Critique de la Séparation

Entretien avec Lou Castel par David Pellecuer, 2002
Tenter de résumer la filmographie de Lou Castel peut paraître déraisonnable, voire impossible puisqu’en 37 ans et déjà plus de 80 films il trace une ligne qui passe par une diversité de styles, genres, budgets, durées, qui l’ont amené à travailler aux côtés d’acteurs tels que Bibi Andersson, Gian Maria Volonté, Delphine Seyrig, Alberto Sordi, Pierre Clémenti, Hanna Schygulla, Klaus Kinski, Nathalie Richard, Jean-Pierre Léaud, Victoria Abril, sous la direction de réalisateurs majeurs: Marco Bellocchio, Wim Wenders, Raoul Ruiz, Benoît Jacquot, Rainer Werner Fassbinder, Claude Chabrol, Daniel Schmid, Gérard Courant, Helke Sander, Olivier Assayas, Philippe Garrel, etc.

Malgré l’ampleur de cette œuvre, parler de carrière en ce qui le concerne frise le contresens, tant ses choix rigoureux, la réflexion très personnelle incessante qu’il a menée sur son métier et sa pratique sont non-conventionnels : refus de l’argent et de la notoriété, impossibilité dans laquelle il s’est longtemps trouvé de distinguer fiction et réalité ou séparer vie professionnelle et privée, les deux ayant toujours été intimement liées matériellement et psychologiquement.

Un terme revient ainsi de façon récurrente dans son discours, permettant de mettre à jour la logique souterraine qui l’a guidé quasiment depuis le début : militantisme. De fait, si l’engagement politique de Lou Castel a eu pour conséquences paroxystiques son éloignement du cinéma pendant deux ans ainsi que son expulsion d’Italie comme un acte manqué salutaire en 1972, cette ligne de conduite est également passée dans les films eux-mêmes, déterminant ses choix de rôles et de réalisateurs, mais aussi ses inventions d’acteur, ou les motivations politiques externes aux scènes qu’il devait jouer. « Ceux qui se plaindront des hommes qui veulent révolutionner toujours, ne devront être judiceusement apprécies que comme les ennemis du peuple » (Gracchus Babeuf).

Ses débuts remarqués au cinéma dans l’Italie des années 60 avec I pugni in tasca (Bellocchio, 1965) ont fait de lui l’acteur des états psychologiques extrêmes dont l’explosion gestuelle était la matérialisation concrète. Nombre de réalisateurs feront régulièrement appel à lui pour l’être cinématographique d’incandescence intertextuelle qu’il représentera dès lors. De tout évidence, Lou Castel a été lui aussi durablement marqué par ce rôle originel (“ conditionné ”, dit-il), dont il tente de se détacher à partir de 68 mais dont il retrouve régulièrement l’évocation, notamment 30 ans plus tard avec La Naissance de l’Amour (1993) de Philippe Garrel et Irma Vep (1996) de Olivier Assayas.

S’il se considère comme un comédien, il avoue qu’il a « toujours eu du mal à jouer ». Pourtant Lou Castel est cet acteur qui a systématiquement investi un pan du registre de l’excès : la colère (et parfois son double impassible, l’autisme), puis l’a explorée de façon obsessionnelle jusqu’à la détailler et la faire varier à l’échelle d’un film tout entier en jouant le personnage de la fureur permanente : Jeff, le réalisateur de Prenez Garde à la sainte putain (Warnung vor einer heiligen Nutte, 1970).

Au delà de la simple interprétation des personnages qu’il a incarnés, afin de réellement comprendre, afin de ressentir véritablement cet obsessionnel besoin de placer ses propres idées et inventions partout où il en avait la possibilité –encore plus lorsque c’était impossible- chacun devrait avoir la chance de le voir mimer au moins une fois, même hors contexte, même chez lui, la mort d’un de ses personnages tombant sous les balles de la police, citant visuellement, corporellement et émotionnellement l’espace d’une seconde le cheval du Guernica de Picasso.

Aujourd’hui, il est difficile de croire que celui que l’on a vu s’emporter ainsi à l’écran est cet homme discret et se tenant légèrement à l’écart à la Cinémathèque française, ou parlant sans fin avec des cinéphiles des films qu’il réalise depuis sa rencontre avec Robert Kramer en 1997, Just in Time (1999) et Our Tongues Are Moving (2001). Il semble accomplir là, après un détour d’une trentaine d’années, ce qu’il avait laissé en suspens en 1965 en devenant acteur.

David Pellecuer : Vous êtes né en 1943 en Colombie, d’un père suédois et d’une mère anglaise, comment avez-vous commencé à faire du cinéma ?

