Une Critique de Guérilla (Pour une…) – Cimino, Kurosawa, Pialat…

Textes de Yves Tenret parus dans Voir en 1984

Michel Cimino : L’année du Dragon.

Ce journal étant mensuel, nous ne pouvons pas toujours être dans l’actualité. L’Année du Dragon nous a paru être un événement dépassant celle-ci. Nous espérons que cet article pourra alimenter votre réflexion sur ce beau film. Et si vous ne l’avez pas vu, traquez le dragon jusque dans nos campagnes les plus reculées.

Chromos polonais, «x», chinois, gangsters… Rythme soutenu, rapide. Absence totale de prétention. On sort de ces deux heures quarante minutes laminé, fatigué, rompu. Le racisme de Cimino n’est que l’énoncé. On n’énonce plus. Les autruches vivent dans le principe de plaisir. Tout se déréalise. Walt Disney à la barre. Rourke est au max de l’identification masculine non sublimée possible. Toujours à moitié endormi, il est la brute au grand cœur. Qui préfère sa femme Connie ? Le côté peu soigné du montage amène un air nécessaire. Cimino est allusif. Toute allusion est lourde. Les jeunes sont drogués, les Chinois, cupides, les Noirs, serviles, les Asiatiques, cruels, les femmes, amoureuses, les plans, courts, la musique de Mansfield, utile, les Italiens, italiens… La guerre du Viêt-Nam ? Le patriotisme ? La police ? Une guerre, une manie, un métier comme les autres. Cimino veut intégrer de force les Chinois dans la soupe nationale. Soja à tous les repas? Les guerriers s’aiment entre eux. Les autres leur apparaissent comme étant des touristes… Le professionnel méprise l’amateur. Trop ou pas assez de violence dans le monde? Qu’est-ce qui démange ? L’Année du Sourd-Réaliste décourage nos humbles âmes. On y retourne ?

Deuxième vision :

«Un film de guerre en temps de paix.» Gagner n’est pas facile à vivre… La vie et les poussins doivent payer leur tribut à Wam et à l’art. New York : Cimino halluciné, fonce, s’exclut la possibilité de tout regret. Il se défait de toute anecdote. La crise montre le fonctionnement du système. Loco bar : Rourke ouvre toutes les portes des gogs et derrière chacune d’entre elles, deux, trois junkies. Le monde est renversé. Tout pour l’errance, rien pour le repos. L’amour fuit. Wunderbar! Il n’y a plus que des «Moi-Je». Cimino les piétine. Accroché à sa boîte de bière, le héros dégorge, vomit, flatte son corps lourd, rend et paie. Cher, très cher ! C’est sa femme qu’on assassine. L’art dit : le mariage est une institution périmée. 0 Odin, que la passion soit notre pain quotidien… S’il te plaît… En holocauste est offert le reste, tout, le meilleur. Les extrêmes me touchent. La ville trouble est construite sur un marais. Cimino est d’une douceur terrifiante avec les femmes. La fragilité est espérance. Il raconte le pouvoir, ses discrètes cérémonies, ses passages, son crescendo vitaliste. Les temps changent. Va, va, Tenret ! Attendre est enrageant. Vous êtes étudiant ou professeur ? Des mains sur un corps paisible. La journaliste chinoise est mièvre. C’est le bonheur ! Les brèves rencontres sont cannibales. D’autres lieux, d’autres biches. L’autocritique minaude. «Il est assez fou pour croire qu’il peut nettoyer Chinatown. » «Un artiste malheureux, c’est comme un roi malheureux.» (R. Walser.) Cimino lorsqu’on l’affuble du sobriquet «maudit» s’indigne. Et il a raison ! Tellement raison… Son pas n’est pas crissant, hystérique mais pesant. Si pesant ! Bonne est l’âpre solitude. Hargne et mœurs. L’intérêt est dégradant. La colère ! Brûler, purifier, délicieuses caresses. Un empire ne se partage pas. Le roi est nu… «Je ne peux pas m’envoyer en l’air et jouer de la trompette. C’est comme çà.» (M. Davis.) A chacun son truc… C’est là que Cimino est le meilleur. Son cinéma est une caractérologie. «Le thé au riz est meilleur que la théorie», dit-il. Les Chinois n’aiment pas L’Année du Dragon. C’est bon signe. Violence et désinvolture. On naît vieux. L’insouciance se gagne par un long combat. Rare est l’ambition. Craquer fait du bien. Les mouches sont vierges, rien n’est cité, Cimino est devant nous. Rustres, primitifs et menteurs, nous serons. L’Année du Dragon va directement à son propos, ose raconter, montre ! La vie n’est pas dangereuse. Etrange… Tout est dans le rêve. La peur est dans le rêve. La femme est dans le rêve. Il n’y a plus rien que le silence des enfants fous. Le marbre se jette, le plastique se garde, le commentaire s’use. Qui de nous aura la tête haute en l’an 2000 ?

