Résilience de l’Histoire. Le cinéma de Paz Corona

Entretien entre Pascale Cassagnau et Paz Corona, autour de l’exposition Lo Que Vi, 2022

« Il faudrait peut-être reconnaître que les révolutions ou les libérations se donnent -obscurément- pour fin de trouver ou de retrouver la beauté, c’est-à-dire l’impalpable, innommable autrement que par ce vocable. Ou plutôt non, par la beauté entendons une insolence rieuse que narguent la misère passée, les systèmes et les hommes responsables de la misère et de la honte, mais insolence rieuse qui s’aperçoit que l’éclatement hors de la honte était facile. » Jean Genet, Un captif amoureux

Si, comme le dit le personnage d’Anna Karina à la fin de La Chinoise de Jean- Luc Godard « la fiction c’est ce qui ramène toujours vers le réel », l’art contemporain est à son tour depuis quelques années la scène d’un retour du réel, sous la forme d’un goût pour l’archive, pour le document, pour le regard documentaire. Entre fiction et documentaire, bien des œuvres en effet, interrogent d’une manière critique les différentes versions d’une réalité ni univoque, ni transparente, ainsi que des régimes diversifiés de vérité. Le mouvement des images les porte également vers des nouvelles pratiques documentaires. L’émergence du document et de l’image dans l’économie des savoirs modifie – a modifié tout au long du XXème siècle – le statut de la mémoire.

L’image, en effet, dote la mémoire d’un support, d’un prisme de réflexion, qui conduit le regard sur l’objet de la mémoire et sur la mémoire de l’objet. En outre, le document génère des types d’assemblages et de montages qui sont les supports pour des élaborations d’histoires, des formes d’historicisation. L’élaboration des archives croise une interrogation sur l’Histoire et les histoires personnelles, singulières.

Comme l’écrit Nicole Brenez dans ses substantiels essais Manifestations, écrits politiques sur le cinéma et autres arts filmiques, parus en 2019 chez de L’Incidence Éditeur : « Faire des images, quel que soit l’instrument dont on dispose (teinture, peinture, argile, celluloïd, bande magnétique, pixel…), quels que soient les moyens de production que l’on accepte, conquiert ou s’accorde, c’est s’attribuer une parcelle de pouvoir symbolique : pouvoir de créer quelque chose qui n’était pas là, pouvoir de conserver quelque chose qui aurait été là, pouvoir de transmission, d’intervention, d’affirmation, de suggestion. » (…) Car Partout où il y eut oppression, injustice et répression, des cinéastes se sont levés et sont montés au front. Parfois, un instant, la Révolution s’institue en État et cet éclair bouleverse le cinéma international bien plus longtemps que ne dure l’épisode révolutionnaire : URSS 1917, Cuba 1958. Plus souvent, en amont des victoires révolutionnaires, les cinéastes accompagnent les combats, passent dans la clandestinité, risquent leur vie. Ils sont beaucoup plus nombreux et encore plus courageux qu’on ne le croit. Quelquefois, ils combattent seuls, sans soutien populaire, avec toute la société de contrôle à leurs trousses, et juste leurs idéaux pour survivre. Il arrive même que certains planquent dans l’industrie et s’activent brillamment par ailleurs. Prise dans de grandes nappes d’énergie collective (les Guerres d’Indépendance au XXe siècle, les Printemps arabes au XXIe…) ou conduite en solitaire, chaque aventure reste unique, la plupart d’entre elles reste à documenter et à réfléchir. Toutes rendent le cinéma à sa nécessité ».

Les œuvres de Paz Corona questionnent la double perspective de l’inquiétude du temps et du faire Histoire avec les images, pour tracer autant de perspectives pour des actes de résistances : ceux d’un cinéma comme métaphore d’un réel réformé par l’imaginaire, d’une contre-Histoire, d’une archive-temps critique.

