Lieu de naissance

Film de Florence Pezon, 2000

Ce film s’inspire de la première page d’un récit de science-fiction: « Les enfants de nos enfants » de Clifford Simak: des trous apparaissent dans le paysage d’où déferlent des femmes, des enfants, des hommes, qui, fuyant le futur, « atterrissent » dans le monde présent. Anne est soupçonnée par l’Etat-nation d’être l’une de ces réfugiées du futur. Elle doit prouver son identité au cours d’une enquête.

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Texte de Florence Pezon autour du film

J’ai réalisé Lieu de naissance à partir d’une sorte de commande du Grec et de la mission 2000 qui souhaitait faire des films, non pas forcément d’anticipation, mais qui parlaient plus ou moins du passage à l’an 2000. C’était en 1999.

Il y avait, je me souviens, une contrainte de départ, de scénario. Il fallait partir d’un conte ou en tout cas cela devait parler du prochain millénaire. Bref, je ne suis pas très calée en science fiction mais je connais l’œuvre de Philip K Dick, et puis de Welles, la machine à remonter le temps, et puis l’invention de Morel, de Casarès qui était un « élève »  de Borges, et puis bon, un auteur qui s’appelle Clifford Simack, auteur américain de nouvelles et j’ai décidé de partir d’une de ses nouvelles, qui s’appelle, Les enfants de nos enfants.

Un dimanche matin, en colonne par quatre, deux milliards de réfugiés du futur débarquent sans prévenir, fuyant je ne sais quoi, comptant bien sur l’hospitalité et l’affection de leurs ancêtres. Mais loger deux milliards d’arrières-petits-enfants n’est pas une mince affaire. Faillite et famine sont à nos portes, Une seule solution : construire de nouveaux couloirs temporels et fuir un peu plus haut dans le passé.

J’ai pris le début de la nouvelle (parce qu’après il y a des histoires de monstres, qui ne m’intéressaient pas). Ce qui m’intéressait, c’était l’idée très belle, qu’il y ait des trous dans le paysage, par où arrivaient des réfugiés du futur. En fait, ça me faisait penser à la situation présente, c’est à dire, à l’arrivée de réfugiés, ou simplement d’immigrés sans papiers qui en quelque sorte trouent le paysage, puisqu’il franchissent des espèces de frontières qui sont les frontières réelles, en l’occurrence ici de la France, mais aussi de tout Etat-Nation. C’est à dire de tout Etat de lieu de naissance, nation : naissance. Et la figure du réfugié, déstabilise en quelque sorte cela. J’avais lu un philosophe, Giorgio Agamben, qui définit très bien l’Etat-Nation, et le fait qu’il existe des « Droits de l’Homme et du Citoyen ». Et c’est ce « et » qu’il questionne, en ce sens, que le citoyen, c’est celui est né là, et l’homme c’est l’homme dans sa vie nue, c’est à dire sans droit, qu’on peut à tout moment expulser. Ce qui m’intéressait, et m’intéresse toujours, c’est le fait qu’on doive prouver son identité à tout moment, dans le monde dans lequel on vit. Les réfugiés, la plupart du temps, n’ont pas de papiers qui prouvent leur lieu de naissance. Ils viennent de pays en guerre, ont fui, parfois ne savent pas leur appartenance à tel ou tel groupe, quand ils viennent de zones frontières par exemple. De plus, en 1999, ça faisait déjà un petit moment que la lutte des sans papiers avait éclairé tout ça, mis au grand jour. Et donc, l’histoire de Lieu de naissance (qui est le titre de la formule qu’on doit mettre sur sa carte d’identité, entre autres), c’est l’histoire d’une femme, qui doit prouver son identité, puisqu’elle est soupçonnée d’être une réfugiée. Puisque les réfugiés ressemblent à tout le monde, le gouvernement, décide d’enquêter. Tout le monde doit à un moment ou un autre prouver son identité. Or cette femme, Anne, ne possède en tout et pour tout que des archives familiales vidéo des années 1980, son enfance. On cherche -via un interrogatoire absurde-, à la coincer sur des faits, à savoir si c’est bien de son enfance dont il s’agit, si ce ne seraient pas de fausses archives, et puis aussi corporellement, on cherche à analyser : quels médicaments, quelles cigarettes etc. En fait, cet interrogatoire qui paraît absurde, qui paraît être de la science fiction, est finalement très proche des interrogatoires que l’on mène à l’OFPRA, Offices des Réfugiés pour les demandeurs d’asile, et même pour les mineurs, il y a un examen osseux, où l’on, essaie de déterminer si ils ont 18 ans ou pas ou bien 14, …. Bref, tout ça pour dire, que je suis partie du film de genre, ça se passe dans un futur proche, et puis c’est métaphorique du monde présent. J’ai voulu que le film soit une sorte de boucle aussi temporelle : il y a un interrogatoire au milieu, et un qui recommence à la fin, comme une sorte d’histoire sans fin. On s’acharne sur Anne. Elle, elle fait de la résistance passive, car elle refuse de collaborer quand on lui propose. La « torture mentale » c’est donc de lui passer encore et encore les images de son enfance, qui sont des images « banales », qui pourraient aussi appartenir à tout le monde.

Dans un futur proche elle est confrontée à son passé, obligée.
Comme dans La Jetée, où un homme est sommé de faire un trou dans le passé, car il n’y a plus que le passé qui est habitable, puis-qu’ au présent, tout a été rasé.
Quelle est la place de l’image filmique dans notre mémoire personnelle, collective ?

Transcription de l’intervention de la réalisatrice Florence Pezon au Pôle Image Picardie, (2006) Projections Lieu de naissance et la Jetée (Chris Marker)

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