Nicolas Klotz & Elisabeth Perceval travaillent plus que tous les jours.
Accompagner NKEP de près n’empêche pas d’avoir le tournis, désormais qu’ils délaissent fréquemment les processus aussi lourds que dévitalisants imposés à la réalisation pour être en permanence de plain-pied dans les opérations de la fabrique et de la pensée cinématographiques. À Fécamp, en Normandie.
Je dialogue avec eux. Parfois plus que tous les jours. À certaines périodes, je suis obligé de reprendre un peu mon souffle, mes esprits, faire d’autres choses. Avant de revenir les côtoyer, en quelque sorte travailler avec eux.
Avant de les rencontrer, pour de vrai, je connaissais et admirais leurs longs métrages bien identifiés par la critique (à commencer par Paria, La Blessure, puis La Question humaine). D’ailleurs, alors que j’étais très jeune homme, complètement détaché de tout enjeu, j’ai commencé à comprendre le suivisme erratique autant que la perfidie de la critique française ; je ne comprends d’ailleurs toujours pas ce que ce « droit » apporte pour le cinéma. Mais passons les passions tristes. J’étais certain, avant de les connaître, que NKEP ne jouaient pas – eux – aux gros malins. Ils tentaient, (se) lançaient. Non sans lyrisme, même dans ses intensités basses.
Plus important : j’avais aussi aperçu quantité de « dialogues clandestins » réalisés par NKEP, qui me faisaient découvrir que le cinéma peut fréquenter plus simplement le temps et, donc, en garder une véritable énergie à côté de l’économie instituée. Ces films « clandestins » pouvaient passer pour des esquisses, des brouillons, quelque chose disons « en puissance », ou parfois « après coup », après l’envoi filmique, « en latence ». Ils me paraissent pourtant plutôt des zones incandescentes du cinéma en cours, à-venir. L’Héroïque Lande. La Frontière brûle affirme en quelque sorte ce renversement : il n’y avait pas un film à pré-voir, à négocier. Le cinéma est là, était là sur la lande de Calais. Seulement le cinéma ? Non, la vie ; donc une forme de violence. Contre les règnes.
Après avoir repris mon souffle et avoir un peu essayé d’apprendre à utiliser la première caméra numérique achetée par NKEP (le sac de la caméra affiche encore la vignette de leur « structure » d’alors, « Petits et grands oiseaux », avec leur ancienne adresse postale à Chaville) : la Panasonic Dvx100, je suis passé trois jours par Fécamp. En essayant d’enregistrer, avec cette caméra, que l’on trouve désormais pour une centaine d’euros, quelque chose de leur travail. Au lever du jour, à 6h30, la parole s’anime en cuisine, inarrêtable jusqu’après-midi. En fin d’après-midi, jusqu’à la nuit, l’action a lieu à l’étage, avec un écran. Le montage ou, plutôt, un atelier de toutes les opérations d’après ou attendant les tournages.
Fin mai 2020, un film se met à exister dont je ne savais rien. Ou presque. J’avais connaissance des avancées de L’Archipel. Toujours repousse l’herbe par-dessus la frontière, dont je suivais l’écriture et les premières « bobines » (que ce terme soit remobilisé dans la méthode des cinéastes aura son importance). J’observais également les poussées de Nous disons, Révolution qui débordaient la commande de la collection « Où en êtes-vous ? », en réponse à l’invitation du Centre Pompidou fin 2021-début 2022. Je découvrais a contrario presque tout du Feu d’Antifer ; en apparence périphérique aux sujets de leurs autres films, mais finalement situé là où je les aime.
Chantiers NKEP, donc. Un documentaire, de création-recherche, se prépare. Chaque film en chantier constituera une partie du documentaire. La caméra utilisée, confiée par les cinéastes qui l’ont achetée au début des années 2000, produit des images qui ont un étrange échange avec celles des extraits du Feu d’Antifer (filmé avec une Sony alpha). En même temps, Saxifrages – quatre nuits blanches, qui sera présenté en mars 2021 au Réel est entièrement tourné avec cette Panasonic minidv ; ce film, ces images, ont hanté douze ans NKEP, d’abord sous le titre de Zombies, avant la proposition du montage bientôt projeté. Dès le titre, Saxifrages, on retrouve les plantes, les fleurs, la pousse, ici comme perce-pierre. Le Feu d’Antifer est la trajectoire d’un bouquet, comme les quelques minutes de mon documentaire au travail le laissent entr’apercevoir.
Trois jours, donc, à Fécamp. Dans le cinéma de NKEP. En essayant de réfléchir avec une de leurs caméras à ce que serait un documentaire intitulé Chantiers NKEP. J’ai tout de même beaucoup tourné. Mona Rossi, une jeune monteuse qui termine son cursus à la Fémis, m’a fait un peu mieux voir tout cela, mieux sentir ce qui se passait et tout ce qui reste à faire. Dérives publie ici un premier petit ours, pour un film à développer. Thomas Guillot, autre jeune personne tout juste sortie du Fresnoy, qui connaît tout du cinéma de NKEP, m’a accompagné à Fécamp et a eu la gentillesse de m’aider au son. Il m’a aussi sauvé de mon côté empoté.
D’autres extraits de Chantiers NKEP arrivent, plus que probablement. Irrémédiablement.
Le 13.02.2021
Ps. Je n’ai jamais autant aimé étudier le cinéma.
Alors, oui, il y a sans doute un plaisir (reste à se demander pour qui … ) à dégoiser sur des films lointains (inatteignables), aussi proches soient-ils. Mais il me fallait prendre le risque, rompre avec l’habileté, pour étudier pour de vrai le cinéma. Sans enrober les gestes et les images d’une gélatine de mots ; les mots arriveront quand ils en vaudront la peine, feront vraiment sentir quelque chose.
Dans la pratique, je retrouve un statut d’apprenant, quasi-débutant, d’étudiant. Et pratiquer est analyser. Je ne me suis jamais autant demandé d’où venait l’émotion du cinéma.
À une époque où les sourires de façade et l’hypocrisie pensent l’emporter, ces 15 minutes de larmes m’importent beaucoup.
Photographie en haut de la page : Nicolas Klotz.
Contact : robert.bonamy(arobase)univ-grenoble-alpes.fr