Lou Castel : Nous avons vécu dans différents pays, puis lorsque j’ai quitté le collège en Suède nous sommes allés vivre à Rome. Le cinéma m’a immédiatement passionné : ma mère (Winifred Melia) était scénariste et avait travaillé avec Monicelli et Fellini qui m’avait promis d’être assistant d’assistant sur l’un de ses films. Après avoir attendu en vain, je me suis inscrit à l’Actors Studio chez Alessandro Fersen, qui utilise la méthode Stanislavsky-Strasberg, mais avec des variations sur la transe africaine ce qui est très dangereux : on perd le contrôle, certains sont devenus agressifs, l’un s’est suicidé… Mais la méthode on la dépasse, on l’oublie, on ne doit pas y penser. Deux ans plus tard je voulais m’inscrire au Centro Sperimentale di Cinematografia en tant qu’acteur, et au dernier moment j’ai changé d’avis et j’ai passé le concours pour le département réalisation. Au bout de deux mois je m’ennuyais déjà. J’ai rencontré Bellocchio qui, comme son monteur Silvano Agosti, avait été étudiant dans cette école, et cherchait l’acteur pour le rôle principal de I pugni in tasca. Cette rencontre a été importante, c’était un peu comme une symbiose -moi je dis “ accouplement ” comme dans la théorie biologique de Varela : deux cellules s’ouvrent et se complètent- il avait un jumeau, moi aussi, il voulait être acteur et a fait de la mise en scène… Maintenant encore, ça peut fonctionner entre nous, mais je n’ai pas de rapports avec lui, c’est dans le travail que ça se déclenche.

La période historique pleine de tensions, comptait aussi beaucoup, c’était au moment des missiles de Cuba, Bellocchio était influencé par son frère Giorgio qui avait une revue d’extrême gauche, I Quaderni piacentini. Mais l’idéologie marxiste restait sous-entendue, on n’en parlait jamais : ça se vivait, et ça passait dans les films. C’est peut être aussi pour ça qu’ils étaient si réussis. C’était très concentré, dramatique, c’était une façon de déclencher les énergies, de se défouler aussi…

Je n’avais pas spécialement de théorie sur ce que devait être le cinéma, j’étais tellement impliqué dans la réalité italienne… Je n’étais pas cinéphile. Le premier film que j’ai vu c’était Il Cappotto (Alberto Lattuada , 1952), au collège en Suède. C’est peut-être le néo-réalisme qui m’a touché. Le cinéma est venu avant les idées, parce qu’il était lié au réel indirectement. La motivation pour jouer Alessandro était idéologique, faire une étude psychologique ne suffisait pas. Je devais penser à une idée forte en dehors du contexte du film. Et j’ai continué à faire ça pour chaque film jusqu’à maintenant. Pour I pugni in tasca, je me souviens très bien que je pensais à ma génération qui se trouvait prise en sandwich entre le passé nazi et les américains. Certains cinéastes brésiliens m’ont dit : “ ce personnage c’est surtout toi ” parce qu’il y avait un côté rebelle. C’est paradoxal : ils me voyaient plus sur l’écran que le personnage, alors que moi je jouais, j’étais très conditionné par les indications de Bellocchio, par sa maturité, sa personnalité. Il avait cette névrose lucide, parce que la névrose c’est toujours une critique du réel, et je ne faisais qu’absorber et mettre en action ce mouvement. C’était assez physique et en même temps très psychique. On m’a défini comme un acteur “ psychique ”, bizarrement. Le critique anglais Kenneth Tynan a écrit que dans le reste du film j’étais très “ brandoien ” mais que la scène finale de la crise, aucun acteur vivant n’aurait pu la jouer. J’ai juste demandé à Bellocchio de me décrire les mouvements épileptiques, il était vraiment habituel de ne pas faire d’analyse clinique.

DP : Cette crise, semble être une somatisation de toutes les tensions, les traumatismes, accumulés pendant le film.

LC : Juste avant de mimer la crise, au début de cette scène, je devais écouter la Traviata, et pendant ce temps je pensais justement à tous les événements qui s’étaient produits. C’est un peu dans la méthode de faire ça. J’étais assez timide, je ne savais pas jusqu’où je pouvais aller, et j’ai été étonné que Bellocchio me laisse libre.

DP : Comment vous a-t-il présenté le rôle ?

LC : Il m’en a parlé dans le sens d’une critique négative d’un grand narcissique. Le film devait avoir plusieurs titres : Le petit Adolf, ou Les vertes années du poète Leopardi, ou Hygiène familiale. Je crois qu’on n’a jamais parlé du sens politique du film, mais je pouvais y voir une métaphore du capitalisme : les branches malades que l’on coupe, le cynisme de l’investissement, la logique implacable du fonctionnement du système économique… Mais ça, c’est venu après, sur le moment c’est vraiment une pulsion. Bellocchio trouvait toujours des situations très physiques, que je pouvais compléter d’une façon dramatique, crédible. Lui, était ironique. Pour la scène de veillée funèbre il avait suggéré de faire des pompes au dessus du corps de la mère, mais l’actrice qui était croyante l’a convaincu de ne pas le faire, c’était trop blasphématoire.

DP : Mais il reste quelque chose de ce geste transgressif, puisque vous passez d’un côté et de l’autre du cercueil en sautant par dessus.

