Révolution Zendj. Polygone étoilé sur fond de Méditerranée.

Texte de Anaïs Farine, 2015

Ceux qui désirent sans fin n’hésitent pas à partir à la rencontre des aspirations de ceux qui les ont précédés, ni à ferrailler sans relâche avec ceux qu’ils contestent. Ainsi est fait l’essai, qui « réfléchit sur ce qu’il aime et sur ce qu’il hait, au lieu de présenter l’esprit comme une création ex nihilo […]1. » Ainsi est fait Révolution Zendj, qui s’enflamme pour la révolte d’esclaves noirs du IXe siècle et pour Nahla – chanteuse incarnant « l’espoir d’une unité transnationale arabe2 » qui donna son prénom au titre du film de Farouk Beloufa (1979), et à laquelle Tariq Teguia offre une voix et des pensées nouvelles –, mais qui cherche également des manières de mettre en scène les mots et les projets des plus conservateurs.

Le « déjà créé » qu’interroge, que prolonge, auquel répond Révolution Zendj, est multiple. Dans un entretien paru après la sortie de son premier long-métrage, Rome plutôt que vous (2006), Tariq Teguia expliquait :

« Mon inspiration est d’abord le réel, ou du moins le visible. Lorsqu’on souhaite faire un film sur Alger et sur ceux qui y vivent, il vaut mieux regarder autour de soi. D’abord on regarde et après on écrit. À partir de ce moment-là, plein de choses peuvent venir s’agréger : des lectures (quelquefois largement déconnectées de l’Algérie actuelle), des films, des photos […]. Mais j’espère que les recyclages auxquels nous procédons tous sont le résultat d’une rumination patiente. Plus tard, le scénario a continué d’être alimenté par ces mêmes sources. Y compris au moment du tournage. Par exemple, avec la reprise d’un graffiti trouvé sur un mur d’Alger, comme : “A saisir. Jeune pays très peu servi”, on en revient à la question des sources, de l’inspiration. Sans doute est-il possible de faire un film avec tout ce qu’on rencontre en chemin3. »

La première des scènes situées en Grèce de Révolution Zendj présente un groupe de jeunes gens qui réalisent un graffiti au pochoir. Avant même que ne débutent les voyages qui permettront la rencontre effective de personnages vivant de part et d’autre de la Méditerranée, ces plans montrant des jeunes de Thessalonique aux visages en partie recouverts par des foulards font manifestement écho aux images qui, quelques minutes auparavant, présentaient de jeunes émeutiers de la région du M’zab (Algérie). Malgré la distance, ce parallèle visuel permet de raccorder deux territoires et rappelle l’un des enjeux annoncés du film, à savoir « mettre en lumière la façon dont certains événements survenus dans [le bassin méditerranéen] communiquent entre eux4. »

Retour en Grèce. En lettres rouges sur un mur blanc, s’inscrit la phrase suivante : « Nous qui désirons sans fin ». Les mots, cette fois, n’ont pas été trouvés dans une rue d’Alger, mais sur la première de couverture d’un essai de Raoul Vaneigem. Par-delà l’évidente proximité entre certains propos lapidaires du texte de Vaneigem et certains mots prononcés dans le film de Teguia – l’argent est « une des causes de la tristesse de ce monde », déclare par exemple une voix tandis que les corps se meuvent au son de cuivres dans une séquence située quelques minutes plus tard –, ce titre devenu slogan anime en profondeur le projet de Révolution Zendj.

Du désir comme vecteur et légende

Comment retrouver la mémoire des révoltes passées ? Telle est la question que semblent d’abord se poser le journaliste Ibn Battûta – personnage principal du film – et le réalisateur Tariq Teguia. Cette question implique des réponses théoriques dont le film se détourne, leur préférant des trajectoires, des déplacements. Battûta quitte l’Algérie pour le Liban, tout en espérant rejoindre l’Irak. À la recherche de fantômes à Beyrouth, il rencontre Nahla, fille d’anciens militants palestiniens exilés en Grèce. Celle-ci, bien vivante, a fait le trajet pour donner à des Palestiniens de Chatila les fonds récoltés auprès de camarades grecs. À la faveur de ces mouvements (l’enquête, la « promenade »), Révolution Zendj se présente à nous sous la forme d’une recherche de voix, de visages et de propositions audiovisuelles concernant les relations que peuvent entretenir des corps contestataires dans le contexte du capitalisme mondialisé.

