu besoin de les retoucher. C’était comme si j’avais appris une discipline, absorbé cette discipline et comme si j’étais capable d’écrire sans qu’elle me limite. J’ai respecté, y compris, le temps qu’une image allait avoir, l’espace qu’elle prendrait, etc.. Intuitivement. Mais, curieusement, je voyais le film de Paulo. Certainement, le film que je voyais n’avait rien à voir avec le film que j’ai vu, mais ce travail m’a apporté une grande discipline visuelle.
J.C.M. – Y-a-t-il eu un travail de recherche de vocables et d’expressions populaires ?
A.R. – Non. Dans la Torreira il n’y a pas eu ce travail. Mais il n’y a pas de différences de dialecte entre les habitants d’Aforada, qui sont venus de la côte atlantique de cette région, et ceux de Torreira, où se passe le film de Paulo. Il y a, évidemment, des différences minimes, mais elles ne sont pas du même type que celles entre un habitant de Trás-os-Montes et un de l’Alentejo, par exemple. Ce sont plus que des cousins ; ce sont des « co-frères ». Même s’il y a des différences dans le domaine des outils techniques, par exemple – je ne peux pas bien l’évaluer – il y a une grande affinité de vocabulaire. Et il y a la présence de la mer. Ce sont les mêmes gestes larges, la même violence de la vie, la même conjoncture, la même fureur dans la passion. Quand Paulo me l’a proposé, j’ai accepté de rédiger les dialogues, parce que j’allais parler de quelque chose que j’avais vécu dans cette période de rêve possible qu’est l’adolescence. J’ai fréquenté les « vaveiros » pendant plusieurs années, dans la mer, dans les bateaux de pêche 5, et cela m’a apporté une expérience très féconde. Je parlais comme eux. Jusqu’à aujourd’hui je suis capable d’imiter leur parler, et j’ai écrit un livre sur eux que je n’ai jamais publié, je suppose qu’il n’existe plus. C’était une grande leçon pour moi. Si Paulo m’avait demandé un film se déroulant à Lisbonne, je ne l’aurais certainement pas fait. À ce moment-là, au moins. Il y avait une réalité humaine fondamentale, et, dans la mesure où la linguistique nous a apporté, aujourd’hui, une telle responsabilité, je pense que, plus que jamais, il faut être profondément sérieux dans l’adhésion à un dialogue. Pas seulement par respect pour la linguistique mais aussi par respect pour le cinéma. Trop souvent les gens n’y prêtent pas attention. Moi-même, je voudrais repenser à nouveau, en fonction du film, tous les dialogues que j’ai écrits. Je voudrais apprendre de mes erreurs.
IL S’AGIT DU MÊME « QUE », DU MÊME « SI », MAIS…
J.C.M. – Que pensez-vous du portugais que l’on parle dans Le Mystère du printemps ?
A.R. – Je pense qu’il ne s’agit pas du portugais de Trás-os-Montes. Il m’est quelque peu difficile de l’expliquer, mais c’est une espèce de… de préférence. J’aimerais faire une vérification pratique. C’est une question à laquelle je ne pourrais répondre que si je revoyais le film, si je relisais le texte, mais l’impression que j’ai est que, malgré qu’il soit joué par le peuple – ce qui ne veut rien dire –, c’est une représentation de choses non populaires. Il possède une charge érudite ou pseudo-érudite, une charge paroissienne et littéraire qui, dans la diction, subit une transposition similaire à celle que subit un tableau érudit traité par un peintre populaire. Ces hommes-là ne parlent pas le « transmontano » qui, moi, m’intéresse. Ni l’archaïque ni l’actuel. C’est évident qu’il s’agit du même « que », du même « si », les expressions que le peuple dirait quotidiennement aujourd’hui, mais… Du reste, il suffit de faire un contrepoint entre ce que le texte garde et la manière dont ils parlent, et la grande tradition de la poésie orale ou écrite du Moyen Âge, par exemple, pour savoir où réside la fraude évidente. Il y a certaines choses authentiques, mais ce n’est pas un châtaignier, ni la Haute Terre ni la Basse Terre 6. Ce que je suis en train de dire est assez polémique et peut faire sourire, mais je présume que je le prouverais avec assurance si l’on me défiait de le faire. Je le dis un peu à l’improviste, mais je crois que ce n’était pas par mauvaise fois que Rodrigues Miguéis a attaqué le texte, et d’ailleurs ce n’était pas la question. Manoel de Oliveira a été profondément honnête dans ce qu’il a fait et s’est beaucoup battu pour pouvoir faire ce film, comme nous tous nous battons pour n’importe quelle chose sérieuse, mais peut-être que le texte ne mérite pas plus d’attention que ça. Ni par le fait qu’il soit joué par le peuple ni par le fait qu’il appartienne à une tradition qui se maintient plus ou moins « pseudo-mystiquement » dans cette province, comme une espèce de mauvaise herbe persistante.
J.C.M. – Oui, mais il est évident que l’influence de l’Église dans les milieux ruraux est démesurée.
A.R. – C’est clair. Mais si nous voulons aller aux racines plus profondes, je suis convaincu que l’influence qu’elle a à Trás-os-Montes est, comme n’importe où, sporadique. On ne peut rien y faire.
J.C.M. – Vous ne pensez pas, par contre, que le caractère dominateur d’un langage donné peut être subverti par le simple fait que sa représentation phonétique, gestuelle, etc., soit produite, même dans des modèles répressifs, dans le cadre d’une classe à laquelle il n’était pas destiné de prime abord ?
A.R. – Je dirais même qu’ils vont très loin, en prononçant et en disant ce texte-là. Du reste, pour ceux qui, d’habitude, ne jouaient pas l’auto et que Oliveira a choisi pour les rôles principaux (c’est le cas de Nicolau, par exemple, qui a joué le Christ dans le film), le tournage a été un apprentissage extrêmement ardu. J’ai assisté à l’effort des acteurs et à l’effort du réalisateur pour leur exiger la modélisation, l’expression phonétique, etc. Il est évident que, malgré ce travail sur les acteurs, l’accent local a subsisté à travers la prononciation, mais ne s’est pas retrouvé dans la construction linguistique et atavique.
J.C.M. – Néanmoins, le plan dans lequel la mère du Christ chante, avec tout le poids liturgique de la litanie, ce chant étonnant « ai dolor », m’a plus parlé de Trás-os-Montes, de ce pays entier, que le plus éloquent des reportages pris sur le vif.
