La Vie de Jésus

Texte de Jean-Claude Guiguet et Scénario de Bruno Dumont, 1996-1997

À propos de La Vie de Jésus
Texte de Jean-Claude Guiguet écrit pour l’ACID, 1997

D’abord dissipons tout malentendu : La Vie de Jésus de Bruno Dumont n’est pas un film de plus sur le Christ. Et s’il y a du miracle dans l’air c’est celui qui consiste à réveiller le cinéma en lui insufflant une vie comme on l’a rarement vu. Ce film-là nous met en face d’une évidence : un corps, un visage, une âme, un paysage, tout ce qui erre un peu au hasard et sans but d’un film à l’autre trop souvent, prend ici une force, une exactitude, un sentiment d’existence qui, littéralement impressionne la pellicule autant que la vision du spectateur.

De quoi s’agit-il ? Des paysages du Nord,Flandres ou Pas-de-Calais, pétrifiés comme des squelettes, des ciels immenses d’où tombe une lumière funèbre, un fragment de ville qui semble morte, un café de quartier et ses habitués, une mère attentionnée, un fils épileptique, l’agonie d’un jeune homme dans une chambre d’hôpital, des copains de quartier… vitellonis désoeuvrés, une histoire d’amour violemment charnelle… Personnages et paysages sont à l’unisson d’une solitude désolée qui ne doit être interprétée ni comme une allégorie ni comme un commentaire de l’action humaine. En face de cette solitude, le film nous apprend à regarder une réalité inédite : ses horreurs comme ses beautés, ses contradictions comme ses instants d’harmonie, ses apaisements comme ses solutions violentes.

La peinture de l’activité humaine décrite ici ne connaît ni dissimulation ni duperie. C’est l’exactitude qui l’éclaire. Nulle ellipse : les regards et les gestes se concentrent sur un seul point où le moment le plus trivial peut resplendir comme une transfiguration du destin, à l’exemple de la scène d’accouplement amoureux dans la prairie. Pas d’enjolivement gracieux, aucun raffinement esthétique, pas d’effet expressif dans cette œuvre unique. On assiste pourtant à la victoire éclatante d’une matière sans jamais savoir laquelle a entraîné l’autre. La synthèse de la figure et de l’espace stupéfiante dans son équilibre ménageant à la fois le mystère et la clarté du monde, crée une sorte de « perspective atmosphérique » qui renvoie à une réalité toujours vivante loin de toute tentative d’abstraction, piège ordinairement tentant et généralement payant. Dire enfin que nous assistons ici à la naissance d’un cinéaste est tout de même … la moindre des choses.

Scénario de La Vie de Jésus écrit par Bruno Dumont, Juin 1996

La vie de Jésus

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