Parce que les trajectoires empruntées par les personnages se croisent et se relancent mutuellement en direction des angles, qui sont autant de lieux de contestation possibles, le film dessine la figure d’un polygone étoilé5 ; figure qu’il superpose aux cercles vicieux du capitalisme et des affrontements communautaires. La rencontre amoureuse elle-même vaut moins comme un aboutissement que comme une manière d’envisager les diverses formes, les différents degrés d’intensité, que peuvent prendre les liens à l’intérieur de cette constellation. Si la mise en scène des premières paroles échangées entre Battûta et Nahla, l’extrême fragmentation de l’espace qui déroute le spectateur et qui caractérise cette séquence jusqu’au plan réunissant les deux personnages, semble dire le coup de foudre, la séquence nous les montrant dans leur plus grand moment d’intimité évite manifestement de présenter celui-ci comme une fin en soi.

Dans deux séquences situées en Grèce, Teguia se fait metteur en scène d’un « déjà créé » dont il s’inspire et qu’il reformule. Des étudiants répètent un texte, cherchent à le faire entendre, à lui donner un rythme, à l’exprimer dans plusieurs langues. Il s’agit de Mobile, œuvre de Michel Butor sous-titrée « Étude pour une représentation des Etats-Unis » (1962). Si les agencements d’espaces dans Mobile impliquent une discontinuité « essentielle à l’essai6 » – l’impression de discontinuité expliquant, selon Barthes7, la réception critique de l’ouvrage de Butor, ce qui n’est pas sans rappeler certaines déclarations de Teguia8 –, l’association de ces deux œuvres éclaire davantage encore le film si l’on se souvient que Mobile « détruit la possibilité d’une vectorisation orientée vers un lieu final : par le biais de la carte initiale, Mobile développe l’idée d’un trajet volumétrique, non plus cerné par deux points, initial et final […]9. » Ces deux séquences, auxquelles s’ajoute la scène de la conversation avec l’antiquaire lors de laquelle Battûta s’avoue fabricateur de carte, constituent à n’en pas douter un méta-discours, un moment de réflexion sur les opérations cinématographiques à travers lesquelles Teguia pense l’espace méditerranéen.

La disposition du film à faire se suivre des images hétérogènes (noir et blanc / couleurs contrastées, prises de vue portant les marques du documentaire / plans soigneusement composés), se double donc d’un refus de rendre compte de l’espace en suivant un axe unique. Ainsi que nous l’avons noté, il y a plusieurs points d’entrée, plusieurs angles d’attaque de la question méditerranéenne dans Révolution Zendj. Si le début du film situe successivement Battûta en Algérie et Nahla en Grèce, ce n’est pas parce qu’il s’agit pour Teguia de se doter de personnages à travers les yeux desquels sera perçu l’ensemble des évènements à venir (lors des répétitions du texte de Butor par exemple, ni Battûta ni Nahla ne sont présents en Grèce pour observer la scène). En montrant, pendant le générique, le journaliste qui pénètre l’image en surgissant d’une blanche opacité semblable à celle sur laquelle s’achevait Inland (2008) et en raccordant cet espace avec un territoire jusqu’alors inexploré par le réalisateur, le début du film indique qu’il s’agit pour Teguia de poursuivre certaines réflexions précédemment menées à d’autres échelles. Les derniers plans de Révolution Zendj montrent quant à eux une manifestation en Grèce : une désir de changement en acte, plutôt que son achèvement.

Entre ces différents moments, entre ces deux points sur la carte, le film aura donné des rythmes et des pas aux partenaires et aux antagonistes dont il orchestre les rencontres. À Beyrouth, point d’intersection privilégié du film, les appartements dans lesquels logent Battûta et les Américains se font face. Lors d’une séquence qui se déroule au rythme de Ramblin’ Rose (MC5), le réalisateur met en correspondance les deux appartements. En composant avec des reflets et des ombres de part et d’autre de vitres, le film introduit les corps des danseurs méditerranéens dans l’appartement des seconds. Cette mise en correspondance est le signe avant-coureur d’une véritable effraction : avant de prendre possession de l’argent américain, les premiers pénètrent ainsi symboliquement l’espace de ceux-là mêmes qui, dans une scène située en Irak au début du film, prétendaient redessiner la carte du Moyen-Orient.