LC : Oui, on l’arrangée comme ça, je voulais même rire pendant la scène, mais je n’ai pas réussi. Je ne suis pas un comédien qui peut déclencher le rire ou pleurer sur commande.

DP : Qui a eu l’idée des gestes compulsifs, agressifs, que vous faites à l’insu des autres personnages ?

LC: Ça, ce sont les trouvailles géniales de Bellocchio, et moi je comprenais tout de suite de façon intuitive ce qu’il attendait et j’adorais compléter ses indications. J’ai appris l’Italien avec ce film. Tout était ouvert, c’était une période unique. Ce n’était pas seulement professionnel : c’ était tellement une réalité que même la langue étrangère ne posait aucun obstacle. C’était comme si j’assimilais au niveau d’une névrose même, la langue qui en devenait un des éléments. C’est plutôt Bellocchio, sa façon de parler, qui avait un impact. Je voyais en lui cette présence et je la transposait dans le personnage. C’est ça qui était tellement réussi. Pendant le tournage il y avait une tension, c’était sa névrose, mais il ne faut pas le voir comme quelque chose de négatif. En dehors, c’était le calme absolu, avec une ironie constante, joyeuse.

J’ai vraiment été très marqué par ce personnage, psychologiquement, même : le fait de tuer sa mère, ça a résonné en moi. Pendant le tournage j’ai reçu un télégramme de ma mère me demandant de rentrer (j’avais quitté le Centro). A posteriori, je réalise que c’était un moment de destruction de ma mère dans la fiction, et sans le savoir je vivais aussi ce rapport-là de façon refoulée : moi, pas le personnage. C’est nouveau que j’arrive à en parler, il est toujours difficile de faire la distinction entre ce qui est dans la fiction et ce que toi tu es. On ne voit toujours que l’aboutissement, il n’y a que les comédiens, les techniciens qui vivent les tournages.

DP : Comment préparez-vous les rôles en général ? Comment se passent les prises ?

LC : Ça dépend du réalisateur. Avec Garrel c’est la première prise qui est la bonne. Lui aussi est très “ psychique ”, il crée une tension, moi je le sens et ça doit être immédiat. Dans sa technique de mise en scène, il va lui aussi ajouter un élément qui déclenche. Dans une scène de La naissance de l’amour il a apporté au dernier moment le bébé devant moi, hors-champ. Quand je l’ai vu, j’ai eu un sourire intérieur. Ce sont des moments où on est dans l’immédiat. Moi j’adore ça, parce qu’avec la technique, il y a toujours quelque chose qui ne va pas, et il est difficile de garder un moment comme ça. C’est un problème inhérent à la technique et au jeu : si tout va bien dans le jeu, c’est automatique, quelque chose ne vas pas dans la technique, et inversement. Chaque réalisateur a ses ruses, mais il n’y a pas de solution. C’est une critique dans l’absolu de cette division du travail.

DP : Avez-vous été influencé par des acteurs ?

LC : Avant c’était des héros un peu mythiques : James Dean, Brando, Newman, Holden, Cooper, etc. Il y avait un aspect héroïque. Par la suite, c’était Mastroianni. Mais quand je suis devenu acteur je n’y pensais plus. L’admiration allait ailleurs : Che Guevara…

DP : Vous avez déjà écrit un texte en 1984 (Programme de la Cinémathèque française,
Septembre/Octobre 2000), sur le rôle de la voix dans votre jeu, et le fait qu’elle vous affranchissait du montage.

LC : Je n’ai jamais accordé d’importance à la voix et je trouve toujours ça secondaire. Mais c’est la seule façon de critiquer l’aliénation de la technique, c’est à dire l’image. Je m’en suis rendu compte sur le tournage de Campo Europa (1984). Le réalisateur suisse Pierre Maillard était très enthousiaste et ouvert parce que lui aussi vient de 1968, il n’était pas que dans le rôle du metteur en scène. C’était sur les Cinq Terres, un endroit où la voix humaine a plus d’importance car il y a la mer et les marins parlent très fort sans s’en rendre compte. Quand j’ai entendu ma voix enregistrée, je me suis dit : “ Quoi ?! Ça c’est ma voix ? ”. Et en plus c’était en anglais, alors que souvent je suis doublé. Du coup je retrouvais mon identité, et j’ai été impressionné par le timbre de ma voix très lointaine, très personnelle. Jusque là je jouais sans ma voix, puisque j’étais doublé ; je suis devenu acteur parce qu’on pouvait me doubler. Je pensais plus instinctivement à l’action qu’au texte, je n’ai jamais demandé à changer mes textes, mais ça provoquait une division compliquée avec le mental : on ne peut pas faire semblant qu’il n’y a pas de texte. Les mots étaient des prétextes à déclencher l’action.

DP : A partir de quand avez-vous recommencé à vous réapproprier votre voix, à en tenir compte ?

LC : Jamais. Maintenant peut-être, avec le français, on m’a dit que ma façon de parler s’était améliorée rapidement.