A.R. – C’est très beau. Le travelling des deux apôtres, Pierre et Jean, aussi. Mais remarquez : vous cherchez un « ai dolor, ai dolor » qui nous renvoie à quelque chose de très authentique dans notre poésie et dans notre tradition. Avec une charge mystique, etc. Mais, en réalité, quand on parle de « ai dolor », peut–être que l’on n’est pas si loin d’une racine linguistique authentique et des « chansons de l’ami 7 ». Mais concernant l’autre charge rhétorique et ce genre d’ornements verbaux… Bien sûr, cela peut être utilisé en tant que facteur de rhétorique et d’éloquence, que l’art, en d’autres temps, a su utiliser magnifiquement. Mais cela est faillible… cela dépend du réalisateur et de l’utilisation qu’il en fait.
J.C.M. – Oliveira se laisse parfois emballer par sa fascination du texte. Il est attiré par une certaine musicalité (à ne pas confondre avec l’esprit musical), par le côté bien sonnant du mot, et n’épure pas le texte des éléments artificiels.
A.R. – Le texte a été respecté parce que cela l’intéressait pour l’expression pathétique et même littéraire et mystique. Le film – qui est essentiellement de style roman – passe du roman au gothique précisément dans ces moments plus éloquents. Il y a, dans Le Mystère du printemps, un hybridisme exploré dans ce sens-là. D’ailleurs, nous en avions parlé une fois et Oliveira était entièrement d’accord.
IL SUFFIT D’AIMER UN PETIT CYLINDRE
J.C.M. – Passons maintenant à Jaime. En quoi le choix du sujet vous a-t-il intéressé ?
A.R. – Ce qui m’a intéressé, avant tout, c’était la vie d’un homme et, sans sensiblerie, j’ai l’impression que ça ne pourrait intéresser d’autres personnes que si nous pouvions convertir esthétiquement la vie de cet homme, étant donné que, par lui-même, il ne pouvait plus se défendre ou attaquer, ou cela ne l’intéressait même pas. Je ne sais pas. Si vous me demandez pourquoi, je peux dire que je m’identifie avec son conflit et que ce conflit s’identifie pratiquement avec tous ceux qui sont dans la même situation que Jaime. Je peux aussi dire que j’ai cherché à faire un film en toute humilité, c’est-à-dire, pour le moins, que ça a été une manière de préserver, au moyen de l’enregistrement sur pellicule, les dessins qu’il a laissé et que je considère géniaux. Cela n’aurait été qu’un simple travail d’archéologie du cinéma, que j’aurais déjà été heureux, étant donné que j’ai appris qu’une grande partie de son œuvre a disparue.
J.C.M. – Je ne suis pas fin connaisseur en arts plastiques, mais il me paraît indiscutable que nous sommes devant un univers pictural d’une extrême richesse.
A.R. – Je crois qu’il suffit d’aimer un petit cylindre de la Mésopotamie pour « sentir » que Jaime est un artiste de génie. Mais celui qui vibre avec ces seaux d’argile antiques vibre avec les peintures de Lascaux, Altamira, Giotto, Rousseau, Léger, Séraphine Louis… Le bestiaire de Jaime, avec son aurignacien et son magdalénien, est, en même temps qu’un défilé d’archétypes, l’un des plus singuliers de l’histoire de l’art. Et son esthétique « fauve » ou expressionniste, si elle n’a pas été contemporaine de ces mouvements européens, ne leur doit rien non plus. Son temps historique et psychologique était autre. Était autre son espace de grotte, souterrain ou sidéral, rempli de nuages, à l’intérieur duquel voyageaient, rêvaient et souffraient 1000 hommes.
J.C.M. – Nous avons, donc, d’un côté, votre intérêt pour les arts plastiques…
A.R. – Cela m’a toujours profondément intéressé, mais je n’ai jamais réussi à voir le Jaime peintre séparément de l’homme, et cela va jusqu’à me poser un problème : Jaime a commencé à peindre à 65 ans mais il y a toute une vie derrière. Je n’ai pas pu saisir ce qui a déterminé sa peinture, mais en étudiant de plus près sa vie, le lieu où il est né, le lieu où il a été hospitalisé, j’ai pu vérifier que sa peinture était profondément déterminée par ces facteurs. Et comme les œuvres d’art sont peintes par quelqu’un (un tracé est fait sous la pression d’une émotion), ce qui m’intéressait était de savoir ce qu’il y avait derrière le peintre. Peut-être pour trouver un sens plus profond. Je ne me trompe pas. Cela ne veut pas dire que celui qui ne connaît rien de la vie de Jaime ne peut pas aimer ou évaluer ses œuvres. Mais s’il est vrai qu’un symbole plastique abstrait ou concret représente, la lutte pour cette représentation est de trouver sa poésie ou dialectique. Ce que l’on a essayé était plus une dialectique de la peinture de Jaime, avec toutes ses implications poétiques, dramatiques, biographiques, etc. C’est pour cela que je trouve injuste que l’on ne considère pas Jaime comme un film de fiction. Ce n’est pas une histoire narrative, mais c’est un film où tout a de l’importance. Même son propre aspect usé, sans préciosité. Il me semblait un attentat à la réalisation d’un travail de ce genre que de le faire reposer sur la préciosité. Je ne veux pas excuser le manque de vernis du film, le manque de retouches, mais c’est une espèce de pudeur qui a dirigé la conception esthétique elle-même. [Tout comme Jaime,] j’ai aussi travaillé avec des stylos à bille ordinaires.
LUI DONNER LA DIGNITÉ D’UNE STATUE
J.C.M. – J’ai l’impression que cette sorte de pudeur que, très justement, vous ne dissociez pas d’une conception esthétique, possède des résonances très profondes dans le mouvement global du film. Cela est très évident dès le début, quand la caméra se positionne devant la cour de l’hospice, obéissant à une réflexion d’ordre morale qui pourrait être jugée en termes de recherche du lieu précis – le lieu qui simultanément détruit la notion de frontière de la même façon qu’il détruit le propre rectangle du cadre et qui prépare, si l’on peut dire, la série de jeux circulaires, sans début ni fin, sur lesquels l’espace filmique entier s’articule.
A.R. – On peut dire que l’on s’enfuit partout, effrayé par ce que l’on voit, ou pour ne pas être vu. On ne peut pas montrer l’espace entier. Il s’agit d’une sélection visuelle, il n’y a pas d’étendue suffisante. Le compromis de l’utilisation de la caméra à l’épaule, qui représente dans une certaine mesure l’inattendu du regard humain, nous a paru la manière la plus juste d’arriver à une certaine observation brute. La propre perspective nous blessait, la profondeur de champ, tout ce qui allait servir de passage ou de modélisation. Il y a une espèce de travail minutieux dans le plan, qui le réduit à l’essentialité. Il est évident que l’on aurait pu réaliser la séquence en continuité, mais tout cela impliquait beaucoup de choses inutiles dans le champ. Et je ne pouvait pas diriger les malades comme je l’ai fait, en obtenant la propre sublimation d’un oligophrène, en lui donnant la dignité d’une statue de Henry Moore, ce que la maladie parfois ne permet pas. Elle repousse beaucoup de monde, mais, en tant qu’être humain, elle me touche profondément, par sa fatalité et sa merveille.