À travers ces déplacements, dansés ou non, des personnages, Révolution Zendj trouve donc des formes pour exprimer des associations désengagées de tout profit immédiat et qui participent d’une réflexion sur la possibilité de créer des rapports de forces alternatifs. Dans Moyens sans fins, Giorgio Agamben écrit :

« Pour qui veut comprendre le geste, la plus sûre façon de se fourvoyer consistera […] à se représenter d’abord une sphère des moyens subordonnés à un but (exemple : la marche, comme moyen de déplacer le corps du point A au point B), puis d’en distinguer une autre sphère, qui lui serait supérieure : celle du geste en tant que mouvement ayant en soi sa propre fin (exemple : la danse comme dimension esthétique). Une finalité sans moyens n’égare pas moins qu’une médialité qui n’a de sens que par rapport à une fin. Si la danse est geste, c’est au contraire parce qu’elle consiste toute entière à supporter et à exhiber le caractère médial des mouvements corporels. Le geste consiste à exhiber une médialité, à rendre visible un moyen comme tel10. »

La valeur de Révolution Zendj n’est ni commerciale, ni ornementale. Le film n’apporte aucune pièce nouvelle à l’histoire des Zendj ; il ne boucle pas l’enquête et abandonne Battûta en plein doute. Ne cherchant pas à fournir de vérité définitive, le film ne se satisfait pas davantage de reconduire le traitement esthétique et les longs silences d’Inland. Vers la fin du film, l’homme qui guide Battûta dans les marais en Irak finit par se découvrir partiellement face à la caméra pour prendre la parole. En signant l’impossibilité d’opposer une reconstitution historique au récit des vainqueurs, cette scène transforme l’échec de Battûta en une nouvelle forme de savoir : longtemps dissimulé derrière un keffieh et majoritairement montré de dos ou par le biais de plans cadrant son buste, le guide ajoute ainsi son visage à ceux rencontrés ailleurs, en Algérie et en Grèce. La question liminaire permet en fait au réalisateur de parcourir des lieux, d’enregistrer des élans variés et de constituer un « nous sommes là » qui s’énonce.

Joindre – par le montage ou par la composition des plans – des espaces, distants de quelques mètres ou séparés par une mer, et mettre ainsi en lumière un réseau de corps qui fait face à la mobilité des capitaux et à l’Europe de la coopération sécuritaire. Se lancer à la recherche d’un héritage, s’en emparer en trouvant des manières de le remettre en scène, et ne pas laisser aux seuls adversaires la possibilité d’incorporer cyniquement à leurs desseins l’ensemble des pensées antérieures (dans le désert irakien, un néoconservateur cite Whitman, auteur que l’on retrouve plus tard, dans la bibliothèque de Malek). Exhiber une médialité, en donnant à entendre des personnages qui circulent entre parlers algérien, grec, syro-libanais – pour n’en citer que quelques uns – et qui, parfois, butent sur un « rien » qu’ils cherchent à comprendre. Par associations, davantage que par argumentation, Révolution Zendj s’engage contre ceux qui, prompts à parler de dialogue, visent à travers lui une stabilité propice au libre-échange en Méditerranée.

Décentrement

Dans Rimbaud, la Commune de Paris et l’invention de l’histoire spatiale, Kristin Ross définit les constellations alternatives et oppositionnelles de Rimbaud et Lafargue « comme un rapport d’opposition fondé sur une forme de mobilité et d’alliance non hiérarchique et dépourvue de centre11 ».

