Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je réaliserais un film sur les pieds.
Filmer des mains, des pieds touche à quelque chose d’intime, au secret, à la nudité et non à un travail en série.
Conventionnellement le travail du cinéaste est de filmer des visages et des paysages. J’avais ici envie de continuer ce travail entrepris sur le corps, de manière plus systématique.
J’avais surtout le désir d’aller filmer des pieds de personnes âgées, d’enfants, de jeunes filles, de jeunes hommes et de femmes et d’hommes au milieu de la vie, d’avoir ce prétexte pour filmer frontalement quelque chose d’intime, d’éminemment personnel. Le cinéaste reste un voyeur.
J’étais convaincu que les pieds pouvaient, comme les mains, révéler l’histoire d’un corps, et une parole.
Ce qui m’avait impressionné lorsque je réalisais « Les mains » c’est à quel point l’intime surgissait. Je filmais des mains, partie extérieure du corps, mais la parole me dévoilait l’intérieur, l’âme, ce qu’avaient vécu ces mains : l’amour, les déchirements, la mort, la passion.
Je voulais aussi m’ouvrir au monde, élargir le petit cercle de mes amis et aller vers des personnes que je connaissais pas. Que ce film rende compte à travers ces pieds de la complexité du monde, de sa diversité, des modes de vie, des rapports sociaux, des marges, de la vieillesse.
Cette volonté de filmer au plus près le corps, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus vivant, est évidement une manière détournée de filmer la mort.
C’est aussi l’impossibilité de filmer le corps vieillissant de mes proches, mon père, ma mère et d’attendre désespérément leur mort pour voir que le corps n’est plus vivant et qu’on ne pourra plus jamais le filmer.