J’imagine que la position du cinéaste, du filmeur comme certains disent, est au fond toujours inconfortable parce que l’homme qui filme s’esseule. Il s’esseule volontairement sur la scène du monde pour mieux affirmer positivement un principe nécessaire à l’altérité lequel s’énonce négativement : « je ne suis pas le monde…, je ne suis pas cet homme que je regarde… ». C’est en quoi la position du cinéaste (qui est celle de tout artiste finalement) rejoint, pour une part, celle de l’étranger. Ce principe évident élude les questions oiseuses concernant l’identité. Il faut bien sûr se percevoir, pour une part, comme séparé des choses et d’autrui, pour reconnaître aux choses, à autrui, et à soi-même, une identité propre.
Usant de ce principe comme d’un dispositif, Philippe Cote – cinéaste français – s’éloigne – le temps d’un film – pour mettre en lumière la réalité paradoxale, miraculeuse, du corps intelligent de l’homme – certes esseulé plus que jamais dans un pays lointain dont il ignore la langue et les usages (le Laos en 2008, l’Inde, le Népal, en 2009 [1] ….) – mais en relation de fait ; en vacance, en somme, mais, dans un sens absolu. Les montreurs d’images authentiques se méfient des discours. Ils profitent plutôt, comme les enfants, de ce que les choses nous parlent. Philippe Cote est habité, me semble-t-il, par cette intuition heureuse « que nous vivons continuellement une solution des problèmes qui sont sans espoir de solution pour la réflexion ».[2]
Si parler, (ou, plus généralement, ce que nous appelons communiquer) n’est souvent qu’une version bruyante et dévitalisante du mutisme universellement répandu, il se pourrait que l’image poétique – silencieuse ici – nous conduisit finalement à l’origine de l’être parlant ; en quoi celle-ci est humanisante. Nous croyons en effet que tout ce qui est spécifiquement humain en l’homme est Logos.
L’image poétique – événement du Logos – sans cause, advient. Elle est, en dépit de notre égarement relatif (proportionnel au degré de mutisme dans lequel nous sommes plongés) probablement toujours une annonciation de la vocation réelle du corps, qui ne saurait être manifestée en dehors d’une relation juste. Ce qu’elle annonce se dévoile à mesure que les yeux s’ouvrent et que le corps se délie. « Faire le jeu du pur amour, aimer purement », dit Simone Weil, « c’est consentir à la distance, c’est adorer la distance entre soi et ce qu’on aime » [3]. Cette présence ajustée au monde qui s’oppose au confort de l’isolement mortifère prôné par nos sociétés, comporte une face nocturne dont le nom est solitude, certes, mais c’est pour mieux en goûter la face lumineuse qui a pour nom liberté. La liberté dans les films de Philippe Cote revêt la figure de l’espace heureux. C’est en quoi il renoue – prenant le contre-pied de l’industrie de l’image contemporaine – avec une tradition quasi disparue de la représentation de l’espace comme miroir de la présence.
Notes :
[1] Cf les films de P. Cote : « Va regarde, 1 (2008) » et « Va regarde, 2 (2009) »
[2] Gaston Bachelard – La poétique de l’espace.
[3] Simone Weil – La pesanteur et la grâce
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