Justifiée – si besoin est – par la convocation d’un vers du Chant de guerre parisien dans une séquence située à la fin du film, la mise en rapport de cette analyse des poèmes de Rimbaud avec le film de Teguia nous intéresse en ceci qu’elle permet de préciser de quelle manière nous comprenons la constellation de Révolution Zendj. Parce que les strates historiques auxquelles s’intéresse le film sont l’époque abbasside, les années 1970 et le présent, plutôt que l’Antiquité ou l’époque andalouse, parce que la traversée du personnage algérien ne prend pas la direction de la France, mais celle du Liban puis de l’Irak, parce que l’espace de la jonction n’est pas le « milieu des terres » mais Beyrouth, Révolution Zendj est moins dépourvu de centre qu’il ne contrarie le centre que se donnent les récits historiques et géographiques dominants lorsqu’il s’agit d’observer la Méditerranée.

Ce décentrement, Révolution Zendj nous invite à le poursuivre en nous intéressant plus précisément aux réalisateurs avec lesquels le film entre en dialogue. Farouk Beloufa, Jean-Luc Godard et Ghassan Salhab sont présents, chacun à leur manière, comme autant de camarades auxquels il est possible de demander sa direction, auprès desquels on engage une manière de faire politiquement du cinéma. Un prénom (Nahla) et une profession (le journaliste muni d’un appareil photo), offrent à Teguia l’occasion de remettre en jeu le film que le réalisateur algérien Farouk Beloufa réalisa au Liban pendant la guerre civile. Quant à Godard, il est littéralement exposé dans Révolution Zendj, puisqu’un extrait du film Ici et Ailleurs (1974) est présenté dans une galerie où se retrouve Battûta.

Dans Nahla, la discontinuité du récit apparaît comme une forme propre à dire la perte de repère des différents personnages qui se trouvent à Beyrouth en 1975. Réflexion polyphonique sur les images de la lutte palestinienne, Ici et Ailleurs a pour sa part marqué plusieurs artistes libanais, parmi lesquels Akram Zaatari qui explique : « je pense que Godard a défait […] les structures narratives de la résistance palestinienne et les a analysées de manière brillante. C’est pourquoi ce film, d’une certaine manière, annonçait la fin du cinéma militant, de l’expérience de Dziga Vertov, et le début d’une approche plus horizontale des discours politiques dans le monde, en rapprochant différents phénomènes afin d’en saisir la portée générale […]12. » Ce rapprochement de différents phénomènes caractérise également le film de Beloufa qui, bien que situé à Beyrouth, parle en creux de la situation en Algérie.

De ces références, le film de Teguia ne fait aucunement usage de la manière déshistoricisante propre au clin d’oeil. Il s’agit au contraire, à travers eux, de se saisir de pensées cinématographiques capables de rendre compte de la complexité du réel13. Il s’agit également de convoquer tout un contexte, afin de réfléchir à ce dont hérite la génération des principaux personnages de Révolution Zendj, sans passer par une mise en scène didactique. Alors que nous entendons la récitation de la petite résistante d’Ici et Ailleurs, Battûta oscille entre apparition et disparition. Il semble pris dans la dynamique d’effacement qui affecte un nombre considérable de corps rencontrés à Beyrouth et que Teguia met notamment en scène en utilisant des images filmées à contre-jour ou dans l’obscurité. Avec ces images, Révolution Zendj se fait complice du cinéma de Ghassan Salhab, travaillé de longue date par la question des revenants, ainsi que l’indiquent plusieurs titres de sa filmographie (Beyrouth fantôme, 1998, Le dernier homme, 2006, (Posthume), 2007). Dans Révolution Zendj, le réalisateur Ghassan Salhab joue le rôle de Malek, un journaliste algérien ayant vécu à Beyrouth pendant la guerre. Les séquences qui concernent Malek sont toutes sombres et rendent peu visible le personnage. Son corps, par ailleurs, est littéralement habité par la voix d’un autre qui creuse l’absence à soi du personnage et renforce le sentiment que les paroles qu’il prononce proviennent d’un autre temps14.