J.C.M. – Une autre chose qui m’a particulièrement impressionné dans le film est le fait que la maladie n’est jamais présente.
A.R. – Il n’y a pas de malades dans le film. Il n’y a pas de « normaux » ni d’« anormaux ».
J.C.M. – Le seul référentiel, ce sont les uniformes. Dans le plan chez le barbier, par exemple, les gestes de travail sont identiques entre les barbiers professionnels et les internés, et nous ne distinguons la vraie situation de chacun que parce que certains portent des uniformes et d’autres, non.
A.R. – Sur ce point, j’aimerais attirer l’attention sur le fait que l’on peut rencontrer des figures les plus admirables, des figures qui pourraient appartenir à la grande statuaire romane ou baroque, dans les hommes banals. Du reste, si j’ai eu une préoccupation, ou un principe moral, c’était de brouiller et de détruire la frontière de la normalité et de l’anormalité, sans parti-pris, mais pour la simple raison que cela me tenait à cœur, parce que je suis d’ailleurs convaincu qu’une grande partie des anormaux se trouve ici, à l’extérieur, et que beaucoup de normaux sont hospitalisés. Je juge cette division à la limite raciste. C’est l’un des grands problèmes de notre temps, n’importe où dans le monde. Essayer de détruire ce préjugé était très important pour moi. Nous devions, certainement, penser profondément à la place sociale privilégiée que les dits malades mentaux occupaient dans les communautés étudiées par les anthropologues. J’ai travaillé avec eux avec beaucoup de joie. Ils étaient remarquables sur tout ce que je leur ai demandé et d’une grande aide.
CE SONT DES HOMMES AVEC UN NUMÉRO
J.C.M. – Et il n’y a pas eu, parfois, une certaine étrangeté et une curiosité malsaine de la part de l’équipe de tournage ?
A.R. – Peut-être une étrangeté seulement, la première fois, lors du premier contact. Mais après, tous se sont sentis comme s’ils étaient entre amis.
J.C.M. – À la fin du panoramique, chez le barbier, vous avez parlé de frise, et, en effet, les figures sont alignées comme dans une frise.
A.R. – C’est encore une métaphore de Jaime en train de peindre, dont nous pouvons écouter l’obsession et la fascination dans la bande sonore. Et les figures qui y sont encore sont les figures obscures que Jaime disait peindre. Dans son œuvre expressionniste il y a un contrepoint entre la peinture animalière et l’humain. Les parties animalières sont des archétypes de la province, de n’importe quelle époque. Et les figures expressionnistes ne sont pas seulement ses camarades d’hôpital, mais les camarades de n’importe quelle caserne, d’un hôpital que ne soit pas d’aliénés, d’une prison, d’un orphelinat, etc. Ce sont, disons, des hommes avec un numéro.
La frise qui apparaît à la fin du panoramique est celle de l’homme soumis à l’autorité. L’autorité de l’époque, ou non. La construction du film part de et revient aux dessins. C’est-à-dire qu’il n’y a pas les dessins d’un côté et la vraie vie de l’autre. On y arrive et on en sort librement. Tout fait partie de l’unité du film. Il y a dans la mise-en-scène une stylisation des figures de Jaime et, dans les figures de Jaime, par la stylisation qui s’est opérée, la réalité de l’hôpital finit par être reflétée. Je donne un exemple : dans la séquence initiale en sépia, toutes les figures ont été dirigées non pas pour être belles – quoique, pour moi, c’était important de l’obtenir – mais pour être dirigées avec la rigueur avec laquelle un réalisateur dirige ses acteurs professionnels. Ce ne serait pas par l’exigence des raccords ou du rythme du film, mais par l’exigence de l’ascèse que les figures possèdent dans la noblesse de l’attitude, l’ascèse plastique que Jaime leur a conféré. C’est peut–être pour cela que j’ai réussi à créer une atmosphère générale située entre l’art plastique et le réel, à travers cette interférence mutuelle. Les propres figures deviennent d’autant plus humaines que sculptées.
LE GRAND DÉCLIC DU FILM
J.C.M. – Cela est fabuleux dans la séquence qui s’ouvre avec la figure enveloppée d’un manteau coloré au premier plan. On dirait que son geste extrêmement grave de soulever le bras est ce qui commande tout, introduisant dans le film une nouvelle dimension ; vous dites « moteur », mais c’est elle qui paraît commander l’action.
A.R. – Cette figure est « Dieu ». À mon avis, c’est l’une des séquences les plus complexes du film. D’abord, c’est une séquence métaphysique. Elle est en germe dans la séquence précédente. La porte et le jeu de clair-obscur avec l’auvent représente véritablement une mort symbolique de Jaime. C’est, si l’on veut, l’« Au-delà ». C’est aussi du théâtre, et cela a une explication. Cela peut également être une activité ludique des internés. Du propre réalisateur. C’est une séquence qui, jusqu’à aujourd’hui, me fait penser. Elle est surtout la possibilité de rentrer dans la transfiguration qui s’opère par la suite dans le film. C’est le grand déclic du film, puisqu’elle commence avec grande gravité et se banalise quand nous découvrons les bains. Mais, soudain, nous comprenons que c’est le tombeau de Julien de Médicis parce que tout cet albâtre se transforme en tombeau profane. C’est une mort remplie de dignité.
J.C.M. – Vous passez de l’extérieur vers l’intérieur avec un travelling porté qui finit au fond de la baignoire et se termine par un raccord…
A.R. – … avec le bateau. Cette séquence est, pour ainsi dire, une descente au Léthé. Le petit chien qui apparaît représente à la fois l’enterrement de Jaime et son entrée dans l’hôpital. Si vous vous en souvenez bien, il y a le « fleuve » de lettres qui fait contrepoint avec ce fleuve et fait raccord avec les dessins. C’est aussi une introduction aux dessins.
J.C.M. – Le fond de la baignoire est donc lié au fond du bateau.
A.R. – Et quand on revient au petit chien, il y a une eau boueuse similaire à la couleur marron du fond de la baignoire, entre autres. Aussi importants que les raccords dynamiques du film sont les raccords chromatiques qui, en même temps, servent à la dynamique que le film exige et la dynamique que les arts plastiques exigent. Ces raccords sont de similitude et d’opposition. Parfois, il semble que le film se défait, mais, en vérité, non. Dans ces moments, d’autres valeurs sont en jeu. C’est le cas de la séquence des petites bottes. Soudain, nous nous trouvons dans l’Assyrie, avec tous ces pieds qui sont une représentation plastique de la Mésopotamie.
