Chemins

Texte d’Olivier Fouchard, 2014

CHEMINS
Un film de Martine Rousset
16mm/son/vidéo 4/3
1h20 comme l’on pourrait notifier :
Huile / Toile 30×40 cm.

Des sous-bois illuminés,
Nuances, contrastes,
Des grands arbres dessinant des lignes, des taches, des points, des surfaces…
Tantôt organisés, en fouillis, composés, puis redessinés de lumières
Noir, blancs, gris, teintes, tons et couleurs.
Des tableaux en peintures d’un Jean-Paul Riopelle, ou bien d’un Jackson Pollock redevenu figuratif à l’occasion d’une promenade.
D’un Claude Monet qui aurait délaissé la peinture et abandonné son jardin de Giverny pour s’occuper de photos et de cinématographies aux hasards et détours des chemins… de traverses et de broussailles où l’on s’attend à chaque instant à voir surgir une baigneuse cézanienne ou bien un éphèbe sorti de « Luxe, calme et voluptés ».
Un texte de Julien Gracq, écrit et lu comme on l’aurait fait d’une longue lettre et pourquoi pas de Vincent Van Gogh à son frère Théo… (Ciel Vert-pâle…., Terre-rouge-lie-de-vin…) dessins et croquis à l’appui, préparatoires à d’ultimes peintures d’huile et de pigments comme directement pressés hors du tube et distribués en flammèches tournoyantes de natures en fusion, de sous-bois et clairières en train de fondre sur la toile ou encore, des papiers d’Arches d’abord mouillés d’aquarelles, de lavis et de brou de noix puis, rehaussés de mine de plomb, de fusain avant d’être finalement recouverts de pastels, ou, tantôt d’huile ou tantôt de gouaches en guise d’études et cela au mépris des conventions d’usage et des recommandations de fabricants.
Des tableaux-impressions, des pellicules impressionnées de lumières et de mouvements avant d’être savamment recopiées, refilmées en clartés et obscurités d’atelier, à différentes vitesses, en formats distincts et à des expositions variées.
A moins que ce ne fut des photographies d’un Pierre Bonnard momentanément éloigné du jardin de sa villa « Le Rêve » sur les hauteurs du Cannet, d’où refleurirait au printemps un amandier démultiplié cette fois en vergers… à moins que ne soit une toile de moyen format échappée d’un de ses petits croquis précis de son agenda où il notait la météo et surtout des indications de lumières…

Une rayure en sillon vert venant troubler une contemplation en rêverie interrompue nous rappelle que nous avons à faire à un film de cinématographe, ce qui de nos jours n’est pas courant et doit être signalé…
Le son du vent et le chant régulier d’un oiseau (comme un cri) nous invitent à la sortie de la pénombre pour une balade au soleil…

Des peintres devenus cinéastes.
… A moins que ce ne soit le contraire…

Un livre d’images poétiques judicieusement juxtaposées de textes ou plutôt d’une voix ?
Celle non de l’auteur mais de la cinéaste lisant comme on récite, le souffle court, posé pourtant mais rapide, net et précis.

Le ton juste.
Les images : extraits purs de poésies.
Saisies, mouvantes, éclairées de lumières vacillantes comme de bougies posées là de nuit, à peindre sur le motif ou bien des vues sorties d’une lanterne magique agrémentée d’un conte pour terminer la veillée…
Des traces de végétations sur une paroi ou un mur du paléolithique peut-être ? Ou bien… du siècle dernier… Rien à envier donc aux fresques des grottes de Chauvet ou de Lascaux….? !
Pas si sûr !…
Mais…
Mais, parfois des ocres, sanguines, sépias, fusains (…) de photographies jaunies, rougies, virées, teintées, perdues..? ?
Rendues à la sauvagerie, au soleil brûlant, aux vents, aux pluies… et…
Retrouvées enfin, pas tout à fait indemnes, au fond d’une caverne, à la lueur d’une torche de fortune ou d’une lampe à huile, d’une mèche de pétrole peut-être… que l’on avait laissée là, au cas où…? A proximité d’une petite boîte d’allumettes…
Des gravures, des lavis d’encres posées sur des papiers au grain torchon, avec ou sans acides…
Autant d’eaux-fortes, d’aquatintes originales de pierres lithographiques brisées puis érigées en ruines et bâtiments en friches, anciens, glissants en éboulis.

Les « vues » de myopies où l’on n’aurait pas à ôter binocles et lorgnons afin d’assouplir contrastes et contours pour mieux savourer la couleur comme en déliquescences de sorbet et de crèmes glacées laissés en plein midi…

Pierres : éboulis, gravats d’une gangue d’oeuvres sculptées,
Pain de sucres, fleurs de sels, calcaires crayeux, éponges végétales séchées, ouates et cotons duveteux en grains de papier chiffon…

(…)

A ce jour, « Chemins » n’est sans doute pas un de ces films dont on peut se contenter de dire qu’il soit le meilleur d’une oeuvre passée ou en devenir…etc… ou bien un chef-d’oeuvre en s’écriant « quel film ! » chez Laurent Goumard ou à la grande table de France Culture à l’heure du déjeuner ou du dîner, bref, de la soupe… Beaucoup mieux que tout éloge : Il me semble que nous devons recevoir ce grand Film comme un don ou un cadeau et l’accueillir comme une offrande que certains refuseront peut-être, (c’est leurs problèmes…) quant à moi il me va et ne me lasse pas depuis de le revoir à défaut… de l’accrocher.

Post-scriptum :
Ce joyau donné à voir, (donné tout simplement) est sans précédent dans l’histoire du cinéma ?
Ou, un événement « dans l’histoire historique tout court… » comme pourrait le déclamer Antonin-Artaud-le-momo lorsqu’il fait irruption de son spectre dans notre nuit !
Peu importe.

Olivier Fouchard

à Rives le 4 mai 2014.

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