Si la proximité de Teguia et de Salhab trouve une expression directe dans leur collaboration pour Révolution Zendj, les œuvres de ces réalisateurs présentent de profonds enjeux communs. C’est ce que laisse entendre un court texte publié récemment à l’occasion d’une projection proposant la mise en regard de deux de leurs films. Ikbal Zalila écrit : « Les cinémas arabes ont rarement été appréhendés autrement que comme des miroirs (souvent) équivoques de réalités socio-politiques régionales. Au fondement de ce préjugé, le naturalisme dominant dans la production cinématographique du monde arabe. […] Cinéastes de la rupture, de l’hybridation des genres, antinaturalistes par excellence, Ghassan Salhab et Tariq Teguia sont dans des logiques de résistance […]. A première vue, la poétique de 1958 et la géo-politique de La clôture semblent inconciliables ne serait-ce que sur le plan thématique. Une attention particulière à la pensée du cinéma qui travaille ces deux films nous permettra de mettre en lumière ce que ces deux cinéastes ont en partage : une modernité radicale15. » D’autres exemples iraient dans ce sens : comme Teguia suivant les pas du topographe Malek dans Inland, Salhab a parcouru une partie du Liban en compagnie de Soraya, la guide touristique du film Terra incognita (2002).

En s’alliant à des films qui concernent la résistance palestinienne et les conséquences de la guerre civile libanaise, Révolution Zendj interroge la possibilité d’un engagement renouvelé après les défaites. Ces alliances ont également pour conséquence de mettre en lumière des relations tissées dans le champ de la création artistique contemporaine et d’inviter à penser une histoire croisée de ces cinématographies. Les films qui cherchent des formes pour dire le réel, les films de méditations personnelles, les films qui, par le montage de matériaux préexistants, pensent l’histoire et le présent, ne datent pas d’hier. Azzedine Meddour, Mohamed Zinet, Mohamed Soueid, Akram Zaatari, et plus récemment Waël Noureddine – qui fait une apparition discrète dans Révolution Zendj à l’occasion d’une discussion portant sur la possibilité d’un réel changement au Liban – s’inscrivent, plus ou moins directement, dans cette dynamique. Les quatre premiers réalisateurs cités sont mentionnés par Rasha Salti dans un article qui fait retour sur son travail de curatrice pour le MoMA. L’auteure remarque des parentés entre les œuvres d’artistes de différentes générations, propose d’interroger certains films à la lumière de l’hypothèse d’une « poétique partagée » transmise de manière informelle dans la région et écrit notamment : « Depuis le déclin du panarabisme, l’idée d’une arabité (politiquement, socialement, culturellement et identitairement) fédératrice, cohérente, parfaitement mobile, significative et englobante, n’est (heureusement) plus défendable, en particulier dans les cercles d’intellectuels dissidents, d’artistes et de militants. […] Cependant, l’affirmation contraire reste tout aussi impossible à accepter. Assurément, il existe une sensibilité partagée qui imprègne les villes, les provinces, les classes sociales, les générations, les sensibilités culturelles et poétiques, ainsi que l’imaginaire artistique, existentiel et politique des peuples du monde arabe. La question mérite une recherche novatrice, rigoureuse et lucide16. » Parce qu’il transforme, chemin faisant, l’enquête journalistique sur les « déboires de la Nation arabe » en une mise en rapport de ceux qui, cinématographiquement ou politiquement, persévèrent au présent, Révolution Zendj rejoint, à sa manière, cette proposition. C’est tout un paysage de la pensée essayistique des images et des sons que Tariq Teguia nous invite à (re)découvrir, et c’est notre propre capacité à percevoir et inventer des coopérations alternatives que le film interroge.

Texte initialement paru dans le livre, Jeux sérieux : cinéma et art contemporain transforment l’essai, Bertrand Bacqué, Cyril Neyrat, Clara Schulmann et Véronique Terrier Hermann (dir.), ed. Musée d’art moderne et contemporain de Genève – Haute école d’art et de design de Genève, 2015, pp. 289-299. Merci aux éditeurs pour leur autorisation.

Contact : anais.farine@gmail.com

Lire le dossier de presse de Révolution Zendj

1 Theodor W. Adorno, « L’essai comme forme », Notes sur la littérature, Paris, Flammarion, 1984, p. 6.

2 Reda Bensmaïa, « Cinéma algérien et “caractère” national », Jean-Pierre Brossard (éd.), L’Algérie vue par son cinéma, Locarno, éd. Festival du Film, 1981, p. 164.

3 Éric Vidal, « Entretien avec Tariq Teguia », La pensée de midi, n° 22, 2007, pp. 167-172.

4 Fabienne Duszynski et Catherine Ermakoff, « Le mélancolique et le solaire, entretien avec Tariq Teguia », Vertigo, n° 43, 2012, p. 60.

