Sérial-Killer – Pierre Chanal ou La Grande Muette…

Texte d’Yves Tenret, 2004

Sérial-Killer – Pierre Chanal ou La Grande Muette…

Pierre Chanal est né en 1946. Son père, dur, avare, boit beaucoup et pour obtenir sa docilité lors des rapports sexuels, il brutalise sa femme. Pierre n’a aucune relation avec lui ni avec sa mère. Souvent, il dort dans l’escalier. Au moment de son arrestation, il ne se souvient plus si ils étaient 16 ou 17 frères et sœurs ! En 1962, âgé de 16 ans, il passe son brevet de planeur et commence à sauter en parachute. Il fera 17 000 sauts… En 1964, il s’engage mais des varices, les pieds plats et un souffle au cœur lui interdissent les paras commandos. Il est intégré à la cavalerie et suit avec succès l’école des sous of. En 1970, il passe sergent-chef et en 1974, adjudant. En 1976, quand son père meurt, il ne va pas à son enterrement. 1977 est l’année où il bascule. Une nuit, il démolit à coups de pieds une tente et sous la menace de son pistolet-mitrailleur fait sortir les appelés en slip et les force à faire des exercices dans la neige. Lors d’un bivouac, il brise la mâchoire d’un soldat. Un autre jour, il tire à balles réelles au-dessus de leurs têtes. Cet exploit lui vaut un article dans Libération et une mutation. Il devient responsable des corvées. Il se recroqueville sur lui-même. Tancé par son grand-père, à cause d’armes qu’il avait entreposées chez lui, il rompt avec toute sa famille. Il cesse de boire et achète une caméscope, objet rarissime à l’époque. Le 4 janvier 1980, Patrick Dubois disparaît. C’est Chanal qui constate son absence et engage la procédure en désertion. Le 20 février 1981 c’est au tour de Serge Havet et le 7 août 1981, de Manuel Carvalho, tous deux aussi affecté au 4e régiment de Dragons. Ce dernier avait confié son étonnement à ses proches. Certains gradés le forçaient à se mettre nu le soir pendant la revue des chambres et venaient le regarder se laver sous la douche. Ses parents, des portugais, sont totalement méprisés par l’armée. Lorsqu’ils se rendent à la caserne, ils n’arrivent même pas à récupérer les affaires de leur fils. Chanal n’a pas sauté ce week-end là… En août 1981, Pascal Sergent part en permission et ne revient jamais. La mère de Serge Havet, Gisèle n’accepte pas l’inertie de la justice et le silence obstiné de l’armée, elle alerte les journalistes. Les premiers articles sur le « triangle maudit » paraissent. Le 30 septembre 1981, c’est Olivier Donner qui disparaît. Chanal participe à l’enquête. C’est lui qui organise l’audition des appelés… Le 31 octobre 1982, le cadavre d’Olivier Donner est découvert, ce qui entraîne l’ouverture d’une information judiciaire. On commence à évoquer l’existence d’un tueur en série. Donner est la seule victime homo de la série et son corps est retrouvé dans un trou d’ordure… Deux ans plus tard, les dossiers Dubois, Havet, Sergent et Donner sont clôturés par un non-lieu. On ignore celle de Manuel… En mai 1985, après 4 mois passé au Liban, Chanal reçoit une médaille et ne reste pas au pot qui suit la remise de cette distinction !

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Le 23 août 1985, Patrice Denis, 1,80 m, sac à dos, un civil qui se rendait en auto-stop pour un tir de fusées au camp de Mourmelon, disparaît. C’est un jeune homme de bonne famille, sans problème et un civil. L’argument de la désertion ne tient plus. Tous les medias s’emparent de l’affaire. Le capitaine Vaillant et le maréchal des logis Tarbes sont chargés de l’enquête. Ils la reprennent à zéro. Tarbes aura 6 patrons successifs et 4 juges d’instructions pendant son enquête qui durera 15 ans. Il va entendre des centaines de bidasses, faire appel à des voyantes, à des radiesthésistes et à Pierre Bellemare (Au nom de l’amour…). En août 1986, Chanal est muté au centre équestre de Fontainebleau, endroit qu’il déteste et où il est très sévère avec les fils à papa qui y sont planqués. En avril 1987, Patrick Gache, trompette, affecté au 4e régiment de Dragons, quitte le camp pour ne plus jamais y revenir. Chanal s’était rendu ce jour là au para-club de Mourmelon. Les enquêteurs ne seront avertis que début juillet ! L’attitude de l’armée est manifestement volontaire, puisqu’elle fait des fouilles et des ratissages avant de prévenir la gendarmerie. En août 1987 est découvert le cadavre de Trevor O’Keeffe, auto-stoppeur irlandais. Il est enterré dans la même position que Donner, face contre terre, les deux bras sous le corps.