Soit ici un pays, le Chili, un territoire, une géographie spécifique, une société – d’hier et d’aujourd’hui –, une Histoire. Soit deux dates qui encadrent l’exposition Lo Que Vi, le 4 septembre et le 11 septembre prochains, qui indexent le présent d’un référendum sur la nouvelle Constitution du pays et le rappel du renversement du gouvernement Allende lors du coup d’État du 11 septembre 1973.

 

Pascale Cassagnau : Comment s’articulent dans votre travail l’Histoire et votre histoire, celle de votre famille ?

Paz Corona : Et bien, cela ne s’articule pas. En 1998 quand Pinochet a été emprisonné en Angleterre je suis allée à Londres pour offrir à ce Monsieur la première nuit blanche de son existence ! Un magnifique concert de casseroles a eu lieu sous ses fenêtres, à l’ambassade chilienne de Londres.

J’ai grandi au son de ces casseroles, ce sont les miennes. J’ai mis très longtemps à pouvoir parler ma langue maternelle, elle me reste extime à bien des égards. J’en suis exilée. Mais pour autant reprendre ce récit m’a délestée de beaucoup de malentendus.

Ma vie n’est liée à aucune catastrophe, je regarde, je pense et je continue mon chemin. La famille pour moi c’est un clan avec ses lois pourries, aussi cela a forgé ma ténacité à regarder les choses en face et à essuyer le plus possible mes préjugés. Tout n’est pas bon sous le nom de l’héritage, ce fut une rude école. La famille ça n’est simple pour personne, mais il m’a été donné de me mettre au point avec certaines embrouilles de la vie. Aussi mes casseroles ne m’encombrent plus, c’est un fait.

Les deux dates du 4 septembre et du 11 septembre créent un cadre historique à votre exposition, nouant ainsi le passé et le présent. Pourriez-vous préciser quelle intention préside à cette double indexation ?

Le 4 septembre, les chiliens vont voter par référendum l’approbation ou le refus de la nouvelle Constitution. C’est aussi la date où Salvador Allende et ses prédécesseurs prenaient leurs fonctions avant le coup d’État en 1973.

Le 4 septembre 1970 avec 36,7% des voies et le Sénat contre lui, Allende va continuer la politique initiée par la Démocratie Chrétienne du Président Frei. Il nationalise les mines de cuivre et réalise une réforme agraire. La population Mapuche prendra une part active à ces changements.

Les raisons du coup d’État contre la politique d’Allende sont très clairement déductibles de cet acte visant le privilège. Le coup d’État de Pinochet c’est le pouvoir de l’argent acquit par la violence, contre le pouvoir de la démocratie. Dans cet acte barbare les États-Unis ont une grande responsabilité, l’Église catholique une autre, et les propriétaires terriens encore une autre. Je vais vite mais il faut souligner ces points.

Le 5 septembre 2022 je tracerai une marque sur les murs de la fondation Brownstone après le résultat des urnes.
Et le 11 septembre – qui n’est pas seulement la date des attentats aux États-Unis mais aussi celle du coup d’État au Chili – sera l’occasion d’un débat sur la nécessité des images dans un monde qui est de plus en plus réel : c’est à dire sans loi.

Le cinéma comme toutes les manières d’assembler du récit autour d’un trou est nécessaire. La pensée n’a pas qu’un langage pour s’exprimer elle a aussi les images et les actes. La conversation portera sur la réponse des artistes à la question politique.

Le Chili est un pays très étendu, il est un territoire singulier au cœur duquel se trouve le désert d’Atacama, point névralgique, lieu de transit et de passage entre le Nord et le Sud du pays ? Ce désert a–t-il lui aussi une histoire ?

Je me souviens d’un disque qu’on écoutait chez moi quand j’étais enfant. Maintenant « chez moi » c’est en France, là où je vis depuis 73. Je suis fille de réfugiés politiques et c’est par ce disque que j’ai connu cette Histoire d’une autre partie de chez moi, là-bas au Chili. Mon chez moi a plusieurs couleurs, comme celui de beaucoup d’êtres humains. 