DP : Pourtant en 1993, dans La naissance de l’amour vous n’êtes pas doublé.

LC : Oui, mais là il s’agissait d’apprendre le texte. J’ai toujours eu des difficultés à apprendre une langue, sauf l’Italien qui était imbriqué dans mon corps à partir d’une action pulsionnelle. C’est un peu monstrueux : tu as un bout de cinéma en toi et tu le portes toute ta vie. Je devais trouver la réplique quand je jouais. Je suis dans l’action quand la caméra tourne, et ça c’est une tension à part, un mouvement. Je dois aussi penser à ce que je vais dire, et ce n’est pas immédiat : il me faut un temps pour le retrouver et l’italien a fait l’unité entre ces temps-là. Alors que quand je joue en Allemand, Anglais et Français, la séparation persiste.

Je crois que le premier film c’est comme un truc organique, quelque chose qui a développé ma personne, qui n’a rien à voir avec l’acteur. Comme si par la culture Italienne à travers l’acteur, j’avais encore plus reçu la réalité Italienne. Par le passé, je disais qu’il y a une énergie spécifique de la pellicule qui est organique. Mais je ne sais pas si c’est vrai, ni pourquoi. Parce que là il faut voir la matière de la pellicule…

DP : C’est une peau…

LC : Voilà, c’est comme une deuxième peau, que j’ai perdue et que chaque fois je récupère. Ça c’est vrai pour mon visage : quand j’étais petit à Carthagène, j’étais tout noir et j’ai perdu la peau de mon visage. Là je délire, mais peut être pas. C’est très spécifique pour l’absorption de la lumière, cette action des particules qui se reflètent d’une peau à l’autre. C’est pour ça qu’après un certain nombre de films je ne supportais plus de me voir en gros plan. Je me demandais quoi exprimer. Avec le corps on a une distance, on sait plus ou moins ce qu’on va exprimer. On sent la distance à la caméra, les temps morts, les temps de tension… Peut-être que la caméra paralyse le corps de l’acteur, au lieu de le mettre en mouvement, elle le bloque. Parce qu’elle est animée d’un mouvement artificiel, mécanique, et donc le corps du comédien va se régler là dessus, mais il ne peut pas le faire à l’infini. Dans le total des heures de tournage, des films accumulés, on tend vers l’immobilité. Et le visage sera de plus en plus inexpressif. Cette obligation de jouer soit avec son corps, soit avec son visage, crée une séparation. L’énergie du corps ne peut pas remonter dans le visage et inversement, à quoi bon s’exprimer avec le visage si le corps ne s’exprime pas aussi ?

DP : Parliez-vous de ces problèmes avec vos partenaires : Gian Maria Volonté, Jean-Pierre Léaud, Klaus Kinski, etc. ?

LC : Jamais ! Avec Volonté il y a eu un conflit à la fin de Quien Sabe ? (Damiano Damiani, 1966), avec Léaud aussi parce qu’il y avait une tension terrible. Il est dans sa bulle et pour moi ça crée une atmosphère de violence. Ce n’est pas justifié d’aller jusque là pour bien jouer. Avec Volonté on s’est disputé sur la dernière scène : on la répétait, et je marchais sur les tables en lui lançant les répliques, un peu librement. Il disait : “ tu ne me donnes pas exactement la réplique ”, et moi j’étais fâché, il exigeait une méthode un peu plus théâtrale. Ce n’est pas grand chose, mais c’est vrai qu’une fois qu’il y a un conflit, ça ne s’arrange pas. Je l’ai rencontré plus tard, lorsque j’ai été expulsé d’Italie à cause de mes activités. Il est venu par solidarité juste avant que je prenne l’avion pour la Suède. Il a tenu à préciser qu’il était pour le Parti Communiste alors que moi j’étais d’extrême gauche. Il a aussi refusé d’aller à Cannes en 1972 par solidarité avec Pierre Clémenti emprisonné et moi expulsé, alors qu’il avait deux films au festival. Ça dépasse les problèmes entre comédiens, c’est une conviction qu’on peut admirer.

DP : Et avec Kinski ?

LC : Il y avait une sympathie non dite, on ne se trouvait jamais l’un à côté de l’autre à parler. Avec Clémenti, non plus, je n’ai jamais parlé du travail, je crois que ça fait partie de notre isolement. C’est le film qui arrangeait ça. Le social était dans le film.

DP : Pourquoi après votre premier film, jouez-vous si fréquemment des personnages révoltés ?

LC : Ça vient d’une double conscience politique du jeune homme et de l’acteur qui ont commencé ensemble mais de façon asymétrique, jamais simultanément. Peut-être que la scission entre le militant et l’acteur engagé ont créé une souffrance, de ne faire bien ni l’un ni l’autre. Il y a la période avant 68 et la période après. Avant il y avait synthèse entre l’acteur et la rebellion politique. La scission commence après : le fric, la célébrité, et le choix de rupture et de militantisme vont se passer sur deux plans différents.