J.C.M. – Cela a aussi un rapport avec les ponctuations purement musicales.
A.R. – Cela m’a fasciné quand j’ai senti que les formes se provoquaient entre elles, sans devenir autonomes. Le film nous a toujours échappé. Jaime, aussi, paraissait s’échapper.
J.C.M. – Comme tous ceux qui sautent dans le vide et qui traversent plusieurs morts.
A.R. – En effet, il meurt plusieurs fois. Un sous-titre dit qu’il est mort huit fois 8. D’autres écrits disent qu’il est mort plus de cent fois. C’est comme nous qui mourons un peu tous les jours. Lui même sentait qu’il mourait plusieurs fois là-bas. Nous pouvons l’analyser du point de vue du délire ou du diagnostique de la maladie (Jaime était un schizophrène paranoïaque), mais dans notre vie nous le disons aussi sans arrêt. Nous mourons et nous naissons – comme le travelling final. C’est la Renaissance, Assise, Giotto, Fra Angelico, c’est une eau lustrale de champ, de fleurs, c’est, encore une fois, l’arrivée dans les orties, en fleurs elles aussi, dans la partie finale.
J.C.M. – Cela m’a rappelé les grandes poètes du cinéma soviétique. Dovjenko peut–être…
A.R. – Je ne connais que Tempête sur l’Asie de Poudovkine, Ivan le Terrible et Alexandre Nevski d’Eisenstein. Et une chose intitulée Joyeux Garçons d’Alexandrov. Je n’ai presque rien vu.
J.C.M. – Moi non plus, mais cela est secondaire. Ce qui m’a le plus impressionné est la justesse de la vitesse du travelling. Soudain, c’est tout l’espace qui s’ouvre, à plein poumons, à tout, avec une énergie hors du commun dans ces plages occidentales…
A.R. – Mais si vous vous souvenez bien, nous étions toujours dans un espace neutre, dans un espace plastique, dans un espace architectural fermé, dans un espace parfois obsessif.
CES GENS VIENNENT DE LÀ OÙ IL Y AVAIT DES BRUYÈRES
J.C.M. – Mais vous cassez de manière constante, quoique différemment, sans le ton haut de la provocation cosmique qu’est le travelling, la tension de ces espaces claustrophobiques ! Je me souviens, par exemple, de l’insertion d’un plan des bruyères de l’extérieur, dans la séquence de la cour, qui est d’ailleurs l’introduction de la première note de couleur dans le film, ou le premier accord de couleur si vous voulez.
A.R. – Tout de même, c’est un raccord sentimental, avec l’image du jeu avec le petit chat. C’est aussi, dans cet espace sépia, une espèce d’appel : ces gens viennent de là où il y avait des bruyères, ou d’où l’on peut encore rêver de bruyères, ou d’où, malgré tout, malgré toutes les conditions dans lesquelles les hommes vivent, il y a toujours des bruyères, il y a toujours de l’eau. Ou il doit y en avoir ! Peut-être l’homme qui caresse le chat en avait un, ou peut-être qu’il caresse la bruyère. Cela dépend du délire du spectateur. Je ne sais pas. Je ne peux pas l’imposer.
J.C.M. – La présence d’une césure entre les êtres et les choses, la flagrante brutalité de cette coupe est particulièrement angoissante dans le film. Je pense que, quand vous parlez de raccord sentimental, vous touchez à son mouvement le plus profond – celui de l’évocation (qui n’est pas juste nostalgique) d’une unité perdue. Il est inutile de rappeler que cela est peut-être le mouvement le plus fécond de tout l’art moderne, celui qui va de Rimbaud à Klee, en passant, par exemple, par Pessoa, Brecht, Godard, Joyce, Stockhausen, Char, etc. Mais je juge ne pas trop me tromper en osant dire – et ne le prenez pas comme une appréciation enthousiaste – que quand vous rétablissez fictivement cette unité, vous inventez les plus beaux faux raccords de l’histoire du cinéma, à mon humble avis.
A.R. – Aujourd’hui nous sommes comme les personnes couvertes de cendres. La conception anthropocentrique commence à être surmontée tellement tardivement, comme si les civilisations millénaires ne l’avaient jamais eue. C’est comme si nous nous étions réveillés trop tard, pour nous rendre compte que l’homme appartient à une toute petite chose qu’est la terre, dans un grand phénomène de la vie de l’univers. Moi, homme, c’est peu. Et c’est immense…
UN PEU COMME KEATON FAISAIT DANS LES GAGS
J.C.M. – Parlons, par exemple, de l’eau. Les variations de l’intensité de l’eau, la distribution des régions fluides, tout au long du film, obéissent à des valeurs très proches des recherches formelles de la musique moderne (je pense à Stockhausen 9), mais permettent aussi un inventaire très fécond d’une anthropologie structurelle de l’imaginaire.
A.R. – Parfois, c’est juste l’eau que l’on boit, d’autres fois, c’est l’eau qui nous emporte. Dans le cas de Jaime, l’utilisation de l’eau vient du fait qu’elle est obsessivement présente dans ses écrits. Il est né au bord d’un fleuve, il y a pêché plusieurs fois, il a plusieurs fois arrosé les champs avec ces eaux. L’eau, dans le film, est un symbole, y compris dans sa couleur ou dans son cours. Prenons l’eau de la fontaine. C’est une fontaine banale, mais, quand je l’ai vu, elle m’a paru être une chose horrible. Aujourd’hui, je trouve fondamental que la fontaine existe dans ce lieu. Soudain, c’est le fil de la vie, un sablier, c’est une eau que ce dieu [l’homme qui porte le manteau], disons, dit arrêter. L’eau du fleuve est l’eau des corbeaux, des racines arrachées et des nœuds des branches. Quand on voit le panoramique de la montagne… par cette montagne il y a beaucoup d’eau qui s’est écoulée, beaucoup de sources. Jaime est né au bord du Zêzere 10 et a toujours été lié à l’eau. Mais si l’eau permet une signification immédiate, si elle dénote quelque chose, elle le connote aussi. Je pense que ce qui est fondamental, dans tout le film, c’est que la signification immédiate de chaque plan soit détruite par le jeu d’associations et de contradictions qu’ils établissent entre eux. En ce sens, il me semble qu’il existe un peu de ce que Keaton faisait dans ses gags, c’est-à-dire : le film est toujours en train de nous échapper. Le spectateur n’a pas le temps de saisir les plans, de les savourer parce qu’ils sont agréables. Il faut les saisir dans l’ensemble du film. Il y a des conclusions qu’il n’aura que plus tard, d’autres qu’il sera forcé d’abandonner. Cela n’a rien à voir avec de la complexité. C’est comme ça que nous l’avons senti, c’est comme ça que nous avons travaillé. Il n’y a pas d’intellectualisme d’aucun genre. Il y a de la connaissance, mais de la connaissance qui a été utilisée comme un outil qui s’améliorait, afin que l’on atteigne la fin que nous voulions. Ce n’est pas un film difficile, sans pour autant être un film linéaire.
