Philippe Cote, Reflection

Texte de Chris Kennedy, 2018

Ce qui m’a immédiatement frappé dans les films de Philippe Cote, c’est leur jeu sur les échelles. Il était logique, bien sûr, qu’il voyage avec une caméra Super 8. La légèreté du Super 8 lui permettait d’emmener son art partout avec lui lorsqu’il voyageait à travers le monde, en chargeant sa caméra ainsi qu’une douzaine de bobines ou plus dans un petit sac à dos. Cela a rendu possible l’intimité de ses films les plus anthropologiques tels que Va, Regarde, Ganesh et Orissa, où les mouvements des individus et leurs rituels servaient son objectif. L’économie et la fonctionnalité de ce medium en font un choix commun à beaucoup de cinéastes indépendants.

Pourtant, c’est en utilisant le petit format de sa caméra Super 8 pour capter les horizons formidables du monde naturel que Cote réalisa ses œuvres les plus exceptionnelles. Ces films avaient une qualité lumineuse, patiente, réussissant de façon mystérieuse à saisir des expériences incroyablement expansives dans le cadre miniature du Super 8. Ses films les plus significatifs sous cet aspect sont L’angle du monde, tourné en mer, Timanfaya, tourné sur les volcans des Îles Canaries, et mon préféré à titre personnel, Des Nuages Aux fêlures de la Terre, son évocation stupéfiante des Alpes françaises.

L’angle du monde se développe lentement, permettant aux mouvements atmosphériques des nuages et des vagues de s’entremêler comme des ombres sur un écran. Le grain de la pellicule noir et blanc crée une qualité d’ébauche à l’encre ou au graphite – les brèves silhouettes de marins qui apparaissent vers le milieu du film ont un halo granuleux qui semble brossé à l’encre -. La combinaison des prises de vue accélérées et de l’exposition automatique de la caméra donne à certains passages un scintillement élégiaque. Dans le long passage final, Cote capte le mouvement de nuages massifs au-dessus de la mer – le ciel occupe l’essentiel du cadre et la mer brille des entrelacs de lumière qui atteignent sa surface. Comme pour réaffirmer la propre position du cinéaste par rapport à cette étendue, le film se termine avec un petit rayon de lumière perçant à travers les nuages -une référence en passant à la lumière du cinématographe qui transparaît pour un instant.

Timanfaya, tourné pour une fois surtout en couleur et finalisé avec une bande son, fait correspondre le grain au grain. Le grain, plus gros, du film et la palette de couleurs de la pellicule Agfachrome magnifie les sables volcaniques de l’île de Lanzarote. Cote souligne son intérêt pour le grain par des gros plans extrêmes des grains de sable eux-mêmes -il est capable avec son objectif macro de rendre ces petits cailloux aussi massifs que des montagnes. Davantage que dans la plupart de ses films super 8, la caméra se meut -pendant la première moitié, un fort vent fait visiblement trembler la petite caméra dans la main de Cote, plus tard il marche avec la caméra à travers le paysage lui-même. Cette caméra incarnée – tour à tour ballotée par le vent et dirigée par la vision – personnalise le paysage dénudé et la régénération qu’il cherchait parmi cette multitude de pierres minuscules.

Avec Des Nuages Aux fêlures de la Terre, nous retrouvons Cote dans un endroit reculé des Alpes françaises. Pendant les premières séquences du film, des touristes et des bâtiments sont placés dans le cadre pour nous donner un sens de l’ampleur magnifique du paysage. Bientôt ces points de référence disparaissent alors que Cote se concentre sur les formes que prennent les nuages à de telles altitudes, des masses tourbillonnantes de condensation s’accrochant aux sommets dans un passage abstrait et lyrique. À nouveau la pulsation de la technique de prises de vues accélérées de Cote amplifie le mouvement des vents avec des éclats staccato de changement d’ouverture, créant une relation organique entre la caméra et la lumière. Le film évolue vers des vues incroyables de nuages dévalant la pente des montagnes, tournés en noir et blanc et en couleur. Vers la fin, Cote nous ramène à l’intérieur, filmant le ciel à travers une lucarne et une fenêtre ouverte. La lucarne résume tout le projet de Cote : capter l’immensité du monde à travers une petite ouverture -la magnificence qui tient dans un cadre miniature-.

