1h52
Image : Bertrand Parisot et Octavia de Larroche
Montage : David Yon
Merci à Cyrielle Faure et Nicola Bergamaschi du Polygone étoilé – Film Flamme pour la numérisation.
Merci à Pierre Armand du Studio lemon pour le nettoyage du son.
Présentation par David Yon
septembre 2019
Pour l’écriture de ma thèse, je viens de passer plusieurs jours à Caen à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine où sont conservées les archives du cinéaste Robert Kramer. Je ne l’ai jamais rencontré de son vivant mais en me plongeant dans ses carnets, j’ai l’impression de le connaître. A l’IMEC, j’ai trouvé la référence d’un entretien datant de 1994 entre lui et Octavia de Larroche, une étudiante en cinéma habitant à Marseille. Je l’ai contactée par mail et elle m’a répondu qu’elle avait encore les rushs de cet entretien sur des cassettes HI-8. Nous nous sommes rencontrés et j’ai fait numériser les cassettes vidéo au polygone étoilé.
25 ans après, cet entretien est donc mis en partage avec très peu de montage, juste quelques coupes et la bande son du début de Guns (1980). C’est un document gardant la trace de la rencontre entre le cinéaste et Octavia. Ils ont en commun un questionnement sur le temps et l’Histoire et une pratique de la photographie comme aide mémoire. Lors de cette conversation, Robert Kramer dit simplement des choses qui me paraissent importantes pour approcher son travail : « Hier, j’ai pensé que le plus grand atout que j’avais pour faire du cinéma c’est que je pense que j’ai une très mauvaise mémoire. Ça veut dire que les choses sont toujours neuves, toujours l’impression de nouveau ». « Dans mes films, les photos sont partout. J’aime beaucoup les photos, quelque part je les aime plus que les films. Mais pas les photos comme des objets sur les murs. J’aime bien jouer avec. Je collectionne énormément de photos des amis, des familles, des places. Je les vois un peu comme des cahiers, des manières de noter des choses, de ne pas oublier tout. J’adore le moment à la fin de Point de départ quand le type dit : Je ne savais pas si j’allais revenir alors j’ai pris une photo. C’est aussi banal que ça. Je trouve que c’est fantastique : je suis parti, je ne savais pas si j’allais mourir ou quoi alors j’ai pris une photo ».
A Paris, la Cinémathèque française consacre une rétrospective à Robert Kramer en novembre 2019. A Marseille, nous organisons un cycle de ses films début décembre au vidéodrome 2.
Présentation par Octavia de Larroche
septembre 2019
En 1993-1994 j’étais étudiante en maîtrise des métiers de l’image et du son et je devais présenter un mémoire de recherche. A l’été 1993 je venais de découvrir le cinéma de Robert Kramer, lors du festival Vues sur les Docs, première version de ce qui est maintenant le FID Marseille. Je ne connaissais alors que son nom et quelques titres de films, je découvrais la personne lors de rencontres autour de Serge Daney auxquelles il était invité à participer, et je voyais Point de départ. Ce film m’avait suffisamment plu et intrigué pour que j’ai envie d’en connaître plus. Je crois me souvenir que j’y trouvais à la fois une manière très particulière de filmer, libre et impliquée, un regard vraiment singulier ; et un sujet qui me touchait personnellement, celui de la mémoire, la fouiller, la faire surgir ou ressurgir, pour la fixer grâce au cinéma, ou la photographie.
Le cinéma de Robert Kramer serait donc le sujet de mon mémoire de recherche. Je parvenais à le rencontrer à Paris, puis à filmer cet entretien à Marseille, profitant de sa venue à l’invitation de Jean-Pierre Daniel, d’abord dans les bureaux du cinéma L’Alhambra, puis chez moi le lendemain, rue de la République (je signale l’adresse parce qu’elle n’est pas anodine).
Aujourd’hui David Yon m’a contactée, et je ressors mon mémoire, et cet entretien, filmé avec l’aide de mon ami Bertrand Parisot qui voulait devenir opérateur lumière. David me questionne sur les conditions de ce travail. Il n’est pas si facile de faire appel à ces souvenirs, il s’est passé tant de choses depuis. Que dire ? S’entremêlent mes volontés d’alors, ce que je pouvais avoir en tête en faisant ce travail, avec celle que je suis aujourd’hui, forcément différente et forcément semblable. (Mais je me souviens avec précision que j’avais tenu à ce que l’on cadre très serré sur le visage de Robert Kramer, comme il l’avait fait pour Linda Evans dans Point de départ).
Et à mes yeux, ce document filmique possède également plusieurs strates. En effet, comment éviter d’y voir, d’y chercher, celle que j’étais, comment je parlais, comment je questionnais. Mais je regarde et j’écoute Robert Kramer. A ma surprise toute la mémoire de cet entretien – les mots, le phrasé, leur musicalité – me revient avec une sorte d’évidence. Surtout, sa manière d’aborder les choses, la vie et le cinéma, me parle toujours. Et je reste convaincue que Robert Kramer et ses films, ainsi que son cheminement et ses questionnements, possèdent une valeur unique, aussi bien sur le plan humain que cinématographique, par sa liberté, celle d’expérimenter, de tenter, et par son engagement entier, sensible et intellectuel.