DP : Comment ça se traduisait ?

LC : Par le financement de l’organisation marxiste-léniniste. D’abord j’ai fait l’expérience du militantisme en croyant que je pouvais abandonner l’actorat, parce que j’étais très déçu du fait que le commercial décide de tout. Le film qui m’a décidé c’est Grazie, zia (Salvatore Samperi, 1968) parce que le producteur avait décidé d’ajouter une scène de nu à cette rigueur de premier film -le metteur en scène était même marxiste. C’était l’occasion de changer de vie, dire que je ne croyais plus à la cohérence des choix que peut faire un acteur. J’avais lu par hasard la phrase de Marx disant que c’est l’être qui détermine la conscience et pas l’inverse, j’en ai conclu que l’acteur ne pouvait rien changer, que pour faire la révolution il fallait autre chose. Mais là il ne faut pas être trop ironique, parce que l’erreur c’était de dire que toute la culture était bourgeoise, alors que ce n’était qu’un reflet de la structure. Il y a eu trop de sectarisme et de dogmatisme là dessus même s’il était aussi nécessaire de l’être pour créer une rupture avec la tradition communiste Italienne. Je ne voulais pas être riche, Volonté voulait continuer avec l’argent et avoir une cohérence de comportement… Mon choix c’était de reconstruire un autre parti. Je suis allé dans le sud avec les paysans, je n’avais plus de rapport avec le cinéma à ce moment-là.

DP : Vous n’avez pas pensé faire des films sur le Sud, par exemple ?

LC : Non, pas du tout, c’était Bellocchio qui faisait ça. Les camarades dirigeants me disaient que puisque j’étais acteur, je devais continuer à faire l’acteur, mais j’avais en moi ce refus. La contradiction existait toujours pendant le militantisme : par exemple lorsque je distribuais le journal maoïste Servir le peuple, les jeunes me demandaient si j’avais couché avec l’actrice [Lisa Gastoni] du film Grazie, zia, ça accentuait le conflit en moi. Je n’allais plus à la section de Rome et je faisais des films de série B ou Z. Même si je voulais financer le parti, je n’aurais plus pu parce que ma cote avait baissé. Il s’est alors produit un événement, que j’ai peut-être provoqué : mon expulsion en 1972. Du coup j’étais de nouveau motivé, à Paris, avec les camarades qui me soutenaient depuis l’Italie, et à mon retour deux ans plus tard des cinéastes se sont mobilisés, nous avons occupé un commissariat de police. Très maladroitement je critiquais les cinéastes communistes. Même Antonioni, Scola, etc. J’avais envie de faire table rase.

DP : A propos de ces films de genre, quelle importance accordiez-vous aux rôles ? Les négligiez-vous ?

LC : Non, la motivation c’était toujours cette force idéologique — jusqu’au film Les enfants du placard (1977) de Benoît Jacquot — ce qui est un peu anormal : ce n’est pas un vrai critère pour accepter un film. Je pouvais faire le plus nul des films pour financer l’organisation politique. C’était la collectivisation.

DP : En parlant de vos westerns de gauche, vous avez déclaré que le public populaire à qui ils étaient destinés allait les voir, contrairement aux films “ intellectuels ”.

LC : Oui, mais leur côté manichéen, l’évasion, l’identification, font qu’ils annulent le conflit réel entre les classes. En même temps c’est un reflet, parce qu’il y avait de réelles tensions, peut être que le western est arrivé pour cette raison-là, mais ça occulte le discours.
Quelqu’un a écrit dans la revue Cinéthique que le western était une “ hypostase de la lutte des classes ” ; oui, mais c’est comme la Bible : inventer un langage populaire pour mieux enculer les masses galopant sur les conflits réels du travail aliéné. Mais pendant le film il faut une rigueur absolue pour jouer ce personnage réactionnaire du Gringo dans Quien Sabe ?. Je me motivais en me disant que je jouais l’ennemi, mais il n’y a aucun ennemi à jouer puisqu’on est dans la fiction. Un western c’est quand même ennuyeux : c’est très fatigant, il n’y a pas de mécanismes intérieurs, c’est visuel, le vrai acteur c’est la caméra. Nous, on trouve des petits moments pour que ça soit expressif. Volonté, par exemple, pensait qu’il faisait partie du décor, il disait : “ je suis là pour colorer la fresque ”. Il avait peur de moi, il connaissait ma force des gros plans, et quand je lui ai dit qu’il y a une énergie de la caméra, il m’a répondu que c’était des conneries.

DP : Pour ce personnage, au contraire de vos rôles explosifs, vous restez impassible.

LC : Là encore c’est l’intervention de Damiani. Pour la scène où El Chuncho (Volonté) me rattrape, et qu’il y a deux directions possibles, je faisais un mouvement névrotique par peur que mon plan échoue, mais en y pensant, ce mouvement me vient aussi de I Pugni in tasca. Damiani n’a pas monté ça dans le film, et ça a créé une rupture, une distance entre nous.