« J’AI LAISSÉ LES COFFRES »
J.C.M. – Justement parce qu’il exige un énorme travail de lecture, c’est un film fascinant (ce qui ne veut pas dire qu’il cède à la fascination, plutôt le contraire), surtout quand vous vous occupez d’indiquer patiemment quelques pistes. Ainsi, je voudrais que vous parliez un peu de la séquence de la maison de Jaime.
A.R. – La séquence des coffres. « J’ai laissé les coffres. » C’est le même cas que pour l’eau. Apparemment, c’est le coffre en bois, mais c’est le ventre d’un animal, une maison que l’on a laissée, un rêve qui a été violé, un paysage qui est resté. Quand il dit « j’ai laissé les coffres, » pour moi, c’est tout ce qu’il a été obligé de laisser. Le coffre est refermable, mais il les a laissés ouverts, il les a laissés au temps. La preuve, c’est que dans les dessins les figures des animaux sont aussi des coffres. Le bateau est un coffre, la maison, trouée ou pas, l’est aussi.
J.C.M. – Le plan final de la séquence, montrant le plafond, complète cette boucle, mais le parcours peut être effectué dans toute sa multiplicité des sens : il y a le réel, il y a le surréel…
A.R. – S’il s’agit du surréalisme comme une dimension de l’homme pour altérer le réel, pour y ajouter ce qui demeure dans les profondeurs et dans les altitudes, et non pas proprement le verre que l’on saisit, mais le verre qui nous coupe, le verre avec lequel on a bu, le verre que l’on transfigure, la séquence est surréelle : l’ensemble de la construction des plans forme aussi un coffre, un coffre cosmique, un coffre de rêve.
J.C.M. – Le parapluie ouvert, à l’intérieur, sur le cercle de maïs…
A.R. – Ce n’est pas le parapluie dada. Le parapluie est un outil des pauvres, c’est un outil utile, un outil poétique. L’enfance est pleine de parapluies, du parapluie avec les petits trous sous lequel tenaient quatre ou cinq enfants au retour de l’école, au parapluie qui se met derrière les portes. Je ne sais pas. Le parapluie des rémouleurs dans les marchés, le parapluie des villes sans gabardines, le parapluie de l’Extrême Orient… Le parapluie est un champignon, un arbre, et dans ce cas-là, fondamentalement, c’est aussi le noir sur le jaune.
J.C.M. – Mais on ne le dit pas que le parapluie ouvert à l’intérieur de la maison est un porte-bonheur ?
A.R. – J’ai toujours entendu : « n’ouvrez pas le parapluie à l’intérieur de la maison parce que ça apporte de la malchance ! ». Dans ce sens peut-être que Jaime a eu de la malchance. Mais quand il dit qu’il a laissé les coffres – et Jaime avait le délire des mines d’or – il n’a pas pu y avoir, sans paraphraser Guerra Junqueiro 11, meilleur or que le maïs. J’espère qu’un jour l’or de cette terre soit le maïs, et non pas l’or de l’Afrique du Sud.
Et, soudain, toutes ces portes se sont fermées, tout était en bois merveilleux. Soudain, je me suis rappelé de laisser libre cours à l’imagination. D’ailleurs, pendant l’enfance, j’ai vu faire sécher beaucoup d’épis de maïs à l’intérieur de la maison, parce que quand il pleuvait, il fallait les récupérer sur les aires de séchage. Quand j’y ai mis le maïs, je me suis rappelé du parapluie, et quand je l’ai placé là-bas, je me suis rappelé des grand accords modernes du jaune et du noir. Tout a commencé à converger vers une émotion profonde. Après, c’est tout ce que l’ombre du parapluie a emporté, dans la mesure où tout s’organisait autant cinématographiquement que plastiquement. Quand Jaime délirait, il prenait une pioche et piochait le ciment de l’hôpital pour découvrir une mine d’or. J’ai aussi eu mon délire. J’ai pris la pioche… Je n’en ai pas honte. N’oubliez pas que cette séquence commence avec l’œil du petit âne, et immédiatement l’œil de l’âne devient l’œil humain.
J.C.M. – On sait qu’il s’agit d’un animal, mais l’on n’arrive pas à savoir qu’il s’agit d’un âne.
A.R. – Non, on ne le sait pas. Mais ce début, sans changer de plan, devient vite une ellipse. Cet œil de l’animal devient immédiatement l’œil de l’observateur. Dans le premier plan de la maison, c’est le petit âne qui voit le maïs jaune et le parapluie, mais dans le plan suivant, automatiquement, c’est quelqu’un qui observe, à travers une serrure, les coffres de Jaime. Au fond, ce sont aussi les coffres de notre enfance. Le mot « coffre » est très beau 12.
J.C.M. – Et la chèvre ? Et les pommes pendues ? Et la machine à coudre ?
A.R. – Ce sont les trois pommes en or. Il s’agit de trois planètes. C’est le jaune nécessaire au milieu de ce marron immense. La machine à coudre n’est pas celle de Fernando Pessoa, ni celle des films expressionnistes. C’est… Les pommes sont les pommes du village que l’on pend au plafond pour qu’elles ne pourrissent pas. Je ne sais pas si vous avez déjà été dans une grange… mais quand ce n’est plus la saison des fruits, nos oncles des villages les mettent entre les pailles des hangars pour qu’elles durent, et que l’on mange des fruits toute l’année. Et il y a, dans la maison, un tel parfum !
Tout était abandonné : c’était la maison que Jaime, dans une certaine mesure, avait laissée. Il fallait du jaune dans cette maison, il fallait amener trois fleurs à Jaime. On dirait que je raconte des histoires ou que c’est de la littérature, mais si vous voulez l’appeler affection, amour pour Jaime, dites-le, quoique, dans le film, on interprète différemment les pommes.
LA GÉNÉALOGIE DE LA CHÈVRE
J.C.M. – Cela me rappelle un poème de René Char que j’ai vu un jour écrit sur un tableau à l’intérieur d’une maison qui sentait, curieusement, les pommes. Et la chèvre ?
A.R. – Si vous voulez une dimension mythologique pour la chèvre, si vous voulez aller très loin, nous irons au delà des Celtes. Je me moque bien des gens qui s’intéressent à leur arbre généalogique, moi, je m’intéresse à la généalogie de la chèvre.