La chanson Cantata Santa María des Quilapayún raconte l’histoire d’un massacre d’ouvriers miniers et de toute leur famille, qui a eu lieu en 1907 à Iquique.

Le désert a toujours été le terrain de violences. Depuis le XIXe siècle, les mines ont toujours étés très convoitées jusqu’à leur nationalisation par Allende. Après le coup d’État tout a été réglé de manière autoritaire : les entreprises nord-américaines anciennement propriétaires se sont vues restituer leurs biens, et chacun est retourné au travail.

Pour autant cette partie du Chili – qui a été gagnée par le Chili sur la Bolivie lors de la guerre du Pacifique, et qui est un point crucial pour les frontières entre le Chili, le Pérou, la Bolivie et l’Argentine – se trouve sur le territoire des indiens d’Atacama les Aymaras, qui eux n’ont que faire des frontières. C’est un des nombreux paradoxes chiliens.

Aussi les migrants attirés par le soi-disant « miracle économique chilien » théorisé par Milton Friedman, qui arrivent de partout en Amérique Latine par le désert, pourront avoir un instantané de la réalité chilienne. En traversant les villages fantômes des mines du XIXe siècle ; les vestiges des civilisations amérindiennes ; les tonnes de vêtements jetés là par la surproduction mondiale ; les quelques églises baroques très belles marquées de syncrétisme ; les traces de la colonisation espagnole ; les villes anciennement boliviennes, où le chemin de fer arrivait, qui ont servi de prisons durant la dictature ; la poubelle du tourisme de masse qu’est le désert.

Mais ce n’est qu’en arrivant à Iquique, encore, qu’ils seront arrêtés ou incendiés, ou assassinés c’est selon… À part ça le désert recèle de multitudes d’histoires belles et moins belles.

 

ATACAMA. Réalisé par Paz Corona, 2019

Votre film Atacama (2019) prend la forme d’une performance d’une durée de quatre heures réalisée sur ce plateau de haute altitude. Cette œuvre s’inscrit dans la grande tradition de la performance et du Land Art, formes politiques et d’inscription des corps dans des durées éphémères et des espaces critiques des années 70.

Quel a été l’origine de ce projet ?

Dix ans avant de réaliser ce film j’ai lu dans un journal que le phénomène climatique El Niño, après avoir dévasté les Philippines était arrivé sur les côtes chiliennes, et qu’en apportant la pluie il avait aussi fait fleurir le désert – que la dictature chilienne a transformé en fosse commune pour les disparus.

Une pensée incongrue m’est venue alors : un désastre quelque part peut produire de la poésie ailleurs. Cette pensée a guidé mes pas, et en 2019 quand j’ai choisi la date de tournage des films Atacama et Santiago 1973-201, en fonction de l’hypothétique floraison du désert. Je ne savais pas qu’un autre printemps allait fleurir : un mouvement social sans précédent depuis les années 70.

Trois ans plus tard, un Président de gauche aurait la très grande responsabilité de mener à son terme un événement démocratique majeur : approuver ou non le changement de la Constitution héritée de la dictature.

L’enjeu se trouve là ! Dans cette embrouille des discours, ce glissement sémantique d’une logique à une autre, qui laisse penser qu’une dictature peut écrire une Constitution pour la démocratie ! C’est ce qu’il faut saisir selon moi.

L’idée de réaliser une bande de Möebius en sel pour le film Atacama, alors que le Chili sur décret du Président Piñera était depuis deux jours sous couvre-feu et que les carabiniers et l’armée étaient à nouveau dans la rue, rappelant les tristes heures de la dictature, a pris une autre dimension.

Il ne s’agissait plus de marquer à même la terre un fait passé, mais de fixer le réel qui était en train de se dérouler là, sous mes yeux, presque plus grave : car le sentiment de déjà vu prévient le désir d’aller plus loin. Le danger est connu.

Néanmoins j’ai persévéré. Le film dure 12 minutes, c’est intense. Cette bande représente un cercle coupé en un point, dont la torsion permet une fois recollée au même endroit, mais à l’envers, la continuité sur un autre plan. Mise à plat cette bande représente un huit de l’infini. Sans cette « coupure » on tourne en rond, à l’infini.

