Travail de fin d’études du cinéaste au VIGK de Moscou, réalisé à partir d’archives audiovisuelles trouvées en Russie. Le film est inspiré par le »Fascisme Ordinaire » de Mikhail Romm, directeur d’études du cinéaste. Ce film commente l’arrivée de touristes – d’ordinaire armés et non invités – sur le territoire grec, à différentes époques de l’histoire.
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Je suis né à Athènes. J’ai passé mon enfance, entouré d’une grande famille, intellectuelle et gauchiste, qui m’a transmis son attitude dans la vie et sa morale, plutôt que l’amour des lettres. J’ai vécu la décennie désastreuse de 1940-1950, où trois guerres ont eu lieu en Grèce : La Guerre Greco-Italienne, la Deuxième Guerre Mondiale et l’Occupation.
Pendant cette dernière, ma mère passa deux ans dans des camps de concentration en Allemagne, tandis que mon père fut sévèrement torturé par les Allemands. Après tout cela, eu lieu l’intervention anglaise et une quatrième guerre éclata: la Guerre Civile, où mon père fut tué et ma mère fut déportée encore quatre ans, cette fois-ci sur des îles grecques qui furent des lieux d’exil. Pendant toute cette période, je fus élevé par cette famille élargie, où il y avait plusieurs écrivains et acteurs de théâtre, ce qui m’a mis en contact avec la littérature et les arts.
Mais c’est aussi ce milieu et, avant tout, mon oncle écrivain, qui m’a insufflé l’ombre du doute par rapport à la »vérité absolue » de la gauche.
J’ai essayé de faire des études de cinéma à Athènes, puis à Vienne, mais sans réel résultat. En 1958, je suis rentré à Athènes, où j’ai mis en scène »La leçon » de Ionesco – jamais joué en Grèce jusqu’à ce moment-là. Ensuite, j’ai travaillé comme réalisateur à la radio et au théâtre, comme critique de cinéma dans des journaux de gauche et, enfin, en 1963, j’ai réalisé – avec mon ami cinéaste, Démos Theos – le premier documentaire “de gauche” tourné en Grèce.
Le sujet du flm était l’assassinat d’un homme d’état du Parti de la Gauche Démocratique, ce qui fût de même pour le héros du flm »Z » de Costa Gavras, réalisé quelques années plus tard.
Entre 1965 et 1970, j’ai finalement étudié le cinéma dans une école de prestige, à Moscou, le VIGK, ayant la chance extraordinaire de me trouver dans la classe de Mikhail Romm qui, même avant le début des cours à l’Institut, nous avait montré son documentaire »Le Fascisme ordinaire ». Il s’agissait d’une représentation sarcastique de l’absurdité du Troisième Reich et, en même temps, d’une sombre lecture de ses crimes. Pendant ces années, tant mon professeur que sa pratique, m’ont inspiré profondément, déterminant ainsi tout mon parcours en tant que cinéaste. Avec Romm, à Moscou, j’ai finalement compris que le cinéma, soit à travers les pratiques du montage (Eisenstein), soit à travers les pratiques de l’anti-montage (Balázs), n’est pas seulement une libération émotionnelle, mais aussi un mouvement de pensée et d’idées.
Entre 1970 et 1973, avec l’aide de Costa Gavras, j’ai voyagé en Europe et en Amérique, afin d’étudier au détail tous les documents audio-visuels qui se référaient à la Grèce, depuis la naissance du cinéma jusqu’à 1971 et, tout cela, dans vingt-deux différentes bases d’archives – publiques et privées – d’actualités filmées. Toute cette matière incroyable que j’ai visionnée sur des tables de montage photogramme par photogramme, fut ma deuxième révélation concernant les possibilités du cinéma ; c’est à dire, non seulement de mettre en place une fiction, mais d’inscrire de manière souvent peu élaborée la vie quotidienne. Cette recherche a été effectuée dans l’idée de la production et de la réalisation d’un flm sur la Grèce, au même moment où, dans mon pays, après le coup d’état de 1967, il y avait une dictature de colonels.
En 1973, je suis rentré en Grèce. En cette même année, j’ai participé – avec trente cinq jeunes cinéastes – à la révolte de l’École Polytechnique et, quelques mois plus tard, après la chute de colonels, à plusieurs actions politiques organisées par les partis de gauche. À cette époque-là, la Grèce passa de la dictature à une »politisation » frénétique ayant abouti à la démagogie vulgaire de ce dernier temps. Le système politique, dirigé par une nouvelle équipe, s’est transformé en un nouveau régime pas moins corrompu et arbitraire. L’effondrement des espoirs et des valeurs, qui fut une simple question de temps, se déroula pendant la décennie 2000-2010. Le résultat, pour moi, fût mon auto-exclusion de toute activité politique et sociale ; ainsi je demeure »étranger » dans mon propre pays.
Pendant les années 1958-2012, j’ai travaillé au théâtre, à la radio et à la presse grecque.
J’ai réalisé plus de trois cent documentaires ; le dernier fut une série de 13 courts métrages assemblés exclusivement avec des »actualités » filmées durant la dictature de Colonels (1967- 74). Le seul flm de fiction que j’ai tourné fut »Doxombus » en 1987. Le flm traitait les conséquences de la guerre civile entre les habitants d’une région lointaine de l’Empire Byzantin, pendant une période proche de la chute de l’Empire. »Doxombus » a obtenu plusieurs prix et a participé à des festivals internationaux. Toutefois, lors de la projection du flm dans le cadre du Festival de Thessalonique, en Grèce, le flm fut reçu avec de la moquerie, ce qui eut comme effet qu’il ne soit jamais à nouveau projeté en Grèce. Il tomba donc dans l’oubli.
Au-delà de mon activité en tant que cinéaste, j’ai donné des cours de cinéma dans trois universités ainsi que plusieurs conférences à l’étranger, notamment sur les rapports entre histoire et cinéma ; ce qui fut aussi l’objet de mon livre « Ma force, c’est l’amour de l’objectif cinématographique », où j’ai analysé en détail le contenu des actualités audiovisuelles entre 1895 et 1940, ainsi que leur rapport à la vie politique, sociale et culturelle de la Grèce pendant cette période. J’ai enfin publié un scénario, intitulé « Les chaussettes blanches », sur une histoire d’amour pendant la guerre civile grecque (1947-49). Ce scénario n’a jamais abouti en tant que flm.
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Mon film »Visitez la Grèce » constitue le travail de fin de mes études à Moscou, aux cotés de Romm. Le format d’origine est la pellicule de 35mm. Quant à l »’écriture » du flm, j’ai suivi l’esthétique du cinéma muet, surtout au niveau de la musique et du montage. Pour ceux qui connaissent l’histoire de la Grèce entre 1936 et 1967, il n’y a même pas besoin de voix-off.
Ce flm exprime mon idée que les actualités anciennes constituent une matière extraordinaire de narration cinématographique ; il suffit que chacun s’en serve comme s’il s’agissait d’images tournées par lui-même.
Texte Autobiographique de Fotos Lambrinos
Octobre 2012