DP : Il y a une constante chez plusieurs de vos personnages : ils ont des problèmes de conscience ce qui se traduit littéralement par des pertes de conscience, des crises…

LC : Ça, c’est le choix des réalisateurs. Ma façon de procéder dans le choix des rôles, c’était par oppositions : Alessandro est un personnage négatif destructif, ensuite il a eu Saint François d’Assise (Francesco d’Assisi, 1966) avec un jeu positif, puis Quien Sabe ? et Requiescant (Carlo Lizzani, 1968), le cynique et le révolutionnaire mexicain. A partir de 1968 il y a une rupture, une crise réelle, je ne pouvais plus penser en ces termes, considérer les oppositions entre personnages mais avec les producteurs, dans les rapports de production.

Sinon, les rôles ultérieurs font des références à ceux-là : Chabrol a vu I pugni in tasca. Dans Nada (1974) il voulait aussi une scène avec des lapins, mais il l’a coupée au montage. Pour ce film j’ai parlé quatre heures avec le scénariste (Jean-Patrick Manchette), mais pas du personnage, je lui demandais de mettre dans la bouche de Buenaventura Diaz (Fabio Testi) une réplique sur la lutte armée. Au même moment j’avais une proposition de Jean-Pierre Gorin, et une autre de Ferreri que j’ai refusées pour Nada.

DP : Comment jouez-vous la colère ?

LC : C’est une explosion, un mouvement rapide. Dans les scènes il me fallait trouver le moment d’une action violente, mais ça devenait un peu ridicule : si le film est nul, il n’y a pas un grand intérêt à chercher ça.

DP : Pourquoi était-ce si important pour vous ?

LC : Parce que c’était réel dans la période pré-68, ça allait avec tout le reste, c’étaient des crises justifiées, même dans Requiescant lorsqu’à la fin le personnage prend conscience du massacre, et tourne en rond, comme une sorte de happening du Living Theatre. Il peut y avoir beaucoup de raisons : la confusion fiction-réalité, la répétition compulsive, dépasser le texte et trouver des moments forts dans l’action…

DP : Et ça débouchait souvent sur le même affect ?

LC : Oui. C’était une persévérance, qui n’allait pas nécessairement avec le film. Je crois que même dans Gli occhi, la bocca (Bellocchio, 1982) où je passais par des extrêmes, je finissais chaque fois les scènes dans un geste : il ne me restait plus que ça, il n’y avait pas la situation. Bellocchio a tout coupé ensuite.

DP : Mais la plupart des réalisateurs gardaient ces moments ?

LC : Ils ne pouvaient pas être d’accord si ça débordait leur propre fiction. Dans une scène de Matalo! (Cesare Canevari & Eduardo Manzanos Brochero, 1971) par exemple, je devais prendre un boomerang et le lancer : je voulais jouer de façon réaliste, et non pas dans une espèce d’ironie fictionnelle théâtrale. Dans une autre scène je demandais à l’autre acteur qui devait me fouetter de me toucher pour que je puisse réagir. Alors on peut interpréter ça comme du masochisme, mais j’ai besoin de quelque chose de réel dans la scène, que je sente avec mon corps. Lorsque j’ai lancé le boomerang, c’est Canevari qui l’a pris en plein ventre. Il m’a regardé d’un air stupéfait.

Un autre exemple, dans Prenez garde à la Sainte Putain j’ai donné trois gifles, réelles, à l’actrice. Ensuite je culpabilisais. Mais cette violence se retrouve ensuite dans ta vie privée. Il y a vraiment un reflet de la violence cinématographique, je la répète de façon pavlovienne dans mes rapports. Mais c’est interactif : je ne sais pas laquelle détermine l’autre.

DP : Certains réalisateurs vous ont utilisé comme icône de l’esprit des années soixante.

LC : La répétition de personnages des films précédents, en 68, je me suis dit que c’était nul, que je ne faisais que répéter le personnage d’Alessandro, en pire. Mais c’était faux, chaque film a son moment déterminé historiquement, il n’y a pas de répétition. Pareil lorsque Wenders m’a appelé de Lisbonne pour jouer un réalisateur  dans L’État des choses (1982) : je me disais : “ Ce personnage, je l’ai déjà fait ”. J’étais dans ce piège d’une fausse continuité. J’étais conditionné moi-même par cette icône de rebelle. Je devenais un personnage qui devait à tous les coups tenir cette image rebelle, même si ce n’était pas justifié, parce qu’on ne tient pas ça en tant qu’image. Et je n’étais pas une exception.

Je l’étais déjà moins dans les années 80, si les cinéastes y pensaient encore c’était leur problème. Je me rappelle que Philip Kaufman me voulait pour l’Insoutenable légèreté de l’être (1988). On s’était connus en Californie, j’y étais allé pour voir Coppola, Wenders tournait Hammett (1983). Eux me voyaient comme une star mais moi je n’avais pas un comportement de comédien qui connaît sa valeur. Kaufman est venu à Paris, la directrice de casting me voulait absolument. Finalement il ne m’as pas appelé, j’étais furieux, je lui ai envoyé une carte d’insulte. Je prenais conscience à retardement de l’importance que j’avais et je réagissait en même temps au manque d’importance qu’ils m’accordaient. C’était souvent comme ça.