Le 9 août 1988, près de Mâcon contrôlé par des gendarmes à la recherche d’écolos anti TGV, Chanal leur annonce qu’il est militaire. Il a l’air mal à l’aise… Dans son combi Volkswagen vert, dissimulé par des rideaux, un auto-stoppeur hongrois, Palazs Falvay, attaché par une sangle qui lui entoure le cou, roule des yeux terrorisés et supplie qu’on le détache. Il a subi 20 heures de sévices sexuels filmés en partie par Chanal…

Chanal si précis sur les autres sujets, refuse avec obstination d’évoquer les disparus de Mourmelon, se bloque dès que le thème est abordé. Pendant son interrogatoire, il a compté les secondes et les minutes de 6 h à 23 h 30. On ne lui a pas accordé son temps de repos réglementaire. Il refuse de signer sa déposition. 16 slips sont saisis dans sa chambre à la caserne et 16 dans son combi. Certains sont déchirés, d’autres ont été découpés. Chanal dit en changer tous les jours et même parfois plusieurs fois par jour. Sur une des K7 audio trouvée dans sa chambre, par-dessus des chants de Panzer allemands, on l’entend jouer une scénette :

– Bonsoir, comment tu t’appelles ? Pourquoi tu ne fais pas les sommations ? Non. T’as oublié. Tu ne m’as pas entendu arriver. Eh ben, mon vieux ! Allez, viens avec moi. Suis-moi. Mets les mains derrière le dos. On va régler ça plus loin… Mais dis donc, mais… tu dégages une drôle d’odeur en plus. Hein ? Ah ben, dis donc ! Y a combien de temps que t’as pas changé ton slip ? Tu vois. Ah ben, dis donc ! Oh, mais tu bandes, mon petit ? Oh là là, mais tu as une sacré quéquette quand je te touche comme ça ! Hein, ça te ferait du bien là ! Tu veux que je la suce ?

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42 ans, extrêmement physique, les muscles saillants, le visage émacié aux orbites enfoncées, les joues creuses, les mâchoires carrées, les lèvres minces, les cheveux en brosse, les mains osseuses & glacées, la glotte saillante ne cessant de monter et de descendre, Chanal avance à intervalles réguliers la tête de façon convulsive et ponctue régulièrement ses phrases de reniflements. Il ne fume pas, ne boit pas, ne baise pas. Célibataire n’ayant aucune vie amoureuse, amicale ou familiale. En week-end ou en vacances, il vit dans son camping-car. Ses hobbies : parachutisme, delta-plane, aéromodélisme et une collection de livres sur le nazisme (Les Panzers de la garde noire, Les Jeunes Fauves du Führer) et de vues de close-combat et de matériel militaire. Très bien noté par ses supérieurs. En vacances, visite les champs de bataille – Verdun – casemates, ossuaire, fortifications – Fort de Douaumont, tranchée des baïonnettes, des tunnels. Il n’aime que les jeunes garçons timides, longiformes, imberbes, vulnérables. Peu loquace, il répond par phrases courtes et ment avec aplomb. Il n’éprouve aucun sentiment de culpabilité. Se considère comme victime des familles des victimes ! La totalité de sa garde robe est verte, kaki, beige ou brune. Il ne connaît qu’un type de rapport : le rapport hiérarchique. Dès qu’on aborde le sexe, il gesticule, pâlit, pince des lèvres, a une crise. Il se cogne la tête dans les murs, crie qu’on veut sa mort et sombre dans un mutisme complet pendant les 2 h suivantes. Il tue en fin de semaine, pendant les perms, le plus souvent au mois d’août, au bord de routes désertes, à la tombée de la nuit. Ce n’est pas un compulsif mais un homme méthodique. A dater de son arrestation, les disparitions cessent.
En octobre 1988, l’expert Loïc Le Ribault vient faire des tamponnements. 27 cheveux sous scellés – 6 n’appartiennent pas à Chanal mais à des individus différents, de même pour 4 poils pubiens. Chanal dira avoir ramassé un matelas en mousse sur une décharge. Vu sa maniaquerie, le mensonge est évident… Le 23 octobre 1990 une cour d’assises condamne Pierre Chanal à dix ans de réclusion criminelle pour viol, attentats à la pudeur et séquestration du jeune Hongrois.