J.C.M. – Mais pour arriver aux Celtes, il aurait mieux valu avoir un porc.
A.R. – Un porc ne me servait pas dans la poétique des relations. La chèvre était aussi Amalthée. Et Diane n’est pas très loin. Pan se promène aussi par ces monts 13.
C’est aussi une actrice. C’est la chèvre perdue parce que Jaime était pasteur. On pourrait encore dire que c’est de la littérature, mais remarquez qu’un temps assez large a été consacré à la chèvre. Elle va jusqu’à manger son ombre. Et elle entend des voix. Elle entend des voix. Il y a une voix, dans Gesang den Jünglinge de Stockhausen, qui débute sur elle [dans la bande sonore]. Elle est belle aussi. Plastiquement, c’est une merveille. Et c’est une chèvre mise dans une maison. C’est aussi l’un des coffres. C’est le coffre à l’intérieur du coffre. Et il y a cette respiration profonde qu’elle a. Il y a l’espace fermé. Il y a le grand coffre ouvert que nous avons vu précédemment, le grand coffre ouvert et terrible, qui est presque un cercueil, le lit diamétralement opposé.
J.C.M. – Pour moi, c’est la plus belle actrice du cinéma portugais.
A.R. – Et elle finit justement par manger son ombre. C’était un scandale. Vous n’imaginez pas le travail pour la tenir. Nous avons eu besoin de la prendre dans nos bras pour lui faire monter les deux étages. Et nous lui avons permis de vivre avec nous, comme autrefois. Dignement. Les gens n’ont que des chiens de luxe chez eux. Je ne sais pas pourquoi. Ils pourraient avoir une chèvre. Picasso aimait beaucoup les chèvres. Et il avait raison. Il vivait avec elles. Mais c’est un plagiaire. La chèvre avait même le caca beau. Sans blague. C’est un très bel animal. Sans aucune malice, on nous a même demandé si nous ne voulions pas lui faire dire « meh »…
J.C.M. – Vous auriez pu lui faire dire « Meh »lo Neto 14. Ou plutôt non. Elle pouvait devenir trop vaine, ou excessivement triste.
A.R. – Je n’en sais rien. Évidemment, dans toute la séquence, il n’y a que deux couleurs. Elle est construite – même pour faire opposition aux couleurs fortes de la peinture de Jaime – entièrement sur des tons graves, d’où ressortent les couleurs vives des pommes et le rouge du fil du dévidoir. Rien de plus. Ce sont ces couleurs fondamentales avec lesquelles, souvent, d’une seule tonalité, un peintre tient toute une composition.
UN FILM EN COULEUR SUR LES COULEURS
J.C.M. – Un autre aspect qui me semble intéressant dans le film, c’est tout son jeu chromatique.
A.R. – Justement, dans la séquence avec l’apparent menuet de Telemann après les pleurs pathétiques de la veuve, une certaine grâce, quoique menacée, fait irruption dans des plans très courts avec des tâches bleues…
J.C.M. – Je suis désolé de vous interrompre, mais je voudrais introduire une parenthèse : dans le plan de la veuve, quand on pressent qu’elle est arrivée au bout de ses forces animiques et qu’elle va s’effondrer, vous coupez immédiatement…
A.R. – J’ai répété ce plan six fois, mais c’est très difficile de demander à une personne de 71 ans – qui, à l’âge de trente et quelques années, ayant eu une ribambelle d’enfants, s’est vue privée de son mari – de l’appeler comme s’il était dans les champs.
J.C.M. – Les tremblements qu’elle a sont très étranges.
A.R. – Elle les a, mais nous étions en train d’exhumer son mari. Elle allait souvent l’appeler en criant dans les champs. C’était une très grande perte et, après tant d’années, le fait que nous décidions de faire un film sur son mari et de frapper à sa porte avec tout le matériel sur le dos, est, comme vous vous en doutez, d’une violence très grande. Et ne dites jamais que dans le film cet aspect est documentaire, parce que cela me fâche. Cela n’a rien à voir avec le documentaire, ni le documentaire biographique, ni rien. C’est une espèce de mémoire et d’imagination.
J.C.M. – Revenons à la question de la couleur. Reprenons là où vous la tuez : dans la séquence du monochromatisme sépia.
A.R. – La raison de cette séquence en sépia s’approche de la « réalité » si l’on considère de nombreux facteurs… Voyons-en, au hasard, quelques uns : les habits marrons des internés ; l’espace architectural presque métaphysique ; l’absence de couleur vitale dans l’infirmerie ; la presque irréalité du « monde » dans lequel Jaime a vécu, dans la joie de ceux qui s’y trouvent et s’y identifient ; une oxydation évidente dans la noblesse de certains vieux tons du cinéma muet ; sans couleur, encore, dans un film en couleur sur les couleurs ; antinomie pour la séquence « Et moi qui rit… » et le chromatisme fauve de Jaime, une intention de gravure en eau-forte ; une séquence-métaphore, un flash-back renvoyant à 1938 ; un raccord essentiel de tonalité avec le portrait initial de l’artiste, l’année de son hospitalisation, et avec sa première phase « Personne que moi 15 », le filtrage d’un réalisme immédiat et poétique ; une réduction qui devient expansive ; une homogénéisation psychosocial ; une poétique et une dignification…
N’AVOIR À RIEN EXPLIQUER, DANS L’ESPOIR
J.C.M. – Je voudrais vous demander, si cela ne vous gêne pas, de parler un peu des relations structurelles entre les images et les sons du film.
A.R. – C’est difficile pour moi de mettre en mots cette structure. Les structuralistes, plus neutres, plus méthodiques, seront davantage capables de le faire… Vous savez que dans un film qui n’a pas de son direct la porte reste ouverte à l’imagination la plus folle ou à la sonorisation la plus imbécile. Il n’y a pas de complémentarité dans la relation image/son de Jaime. Il n’y a même pas un seul pléonasme : ni même quand Armstrong chante « white table » et qu’une table blanche apparaît. À propos de l’imagination libre et de comment éviter la sonorisation imbécile, je voudrais que l’intégration de St. James Infirmary 16 dans la deuxième séquence du film et dans le passage à la troisième séquence soit bien pensée. Vous savez, au-delà de la musique, des dialogues, des bruits, nous avons utilisé comme matière sonore de grandes forêts de silence. C’est tellement intense et chargé, ce silence avec des timbres, comme le Stockhausen le plus hallucinant. La structure image/son dynamise une transformation permanente. Elle amène toujours au-delà (ou en deçà) du moment ou du sens du plan, de la scène ou du film entier.