DP : L’exemple de référence le plus évident et en même temps incroyable est sans doute Gli Occhi, la bocca : vous jouez un personnage qui a été l’acteur de I pugni in tasca.

LC : Ça c’était le problème de Bellocchio: il voulait en finir avec ce mythe et le critiquer. Mais faire référence à son propre film, ce n’est pas nécessairement le dépasser. Il voulait aussi parler de moi, acteur trop conditionné par le personnage d’Alessandro. Mais ma vie était complètement différente, j’avais milité… Je n’étais pas content du tout, il me trouvait antisocial, mais j’avais tort : je ne pouvais pas exiger de Bellocchio qu’il raconte de l’échec du militantisme. Dans la deuxième partie du film, il a rajouté cet aspect documentaire sur l’acteur, je crois que ça n’était pas prévu au départ. A un moment je lance un regard à la caméra, comme exaspéré par sa présence, les japonais appellent ça un Haïku. C’était pour donner l’impression de dire : “ Je ne voulais pas être acteur, et voilà, je le suis de nouveau ”, suggérer que ce n’est pas un personnage, mais moi, Lou Castel, en train de jouer. Je ne pouvais pas deviner que Bellochio allait développer tout ça à sa façon. Les Cahiers du Cinéma ont même écrit que c’était le plus beau documentaire sur un acteur… En même temps c’est une tautologie : comment critiquer un acteur au niveau structurel, alors qu’il est dans la fiction ?

Pour ce rôle, la motivation c’était l’échec du militantisme. Je devais penser à ça. Au point que j’en oubliais d’être acteur. Lors d’une scène, Bellocchio s’est fâché et m’a dit que c’était nul, j’ai dû revenir à la méthode Stanislavsky, et finalement c’était une des plus belles. C’est drôle cette symbiose avec lui : quand je vais chercher dans mon inconscient, c’est comme si cette tension collait tout de suite à la pellicule. Lorsque le film s’est terminé je suis redevenu acteur : à partir de 1982. Dans les années 60-70, je ne jouais pas vraiment. Même Prenez garde… j’ai fait ça comme ça.

DP : Est ce qu’à partir de ce moment-là vous avez encore eu besoin d’éléments réalistes dans les scènes pour les jouer?

LC : J’ai toujours eu du mal à jouer, ça n’a jamais arrêté. La seule exception c’est La naissance de l’amour : je me suis retrouvé à faire le lien direct avec I pugni in tasca, mais c’est le film en soi, et non mon jeu. Généralement, il y a toujours un moment qui déborde, et j’entre en conflit avec le metteur en scène, ou je vais très mal. Je dois être sincère là dessus : il y a un côté très aliéné quand je tourne. Les scènes reviennent la nuit, je répète sans cesse… J’appelle ça aliénation parce que je n’y échappe pas. Si j’ai une admiration pour les comédiens, c’est pour ceux qui savent oublier tout ça.

DP : Y a-t-il eu plusieurs phases dans votre méthode de jeu ?

LC : Il y a eu la méthode herméneutique, que j’ai toujours plus ou moins conservée, et qui consiste à se placer dans différents lieux pour relire le scénario. Dans Les enfants du placard, j’aimais la scène finale qui a une certaine profondeur. Lorsque ce n’est pas le cas, il faut l’inventer. C’était ma méthode pour donner du rythme, de l’harmonie, à la succession interne des scènes : me déplacer dans le temps et l’espace, me charger d’émotions qui reviendront au moment du tournage. C’était peut-être parce qu’il n’y avait plus de scénarios qui m’intéressaient autour de 1986-87. Avant c’était instinctif. Avec Ruiz j’étais totalement en crise. Je devais jouer deux personnages dans L’Ile au trésor (1986), c’est comme s’il y avait un miroir sur la pellicule, et que tu veuilles te transformer alors qu’il n’y a rien à transformer. A quoi m’accrocher ? C’était comme si je redoublais le personnage et pas du tout deux personnages différents. Pour moi c’est la preuve que dans le cinéma il n’y a qu’une seule énergie, pas deux.

DP : Comment avez-vous travaillé le rôle de Jeff  dans Prenez garde à la sainte putain?

LC : En regardant Fassbinder qui était là, et j’ai ajouté mon truc idéologique : ça peut être le nazisme, la critique, la vengeance envers le metteur en scène. Ce conflit je l’ai toujours vécu. Un ami m’a dit que le réalisateur c’est l’équivalent du contremaître. C’est vrai, mais en même temps, je ne l’ai pas trop visé. En tout cas, ça c’était le contenu immédiat.

DP : Qu’avez vous apprécié, ou conservé de votre travail avec les réalisateurs qui vous ont dirigé ?