En juin 1993, un juge d’instruction de Châlons-en-Champagne procède à la mise en examen de Pierre Chanal pour séquestrations et assassinats dans les dossiers Dubois, Havet, Carvalho, Sergent, Denis et Gache avec mise en détention provisoire. Et deux ans plus tard, le dossier étant vide, (pas d’aveux, pas de témoins, pas d’indice, des expertises discutables), le juge d’instruction de Saint-Quentin le relâche…

Le dossier est rouvert en avril 1997. Le nouveau juge d’instruction chargé de l’affaire, M. Chapart, se rendant compte que le rapport de Le Ribault n’a pas été exploité, le nomme surexpert pour examiner tous les scellés. Celui-ci s’attelle aussitôt à la tâche et doit pour cela donner divers coups de téléphone à la Section de recherches de la gendarmerie. Les combats d’experts, entre le privé et le public (coup d’une expertise au CHU de Nantes : 1,8 million de francs), entraînent passablement de coups bas et des dérives malsaines. Quatre jours plus tard, la police vient pour arrêter Le Ribault sous un chef d’inculpation fantaisiste (exercice illégal de la médecine). Heureusement prévenu quelques heures avant par un ami policier, Le Ribault prend la fuite. Il enverra son rapport par la poste… Les tests génétiques prouvent que, en plus du Hongrois violé, deux des disparus ont séjourné dans le camping-car de Chanal. Le 10 août 2001, le magistrat ordonne le renvoi de Pierre Chanal devant la cour d’assises de la Marne pour les séquestrations et les assassinats de Patrice Denis, Patrick Gache et Trevor O’Keefe. Il lui accorde un non-lieu dans les autres dossiers. Deux autres appelés ont disparus en 1975 à Valdahon en ayant Chanal comme adjudant mais cela n’a jamais fait l’objet d’une investigation judiciaire…

En mai 2003, lors ouverture de son procès à Reims, Chanal simule une tentative de suicide en prenant des somnifères légers. Le procès est reporté au mois d’octobre. Chanal est placé dans un HP puis à la maison d’arrêt de Fresnes où il entame une grève de la faim. En octobre, deuxième ouverture du procès devant la cour d’assises de la Marne à Reims. Mais le 15, Chanal se suicide. Il a vu son avocat, mangé, écouté avec attention le greffier lui faire le rapport de l’audience, attendu minuit et demi qu’on lui ait pris la tension. A peine l’infirmier sorti de la pièce, il met en place deux garrots qu’il a confectionné à l’avance avec les élastiques de son jogging, un à chaque cuisse. Le but est de diminuer la masse sanguine pour provoquer la mort cérébrale plus rapidement. Il reborde soigneusement son édredon et son drap et se tranche deux fois l’artère fémorale à l’aine. Les incisions sont précises ; 2 cm de long, 2cm de profond. La mort survient entre 4 à 6 minutes malgré l’intervention d’un policier qui a repéré ses difficultés de respiration.

« Comment est-il possible que personne, avant l’autopsie, n’ait mis en avant le fait que Chanal portait un dentier ? Comment cet homme, qui allait enfin parler et qui était censé être placé sous une surveillance policière rigoureuse, a-t-il pu se donner la mort dans sa cellule, alors qu’il était contrôlé toutes les quinze minutes ? Il faut arrêter : il a été tué, un point c’est tout. Il allait révéler des choses. Peut-être que Chanal n’a pas tué huit, mais soixante-dix personnes ? » affirme carrément Loïc Le Ribault.

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