Je suis un oeil.
Un oeil mécanique.
Moi, c’est-à-dire la machine, je suis la machine qui
vous montre le monde comme elle seule peut le voir.
Désormais je serai libéré de l’immobilité
humaine. Je suis en perpétuel en mouvement.
Je m’approche des choses, je m’en éloigne. Je me glisse
sous elles, j’entre en elles.
Je me déplace vers le mufle du cheval de course.
Je traverse les foules à toute vitesse, je précède
les soldats à l’assaut, je décolle avec les
aéroplanes, je me renverse sur le dos, je tombe et
me relève en même temps que les corps tombent
et se relèvent…
Voilà ce que je suis, une machine tournant avec des
manoeuvres chaotiques, enregistrant les mouvements les uns
derrière les autres les assemblant en fatras.
Libérée des frontières du temps et de
l’espace, j’organise comme je le souhaite chaque point de
l’univers.
Ma voie, est celle d’une nouvelle conception du monde. Je
vous fais découvrir le monde que vous ne connaissez
pas.
– Le cinéma dramatique est l’opium du peuple.
– A bas les rois et les reines immortels du rideau. Vive l’enregistrement
des avants-gardes dans leur vie de tous les jours et dans
leur travail !
– A bas les scénarios-histoires de la bourgeoisie.
Vive la vie en elle-même !
– Le cinéma dramatique est une arme meurtrière
dans les mains des capitalistes ! Avec la pratique révolutionnaire
au quotidien nous reprendrons cette arme des mains de l’ennemi.
– Les drames artistiques contemporains sont les restes de
l’ancien monde. C’est une tentative de mettre nos perspectives
révolutionnaires à la sauce bourgeoise.
– Fini de mettre en scène notre quotidien, filmez-nous
sur le coup comme nous sommes.
– Le scénario est une histoire inventée à
notre propos, écrite par un écrivain. Nous poursuivons
notre vie sans avoir à la régler au dire d’un
bonimenteur.
– Chacun de nous poursuit son travail sans avoir à
perturber celui des autres. Le but des Kinoks est de vous
filmer sans vous déranger.
– Vive le ciné-oeil de la Révolution !
NOUS
Nous, afin de nous différencier de la meute de cinéastes
ramassant pleinement la saleté des poubelles, nous
nommons les » Kinoks « .
Il n’y a aucune ressemblance entre le » cinéma
réaliste des Kinoks » et le cinéma des
petits vendeurs de pacotilles.
Pour nous, le cinéma dramatique psychologique Russe-Allemand
lourd de souvenir infantile ne représente rien d’autre
que de la démence.
Nous proclamons les films théâtralisés,
romanisés à l’ancienne ou autres, ensorcelés.
– Ne les approchez pas !
– N’y touchez pas des yeux !
– Il y a danger de mort !
– Ils sont contagieux !
Nous pensons que l’art du cinéma de demain doit être
le reflet du cinéma d’aujourd’hui.
Pour que l’art du cinéma survive, la « cinématographie
» doit disparaître. Nous voulons accélérer
cette fin.
Nous sommes opposés à ceux que beaucoup appèle
le cinéma de » synthèse « , mélangeant
les différents arts.
Même si les couleurs sont choisies avec soin, le mélange
de couleurs affreuses donnera une couleur affreuse, on ne
peut obtenir le blanc.
La véritable union des différents arts ne pourra
se faire que quand ceux-ci auront atteint leur apogée.
Nous nettoyons notre cinéma de tout ce qu’y s ‘y est
insinué, littérature et théâtre,
nous lui cherchons un rythme propre, un rythme qui n’ait pas
été chapardé ailleurs et que nous trouvons
dans le mouvement des choses.
Nous exigeons :
A la porte
– Les étreintes exquises des romances
– Le poison du roman psychologique
– Les griffes du théâtre amoureux
– Le plus loin possible de la musique
Avec un rythme, une évaluation, une recherche d’outils
propres à nous même, gagnons les grandes étendues,
gagnons un espace à quatre dimensio
ns (3 + le temps).
L’art du mouvement qu’est le cinéma ne nous empêche
en aucun cas de ne pas porter toute notre attention sur l’homme
d’aujourd’hui.
Le désordre et le déséquilibre des hommes
autant que celui des machines nous font honte.
Nous projetons de filmer l’homme incapable de maîtriser
les évolutions.
Nous allons passer du lyrisme de la machine à l’homme
électrique irrécusable.
En dévoilant l’âme de la machine, nous allons
faire aimer le lieu de travail de l’ouvrier, le tracteur de
l’agriculteur, la locomotive du machiniste…
Nous allons rapprocher l’homme et la machine.
Nous formerons des hommes nouveaux.
Cet homme nouveau, épuré de ses maladresses
et aguerri face aux évolutions profondes et superficielles
de la machine, sera le thème principal de nos films.
Il célèbre la bonne marche la machine, il est
passionné par la mécanique, il marche droit
vers les merveilles des processus chimiques, il écrit
des poèmes, des scénarios avec des moyens électriques
et incandescents.
Il suit le mouvement des étoiles filantes, des évènements
célestes et du travail des projecteurs qui éblouissent
nos yeux.