J’ai eu la chance de rencontrer Philippe Cote deux fois au Canada parce qu’il voyageait avec ses films. La fragilité de son medium – le fait que ses copies de projection étaient des positifs originaux – exigeait qu’il transporte lui-même ses films avec précaution et qu’il supervise chaque projection. Cote était un cinéaste voyageur, pour tourner ainsi que pour montrer ce qu’il avait créé. Mais le fait que ses voyages fussent dictés par la singularité de ses films, voilà qui pointe encore vers une dichotomie centrale de son art : un medium si fragile et éphémère saisissant pendant quelques instants la puissance époustouflante et éternelle du monde naturel.

Chris Kennedy
Toronto, September 2, 2018

trad : Aymeric de Faramond

 

Original English Version

What struck me immediately about Philippe Cote’s films is their play of scale. It made sense, of course, that he would travel with a super 8 camera. Super 8’s portability made it possible to carry his art around with him as he traveled the world, placing the camera and a dozen or more film cartridges in a small rucksack. It enabled the intimacies of his more anthropological films, such as Va, Regarde, Ganesh and Orissa, where movements of peoples and their rituals served his focus. The economics and functionality of this choice of medium is a common one for independent filmmakers.

However, Cote made his most exceptional work when he used the small gauge of the super 8 camera to capture the tremendous vistas of the natural world. These films had a luminous, patient quality, somehow managing to capture incredible expansive experiences using the miniature canvas of the super 8 frame. His most significant films with this focus are L’angle du monde, shot at sea, Timanfaya, shot on the volcanos of the Canary Islands, and my personal favourite, Des Nuages Aux fêlures de la Terre, his stunning evocation of the French Alps.

L’angle du monde unfolds slowly, allowing the atmospheric movements of cloud and wave to play like shadows on the screen. The grain of the black and white stock create a quality of ink and graphite sketches—the brief silhouettes of sailors that appear towards the middle of the film have grainy halos that are stippled as if with ink. The combination of time-lapse and the camera’s automatic exposure gives some passages a elegiac flicker. In the final long passage, Cote captures the movement of massive clouds above the sea—the sky takes up most of the frame and the sea gleams with the patterns of light that reach its surface. As if to reinforce Cote’s own position vis-à-vis this expanse, the film ends with a small pinpoint of light cutting through the clouds—a passing reference to the light of cinema momentarily reaching out.

Timanfaya, uncharacteristically shot predominantly in colour and finished with sound, matches grain with grain. The larger film grain and colour palette of the Agfachrome film stock amplifies the volcanic sand of the island of Lanzarote. Cote emphasizes his interest in the grain with occasional extreme close-ups of the sand grains themselves—with his macro lens he is able to make these small stones look as massive as mountains. Much more then most of his super 8 films, the camera moves—during the first half the strong wind visibly shakes the slim camera in Cote’s hand, later he walks with the camera through the landscape itself. This embodied camera—both buffeted by wind and directed by vision personalizes the barren landscape and the regeneration he searched for amidst this multitude of tiny stones.

Des Nuages Aux fêlures de la Terre finds Cote at an outpost in the French Alps. During the beginning sequences of the film, tourists and buildings are placed in the frame to give us a sense of the majestic scale of the landscape. Soon these reference points fade away as Cote focuses on the cloud patterns that form at such high elevations—swirling masses of condensation cling to the summits in a lyrical, abstract passage. Again the pulses of Cote’s timelapse technique amplifies the movement of the winds with staccato bursts of aperture change—creating an organic interplay between camera and light. The film unfolds with amazing vistas of clouds rolling down the sides of the mountains, shot in black and white and colour. Near the end, Cote takes us indoors—shooting the sky through a skylight and an open window. The skylight condenses Cote’s entire project: capturing the vastness of the world through a small aperture—magnificence seen through a miniature frame.

I was able to meet Cote twice in Canada because he travelled with his films. The fragility of his medium—the fact that his screening copies were spliced together from original reversal elements—required him to hand-carry the films and oversee the projection moment. Cote was a travelling filmmaker, both to shoot and to show what he made. But that this travelling was necessitated by the singleness of his films again points to a central dichotomy of his art—such an ephemeral, fragile medium capturing for a moment the breathtaking and eternal power of the natural world.

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