LC : L’extrême liberté de Fassbinder, Wenders qui partait de ma façon d’être et ne modifiait pas une virgule à la façon dont il me voyait, et la liberté d’improviser pendant les scènes de Garrel.

DP : Et en tant que réalisateur ?

LC : J’aime les mouvements très rapides, très cinématographiques. Je n’aime pas le théâtre. Je pourrais l’envisager en tant que metteur en scène mais pas en tant qu’acteur, le monde théâtral me paraît terriblement destructeur : clos, bizarre… Quand je jouais, la machine c’était le public, j’étais encore plus paniqué ; et surtout les répétitions, c’est déjà une mécanique en soi qui se répète tous les soirs. La technique de comédien de théâtre consiste à éviter ça, et moi je ne la connais pas. Il y a aussi une concentration dans l’écoute de la voix, donc ça me fragilise.

DP : Le fond sonore fait de bruits de rue est très présent dans vos deux films.

LC : Pour moi c’est le vrai silence, comme la mer, comme des vagues. C’est peut-être le résultat d’une déformation professionnelle. C’est comme une pudeur : je n’ose pas et je ne sais pas utiliser la voix et je n’ai pas la perception de la force qu’elle peut avoir. Donc je n’ai jamais travaillé les intonations pour lire les textes. J’ai horreur de ça. Dans le Garrel, j’ai haussé la voix, mais encore une fois c’était pour créer une rupture, une dissonance.

DP : Vous avez réalisé deux films ces dernières années : Just in time puis Our tongues are moving, qu’est-ce qui vous a décidé à devenir réalisateur ?

LC : Lorsque j’ai attendu deux ans le film de Godard (For Ever Mozart, 1996), j’ai décidé de passer moi-même à la réalisation et voir aussi le point de vue du metteur en scène. Nous étions trop dans nos rôles respectifs de réalisateur et d’acteur : lui voulait que je participe dès le début et moi je n’avais pas l’habitude, je ne voyais que le personnage, je lui demandais comment était structurée l’histoire alors qu’il n’en avait même pas… Entre-temps j’ai pu étudier sa méthode, j’ai vu tous ses documentaires de la période de Grenoble (1973-8) et j’ai commencé comme lui, je me suis dit : “ J’écris les répliques et je vais voir comment ça se développe ”. Je suis passé à la réalisation en rencontrant Robert Kramer, qui connaissait les expériences du militantisme, de la lutte armée, de la drogue, même si c’était dans le contexte différent des États-Unis. Il a tout de suite apporté la caméra, le son, a accepté de jouer. C’était une joie de me libérer, de me voir enfin en action. Nous nous sommes rencontrés à la rétrospective Bellocchio au festival de Locarno : encore une fois il est là. L’idée du film m’est venue d’une réplique un peu “ beckettienne ” que j’ai entendue dans un café.

DP : Comment dirigez-vous les acteurs ?

LC : C’est très automatique, instantané. J’aime mieux donner les indications, sans expliquer.

DP : Votre second film semble être un développement du premier.

LC : C’est comme une matière dont j’aurais fait une légère variation. Je choisis un matériau : Mozart et le bruit du métro dans le premier film, le fer dans le second, les couleurs, l’attraction sexuelle peut-être des jeunes femmes et moi… C’est une méthode plastique à rebours. Je tranche dans la matière et je place les choses en blocs. Il y a une intuition du temps, le monteur me disait que ça s’appelle le temps organique.

C’est comme dans le design, tu fais ton modèle à mesure, dans l’action. Même les supports pour le mouvement des caméras, je les bricolais la nuit. Chaque scène a son mouvement. J’avais écrit les 88 scènes de Our tongues are moving sur des assiettes en carton et je les ai percées au milieu par une tige métallique, ce simple geste m’a donné l’envie de démarrer le tournage, répéter, etc. C’est ça la créativité : avoir un plaisir, et c’est une réaction à toute l’aliénation de l’acteur. J’ai aussi commencé la peinture. C’est comme si j’avais élargi mes possibilités d’expression. Ça marche avec le corps : j’adore par exemple le geste de prendre le cahier pour écrire.

DP : Que répondriez vous à Jeff qui disait : “ Vous devez apprendre le cinéma, moi aussi, mais pour vous ça a l’air d’aller de soi ” ? Est ce que pour vous ça va de soi?

LC : Oui et non : si tu fais un film classique, scénario production, etc. ça ne vas pas du tout de soi. Il faut être metteur en scène, avoir du métier. Mais ça peut aussi aller de soi. Avec ma méthode. Tous mes concepts je les mets là dedans, la critique du cinéma, mon militantisme, l’amour, l’argent, le sexe, mes limites aussi : le carillon qui joue l’internationale pour désacraliser le marxisme. En même temps je découvre l’importance du quotidien dans ma vie. Jusque là j’avais été nomade, toujours à côté. Je le découvre comme un concept, j’avance conceptuellement. Pour être heureux je vais attendre 150 ans.

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