L’etallido social, l’explosion sociale du Chili en 2019, c’est la coupure qui a mis en lumière l’embrouille historique de la Constitution de Pinochet. Une mystification, une tentative de forclusion de l’Histoire ni plus ni moins.

SANTIAGO 1973-2019. Réalisé par Paz Corona, 2020

Avec le film Santiago 1973-2019, c’est aussi l’Histoire qui se rejoue un jour du mois d’octobre. Que signifie cette boucle historique ?

Ces deux dates 1973-2019 quelqu’un que je ne connais pas les a écrites sur un mur de Santiago. J’ai nommé le film ainsi dans la mesure où cette coupure dans l’Histoire je l’ai d’emblée trouvée juste.

C’est le temps qu’il m’a fallu à moi aussi, pour me confronter à cette affaire. J’étais venue tourner au Chili avec l’idée d’aller à la rencontre de certains lieux qui comptent pour moi, mais le film que j’ai réalisé est « plus vrai » que mes souvenirs d’enfants, qui n’ont de sens que pour moi.

J’étais là les deux fois, en 1973 et en 2019, et la deuxième je ne la regrette pas. J’ai filmé la rue où l’Histoire du Chili était écrite sur les murs et les pancartes des manifestants. L’embrouille historique a volé en éclats.

Les acteurs de la mystification de la dictature et de la Constitution n’avaient pas attendu l’ère des Fake News pour créer la désinformation. Il a suffi d’organiser l’acculturation des masses, une répression dissuasive et le temps pour qu’elle s’enracine dans la conscience d’un pays qui a eu peur.

Aujourd’hui, trois ans après la coupure de 2019, le temps pour comprendre s’est écoulé et le moment de conclure vient. Le référendum ne permet pas le débat, la réponse des urnes sera d’autant plus sèche.

Dans le film Santiago 1973-2019 il y a deux images qui me touchent chaque fois que je les revois. L’une que j’ai filmée dans le cimetière général, où une section de tombes vides est dédiée aux disparus, montre le téléphone d’une femme où l’on peut voir écrit que sa sœur de cinq ans a été tuée devant ses yeux d’enfants par des militaires en 1973. L’autre, issue d’une archive vidéo de 1983, où une petite fille est sortie par une fenêtre du premier étage d’un immeuble, où un carabinier vient de jeter une bombe lacrymogène. Ces images disent plus que ce que j’ai envie d’en dire. Si je les rapproche néanmoins, c’est qu’elles rendent compte de ce phénomène qu’est l’interprétation : l’effet d’après coup – le moment de la rencontre avec l’événement, qui peut intervenir bien des années plus tard – y est primordial. Pour moi cet après coup s’est marqué en 2019.

J’étais heureuse d’être là, de saisir ce qui ne se détermine pas à l’avance, mais qui détermine les événements qui vont suivre.

Ce film a beaucoup tourné après avoir reçu le Prix du Jury compétition Labo au Festival de Clermont-Ferrand en 2021. Je suis contente que beaucoup de gens l’aient vu.


L’exposition Lo que Vi est un triptyque qui rassemble Atacama, Santiago 1973-2019 et un troisième film s’appelle Nerò. Ça veut dire l’eau en grec.

Je l’ai tourné en Grèce, pays où l’idée de démocratie a germé. Ça montre un arbre déraciné, sur lequel les ombres des feuilles des arbres qui l’entourent dansent au vent. L’image est belle et la lumière qui en émane est celle de la Méditerranée, un autre chez moi, qui éclaire cette Histoire sombre des deux autres films. La lumière, c’est ma réponse, mon interprétation à ce que le réel m’a donné à voir.

Dans l’exposition figure également une pièce de mille-cinq-cents fleurs en céramique qui noue les trois films entre eux et forme un nœud borroméen. Le visiteur peut se placer en son centre.