5 « Il n’y a plus alors [dirait Kateb Yacine] d’Orient ni d’Occident. Le polygone reprend ses droits. Et si les rues de Dublin ont des échos à Alger, c’est que l’artiste créateur n’habite pas, il est habité par un certain vertige étoilé, d’autant plus étoilé qu’on est parti du plus obscur de sa ruelle. », dans Le Poète comme un boxeur, Entretiens 1958-1989, Paris, Seuil, 1994, pp. 176-177. Le titre de notre article fait référence au titre d’un ouvrage de Kateb Yacine, et plus généralement à l’œuvre de cet auteur qui mêle également une poétique à la croisée des genres à une méditation sur la révolution, et dans laquelle la figure du polygone peut notamment être considérée comme un « concept géopolitique ». Sur ce sujet : Juliette Morel, « Kateb Yacine, l’écrivain-cartographe », Chikhi Beïda et Douaire-Banny Anne (dir.), Kateb Yacine, Au coeur d’une histoire polygonale, éd. Presses Universitaires de Rennes, pp. 15-36.

6 Theodor W. Adorno, « L’essai comme forme », op.cit, p. 21.

7 Roland Barthes, « Littérature et discontinu », Essais critiques, Paris, Seuil, 1964, pp. 181-193.

8 « […] on me reproche parfois des ellipses trop appuyées, des choses pas assez pointées, mais je ne sais pas très bien comment faire avec l’histoire, celle qui a un petit “h” : la narration. Il faut regarder dans ces films autre chose : un visage, des vitesses, du rythme, un cadre, à l’échelle du plan, leur point de raccord, et tout ça mis à l’échelle de tout le film. Cela va bien au-delà de la narration qui elle pêche un peu ! », dans « “Rendre compte de la persistance des lucioles”, entretien d’Olivier Barlet avec Tariq Teguia à propos de Révolution Zendj », en ligne : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=12112

9 Hélène Campaignolle-Catel, « Mobile (Butor, 1962), la carte fracturée du récit », Littérature, n° 135, 2004, p. 26. En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_2004_num_135_3_1859.

10 Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Notes sur la politique, Paris, Rivages, 2002, pp. 68-69.

11 Kristin Ross, Rimbaud, la Commune de Paris et l’invention de l’histoire spatiale, Paris, Les Prairies ordinaires, 2013, pp. 102-103.

12 Laura Ghaninejad et Jérémy Gravayat , « Entretien avec Akram Zaatari », Dérives, n° 2, 2010, p. 16.

13 C’est l’une des raisons pour lesquelles Révolution Zendj – dont il n’est pas inutile de rappeler que le tournage débuta avant le déclenchement des révolutions arabes – n’entre pas en résonance avec des films tels que Nous reviendrons (Sanaoud, Mohamed Slim Riad, 1972) et Fleur de Lotus (Amar Laskri, 1998), qui tentent également d’articuler des luttes et d’agencer des espaces, mais qui présentent ces convergences comme des phénomènes conjoncturels en les reliant à l’implication individuelle (et héroïque) des personnages.

14 Pour les besoins du personnage, Ghassan Salhab a été doublé par un Algérien.

15 Texte publié dans le catalogue des Deuxièmes Rencontres Internationales des Cinémas Arabes, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.lesrencontresdaflam.fr/critique-deux-regards-mardi-8-a-17h-la-cloture-hacla-de-tariq-teguia-1958-de-ghassan-salhab/

16 « Since the demise of pan-Arabism, the notion of a cohesive, coherent, seamlessly ambulant, significant and overarching Arabness (political, social, cultural and identitarian) is no longer tenable (thankfully), specifically within circles of dissident intellectuals, artists and militants. […] However, the counter-claim remains impossible to accept as well. There is definitely a shared sensibility that permeates cities, provinces, social classes, generations, cultural sensibilities and poetics and the political, existential and artistic imaginary of people in the Arab world. The question deserves a lucid, thorough and novel investigation. », Rasha Salti, « Speculative Revisions of Film History : A Curator’s Notes », Agnès Devictor (dir.), Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 134, 2013, p. 126. Nous traduisons.

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