Par exemple : le dernier dessin de Jaime, le retour à l’origine, la mort, se termine avec un travelling en avant submergé par un fondu au noir, martelé par le tam-tam de Stockhausen. Or, le plan suivant montre une horloge dans la façade de l’hôpital, qui marque une heure du matin (donnée biographique, l’heure à laquelle Jaime est vraiment mort). On entend un premier coup venant de l’horloge, mais, ensuite, dans le psychodrame de la rencontre manquée au séchoir, dans l’adieu impossible entre Jaime et la Femme, à partir du deuxième jusqu’au huitième coup, ce sont des coups de cloche de village, annonçant l’angélus, sonnant pour les morts… Au neuvième coup, il s’agit de nouveau d’un carillon d’horloge : il est neuf heures, et nous nous trouvons chez le barbier où l’on travaille de manière acharnée et où un ancien camarade de Jaime, à la fin de ce dernier coup de cloche, laisse reposer la tête en arrière, en repos, et évoque l’artiste.
Sans spéculation, mais puisque vous avez parlé de structures (et elles sont de tant de natures différentes !), il faut relier le déroulé de la marcation scénique et de l’action et sa dialectique avec le son : au deuxième coup de cloche, un interné (Jaime) sort deux pots à café ; au troisième, il cueille un pissenlit ; au quatrième, il disparaît, pour toujours derrière les draps (frontière transparente et opaque de la vie et de la mort) ; tout au long des cinquième, sixième, septième et huitième coups, une autre internée (comme si c’était la Femme) rentre dans le cadre. Elle offre, soulève et reste perdue avec son panier, les prémices de la terre, de l’amour… Cette durée de la poétique et de la mystique rurale, jouée par les internés, possède des vagues successives de sens, selon moi seulement possibles par la dialectique entre image et son s’entredévorant, se transformant. C’est abusif de continuer à disserter sur « ça », et le plaisir a été de faire, de découvrir, de désespérer, de n’avoir rien à expliquer, dans l’espoir que les autres le ressentiraient, l’écouteraient.
IL PASSAIT SON TEMPS À ÉCRIRE
J.C.M. – Il y a aussi une relation permanente entre les éléments écrits, entre une graphie, de suggestion plastique, et une phonétique, de suggestion musicale. Au fond, cela finit par être tautologique : c’est toujours une relation entre images et sons.
A.R. – Si l’œuvre plastique de Jaime permet une dynamique de l’image, son écriture permet un autre type de dynamique : soit pour rêver avec les phrases qu’il a laissées écrites, soit comme phénomène d’illusion qui est par soi-même une autre plastique psychique de Jaime. Cela exigeait aussi un traitement cinématographique. Cela exigeait un rapport à Jaime et à ce que cela veut dire. Il y a une séquence où cinq types de graphies différentes s’enchaînent.
J.C.M. – En réalité il y en a plus: la ligne de la courbe graphique médicale, par exemple, joue avec la ligne du mont, malgré qu’elles soient des lignes opposées : l’une est cassée, pleine d’arêtes, l’autre est ondulée, aux contours suaves.
A.R. – Exactement. Cela est très important. Jaime faisait ses graphiques plastiques. L’hôpital aussi, pour déterminer scientifiquement son état de santé. Et il y avait les graphiques de la nature d’où Jaime s’inspirait et qui, au-delà de Jaime, ont toujours existé. Tout est toujours en relation. Même dans la séquence des lettres superposées, les lettres entourées forment un bateau sur le Zêzere allant jusqu’à toucher un quai, mais qui, simultanément, constitue un raccord nécessaire pour que la plastique de Jaime rentre pour la première fois dans le film. J’ai eu besoin de cet élément pour encastrer le fleuve, mais cela m’a en même temps servi de porte pour les arts plastiques. Le graphisme demeure dans les deux choses. C’est l’écriture de Jaime qui le détermine. Ce sont des choses apparemment plus subtiles, mais qui ne sont en rien subtiles. Et Jaime ne dissociait pas le mot écrit de l’image dessinée. Il passait son temps à écrire.
NOUS NE SOMMES PAS À VENDRE AUX ENCHÈRES
J.C.M. – Je sais que vous préparez un film sur le nord-est de Trás-os-Montes, qui s’appelle précisément Nord-est 17. Pourriez-vous nous parler un peu de cela ?
A.R. – Je ne peux pas garantir que ce soit un film décent, comme Jaime. Ce que je peux dire, c’est que nous sommes engagés dans la même lutte et que je considère comme un devoir historique – même par respect envers tous les « Nord-est » qui existent encore dans le monde – que l’on soit à l’heure. Perdre des valeurs d’imagination, des valeurs poétiques, ludiques, architecturales, de faune et de flore… perdre ce Nord-est est comme perdre pour toujours des espèces de la nature, et un jour peut-être que nous souffrirons terriblement à ne les voir que dans des albums, si compté qu’ils existent. Nous tous deviendrons profondément pauvres. Ça ne m’intéresserait pas du tout que le Portugal ait le plus grand PIB du monde si, demain, l’authenticité des provinces comme le Nord-est se perdait – pas l’authenticité du point de vue ethnographique ou régionaliste, mais l’authenticité de ce que représente la valeur humaine, dans la civilisation, et la valeur géographique, de la terre. Et je ne le dit pas à la légère, parce que depuis 1957 je suis lié au Nord-est. C’est horrible de sauver un chapiteau roman pour le mettre dans un musée. Un chapiteau était un élément d’une colonne, une colonne appartenait à un portique, le portique appartenait à une cathédrale, mais cela, avec toutes ses institutions, aliénations et rêves, appartenait encore à un temple habité par des gens. À ce moment où tout devient homogène, dans le pire des sens, je considère très grave que nous ne fassions pas tout ce que l’on peut pour empêcher cette destruction, même si cela n’est qu’à travers un film.
J.C.M. – Vous voulez faire le film en 16mm ou en 35mm ?
A.R. – La force plastique et tellurique de la province est telle que le 35mm est ce qu’il nous faut.
J.C.M. – En son direct ?
A.R. – Non, le Nord-est a beaucoup de sons qui ne sont plus des sons du Nord-est. Nous voulons récréer le son selon le son que le Nord-est a eu ou devrait avoir. Vous me direz que c’est fausser le réel, mais, dans notre rêve, nous ne voulons pas atteindre une vérité absolue.
J.C.M. – Je vous interrompt juste pour encastrer la phrase de Novalis : « Plus c’est poétique, plus c’est vrai 18. » C’est ma seule conviction profonde.