C’est en créant ce dispositif que je prends à ma charge d’artiste les questions politiques que je ne laisse pas aux politiciens. C’est ma version des faits. J’aime le XVIIIème français, l’esprit des Lumières, sa bravoure et son élégance. Il n’est plus du goût d’aujourd’hui mais qu’importe, je parle pour plus lointain que moi.

Certaines images m’ont aidé enfant, je garde en mémoire Guernica de Picasso. Je souhaite que mes films soient des relais pour la pensée et surtout pour les enfants… 

Ça ne concerne pas que les chiliens cette affaire-là : la démocratie véritable.

C’est pourquoi cette exposition a été montrée aux États-Unis en 2020 sous Trump, et que je la montre en France en 2022, maintenant que nous avons l’extrême droite à l’Assemblée Nationale.

Quelle place occupe le cinéma dans votre œuvre et dans quelle mesure est-il un travail d’écriture collective ?

Je ne prévois pas mon travail à l’avance. Un jour à quarante ans, je me suis mise à la peinture. Un ami, alors que je n’avais que trois toiles, m’a invité à exposer avec lui et depuis je n’ai pas cessé de peindre. Je n’ai réalisé que des films courts, dont chacun a une forme hybride.

La chance avec les films chiliens c’est que j’étais au bon endroit au bon moment.
Je ne peux pas dire quelle place ont les films dans mon travail. Ils en font partie sans ordre, je ne leurs attribue aucune place particulière.

Le film c’est une autre manière de penser qui implique un échange constant avec beaucoup de monde. En septembre 2019 je suis allée en Chine pour fabriquer les fleurs en céramique et en octobre j’étais propulsée, avec une détermination exacte, dans un projet plus grand que moi.

Le film Santiago 1973-2019 rend compte de beaucoup d’heures de conversation avec ceux avec qui je travaille. Je raconte, j’ordonne, en dialogue avec leur savoir-faire à l’image, au son, au montage. La collecte d’images manquantes pour que le récit « marche » a fait le reste.

La série des dessins photographiés qui représentent des fleurs imaginaires semblent toutefois évoquer la floraison éphémère du désert d’Atacama. Dans quelle mesure votre œuvre désigne-t-elle une dimension anthropocène du réel ?

Voilà une question bien difficile. Je crois ne pas être en mesure d’y répondre. Nonobstant je répondrai quand même, mais peut-être un peu à côté.

Ces dessins de fleurs du désert photographiés ont été réalisés en 2020, en même temps qu’un triptyque de sérigraphies tirées du film Atacama. Je les ai réalisés alors que j’étais encore suspendue à l’incertitude quant à l’issue de ce raz de marée du Chili.

La pluie qui fait fleurir le désert n’est pas venue quand je m’y suis rendue, mais l’Histoire était au rdv.

Il ne faut pas oublier qu’en 2021 le juge Garzón a déposé une plainte contre le Président Piñera au tribunal de La Haye, pour crimes contre l’Humanité, et que celle-ci a été rejetée. Pendant la même période j’ai dessiné un certain nombre de portraits de personnes qui ont perdu la vue pendant les attaques systématiques de la police sur les manifestants depuis 2019.

Les disparus de la dictature, les prisonniers des camps où la torture et les assassinats ont été perpétrés, c’est ce que j’imaginais sous le désert en 2019, puis un an après dans ces dessins. Sous ces fleurs imaginaires autre chose se glisse. C’est le présent qui les fait remuer. C’est le mouvement, et non un arrêt sur image. C’est assez fascinant de voir, en temps réel, un effort constant vers plus de démocratie.

Le Chili est un pays qui à tous les climats sauf tropical, la Nature y est très présente. Beaucoup d’intérêts diamétralement opposés se confrontent sur ces terres où la sécheresse dévastatrice assèche la vie des villes et des villages, mais où tout près l’irrigation des plantations de fruits et de légumes destinées à l’exportation fonctionne parfaitement.

¿Qué culpa tiene el tomate ? (Quelle est la faute de la tomate ?) encore une chanson des Quilapayún.

Je ne crois pas avoir répondu à votre question. Si le désert a fleuri quelques fois, c’est évidemment le résultat du dérèglement climatique. Mais si le désert est là, c’est aussi le résultat du dérèglement climatique.

Peut-on démêler l’ordre dans le chaos ? Je pense que le réel croît dans la mesure où l’on a bien conscience que le symbolique est d’un autre ordre, et que l’imaginaire qui nous sert à faire dire le réel nous donne une figuration des éléments que nous manipulions sans aucune idée des conséquences que nos actes entraînent.

Pour l’histoire de l’eau c’est évident. Il est possible de montrer une fleur qui n’existe pas cela s’appelle la poésie, mais assoiffer des populations ça s’appelle de la saloperie.

Le Chili incarne-t-il à lui tout seul tous les enjeux géopolitiques de la mondialisation, en ce sens différents de ce qui se jouait dans les années 70 ?

Vraiment il y aurait beaucoup à dire. Ces cinquante dernières années ont réservé à leur contemporains la surprise de se confronter à une bascule, qui est due à l’effondrement de la puissance des États.

Le néo-libéralisme n’y est pas pour rien. En associant à la science le pouvoir de l’argent, avec la dérégulation de l’économie, il a supplanté le pouvoir de la politique.

Nous avons cinquante ans d’exemple chilien pour le démontrer, grâce à la complicité d’autres États voisins et des États-Unis…

Je n’énumérerais pas les manques, ce serait indécent. Il suffit de savoir qu’en 2020, le Chili est le 2ème pays au monde où les inégalités sont les plus grandes. Pour en avoir une idée, le miracle chilien laisse voir, par la colère qui a grandi, que l’être humain n’a pas d’autres moyens que de soulever, de forcer la barrière du langage.

Je pense que l’Histoire du Chili est paradigmatique de ce que le fascisme peut vouloir dire. Il ne faut pas oublier que nous avons bénéficié d’experts en la matière. Cette chose est immonde, il faut bien en être conscient. S’il y a quelque chose à démontrer c’est cela.

Cette malversation du langage, d’une constituions écrite par un dictateur, qui en écrasant la liberté de penser et de parler vous hôte au nom du « bien de tous » votre singularité. Nous pouvons regarder du côté du laboratoire du néo-libéralisme pour savoir que ça marche avec beaucoup de sang.

Ce que je peux vous dire, c’est que les mêmes mensonges sont invoqués de manière quasi systématique au Chili, pour garder ce privilège assuré par la Constitution de Pinochet. Il y a beaucoup d’intérêts là dessous. On ne peut faire fi du massacre orchestré pour que cela soit possible. Le « péril rouge », la « manipulation des masses par des agents extérieurs », sont monnaie courante de l’argumentation de l’extrême-droite pour faire dire que l’État – en donnant libre accès à l’école, à la santé, au logement, à la retraite, à l’eau, en assurant le minimum vital pour les immigrés – va appauvrir le pays et ses magnifiques bénéfices. En termes d’inégalités sociales il n’est pas nécessaire d’ouvrir tous les chapitres, les revendications, comme on dit, sont toujours les mêmes que dans les années 70.

C’est d’une pauvreté extrême, toutes les vielles fictions ont été ranimées. Les scénarios à peine retouchés. On a vraiment l’impression d’entendre un disque rayé. Or le monde a réellement changé en cinquante ans.

Avec le miracle chilien le néo-libéralisme non-content d’avoir réduit à un zéro la pensée, en envahissant les médias, a aussi réduit à une peau de chagrin les ressources naturelles. Alors si l’État de ce pauvre pays résume à lui tout seul tous les enjeux géopolitiques de la mondialisation, et bien il faut que l’on chausse de bonnes lunettes pour lire la prochaine réponse des urnes au Chili ! Car une chose est de se faire imposer un état de fait mais une autre chose est de le choisi !

 

Remerciements à la galerie Les Filles du Calvaire pour les images.

www.pazcorona.com

 

 

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