A.R. – … C’est une espèce de respect pour la pierre qui s’effrite, mais si l’on connaît le sens de la pierre c’est parce que nous lui avons donné beaucoup de coups de tête. Et du bois, et des personnes qui ont inventé des poèmes, et des personnes qui sèment, et des personnes qui voient les enfants partir, qui voient leurs rivières sans poissons, qui tuent et qui meurent. Passionnément. Je n’imagine pas, sur le coup, le temps que le film peut avoir. Déterminer a priori le temps d’un film me semble ridicule. Le temps d’un film est intérieur et n’a rien à voir avec le temps psychologique de projection. Un tas de pain aux olives peut être beaucoup plus savoureux que le plus riche menu. Un haïku peut avoir trois vers et être plus poétique qu’une longue épopée. Malheureusement, nous avons tous collaboré à ce mensonge. Je crois que l’érosion du Nord-est n’est pas seulement une érosion de vent et de soleil et de terre que le torrent amène, c’est une érosion beaucoup plus totale. Mais on commence à prouver que, sous cette érosion, il y a beaucoup de choses qui ne se sont pas érodées, et, au dessus, beaucoup d’oiseaux qui volent, d’hommes qui marchent et rêvent. Le Nord-est est en vente aux enchères. Tout est en vente aux enchères, et il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas laisser vendre, même pour la « rédemption » de ceux qui achètent ces pièces pour leur maison. Nous ne sommes pas à vendre aux enchères. Notre responsabilité n’est pas en vente. Je ne le propose pas comme devise pour tout le monde, mais, pour moi, c’est fondamental. Tout comme il peut être fondamental de faire un cinéma admirable dans les milieux urbains. Ce qu’il faut, c’est découvrir les « Nord-est » de Lisbonne. Ils existent là aussi. Je ne voudrais pas parler de ce que je considère ambitieux parce que, parfois, décrire les choses leur vole l’émotion. Mais ce n’est pas que ça : les opportunistes sont nombreux et les aventuriers encore plus. Comme le dit un proverbe dogon, l’étranger ne voit que ce qu’il connaît. Et on ne peut vraiment pas juger par ce que l’on connaît. C’est impudique et honteux ce que l’on fait à l’ethnographie – pas le peuple. D’ailleurs, l’ethnographie n’intéresse que comme recherche, un programme ethnographique sur le Nord-est ne m’intéresse pas. Si c’est une anthropologie de fiction, ça va, quoique ça semble paradoxal.
J.C.M. – Vous adressez vos mots enragés aux attentats que quelques idiots de la télévision perpètrent contre ce pays, ou, au contraire, vous vous êtes mal réveillé d’un rêve funeste ?
A.R. – Je me réfère aux attentats télévisuels, entre autres choses. Une chose que les gens comprennent bien, c’est quand ils sont outragés. S’ils ne le savent pas déjà, si nous pensons que nous savons quelque chose de plus qu’eux, nous avons l’obligation de nous sentir outragés… Ou que la foudre s’abatte sur nous, que l’érosion emporte tout.
J.C.M. – Que Dieu vous écoute, et Il le fera, et, dans cette certitude, je propose que cet entretien commence ici. Néanmoins, pour qu’il puisse commencer il faut qu’il finisse. Revenons, donc, à Jaime pour qu’il finisse bien. À la fin, vous cadrez le portillon avec des grilles en croix de la cellule de Jaime et vous coupez à une photographie de Jaime, qui est le dernier plan du film, tel le premier l’était aussi. Tout ce qui s’est passé, s’est passé, finalement, entre ces deux photographies, deux instantanés de la vie d’un homme.
A.R. – C’était important de mettre son portrait à la fin. Il a écrit : « Animaux comme portraits de princes Yeux sur les mêmes coffres… »
Cet entretien a été initialement publié en portugais dans la revue Cinéfilo, no 29, pp. 23-32, le 20 avril 1974, à propos de la sortie de Jaime.
Traduction du portugais au français par Bia Rodovalho.
Document disponible grâce à Steph Moro.
1 Auto da Floripes, Cineclube do Porto, 57’, 1959. Cet « auto, » genre de manifestation théâtrale populaire médiévale, a lieu lors des célébrations de Notre Dame de Neves au début du mois d’août depuis le XVIe ou le XVIIe siècles. [NDT]
2 Acto da Primavera (Le Mystère du printemps), Manoel de Oliveira, 94’, 1963. [NDT]
3 Mudar de Vida (Changer de vie, Change One’s Life), Paulo Rocha, 93’, 1966. [NDT]
4 António Reis emploie le terme « vareiros » pour décrire le peuple de la région d’Ovar, entre Aveiro et Porto. [NDT]
5 Dans le texte original, « bateiras » et « traineiras ». [NDT]
6 Possible référence à ce qui est véritablement caractéristique de la région. La châtaigne constitue l’un des plus importants produits de Trás-os-Montes. Les dénominations « Haute Terre » (Terra Alta) et « Basse Terre » (Terra Baixa) peuvent faire référence, quant à elles, à la géographie tourmentée de Trás-os-Montes, composée de montagnes et de vallées. Cela peut également évoquer l’hybridation entre la culture érudite et la culture populaire, le monde intellectuel et le monde paysan. [NTD]
7 Les « cantigas de amigo » appartiennent à un genre de poésie médiévale galaïco-portugaise. [NDT]
8 « Huit fois déjà, Jaime est mort ici. » Phrase tirée d’un des écrits de Jaime. [NDT]
9 Karlheinz Stockhausen (1928-2007), compositeur allemand. Voir: Karlheinz Stockhausen, Écouter en découvreur, édition établie par Imke Misch, traduit de l’allemand par Laurent Cantagrel et Dennis Collins, Paris: La rue musicale, 2015, 448 p.. Voir aussi: http://www.karlheinzstockhausen.org/.
10 Rivière portugaise du centre du pays. Elle prend sa source dans la Serra da Estrela et se jette, après avoir parcouru 242km, dans le Tage. [NTD]
11 Abílio Manuel Guerra Junqueiro (1850-1923), homme d’État et écrivain portugais. [NDT]
12 En portugais, « arca ». [NDT]
13 Dans le texte original : « Uma gaita de capador é o capador que toca, mas é um bocado o Pã que anda naqueles montes. » [NDT]
14 JCM fait un jeu avec la première syllabe du nom de Melo Neto. [NDT]
15 Ninguém Só Eu.
16 Chanson enregistré par Louis Armstrong en 1928. [NDT]
17 Il s’agit en effet de Trás-os-Montes (1976), coréalisé avec Margarida Cordeiro. [NDT]
18 « La poésie est le réel véritablement absolu. C’est le noyau de ma philosophie. Plus c’est poétique, plus c’est vrai. » Novalis (Georg Philipp Friedrich, 1782-1801), poète, romancier, philosophe, juriste et géologue allemand. Voir l’œuvre de Laurent Margantin sur l’auteur. [NDT]