DELIRIUM TRES MINCE

Aélia de Dominique de Rivaz. Du travail soigné, bien fait, moyenâgeux. Une jeune femme s’accouple avec un gisant. Le son de Luc Yersin est la perfection même. L’image est tout en velouté de gris. C’est un court métrage suisse avec son label Arbalète. Une production Claude Champion…

Notre Mariage un roman-film sublime de Valeria Sarmiento.
_ Merveilleusement excédant. Le scénario et les dialogues sont d’un certain Raoul Ruiz. Dans le genre premier degré légèrement décalé, c’est un chef-d’œuvre. On s’énerve quand la fille pleure, on s’excite quand elle montre ses jambes, on s’attendrit quand elle sourit. Notre Mariage est une fourrure, un jour d’été, de la sensualité.

Rambo II, la Mission de George Pan Cosmatos. Ignoble de connerie. Un minet culturiste efféminé utilise des gadgets virils pour une vengeance patriotique fantasmée. Ce film est une affaire de politicards. Stallone est pire que le plus débile des rêves de votre concierge.

Dernière minute. Suite à un sondage réalisé lors de la Fête du cinéma, les entractes vont enfin être supprimés dans les cinémas de Suisse romande. C’est la fin d’un scandale. Quand on pense au soin que mettent les bons cinéastes à tenir les spectateurs en haleine, s’imaginer un film coupé en deux donne la nausée. Certains directeurs de salle ont de plus introduit un tarif réduit le lundi. Plus d’entracte, le tarif réduit, deux grands films [Notre Mariage. L’Année du Dragon) que voilà des bonnes nouvelles !

Ran de Akira Kurosawa. Attention chef-d’œuvre ! C’est trop propre… Film sénile tout d’intérêt maniaque aux détails. Magnifiques mouvements de groupes. Bavardage insipide faussement profond. Rebondissements téléphonés. Corvée cultureuse. Japonisme. Kurosawa a 75 ans. L’histoire s’inspire du Roi Lear. Kurosawa est le Shakespeare japonais. Pauvres Japonais… Le niveau « philosophique » est du style : il faut qu’un cendrier soit vide ou plein. Petits-bourgeois consciencieux ne manquez pas cette œuvre qui va vous enrichir d’aperçus inédits sur Hidetora Ichimonij et les principautés belligérantes (1467-1582). Merci monsieur Serge Silberman, vous êtes chic. Bunuel mort, vous continuez avec Kurosawa…

Police de Maurice Pialat. Le dernier film quotidienniste de l’histoire du cinéma. Une pure merveille, toute en finesses. Film commercial ? Espérons-le. Le commerce serait acteurs connus et gros plans ? Pialat pense que Depardieu a fait Mangin. Vrai ! Un grand rôle. Pialat a écrit : « Le public reçoit les films sans se poser de question et si l’œuvre a une certaine qualité, sa faculté de réception est très vive. Les intellectuels sont les moins bons spectateurs qui existent. Ils ne vont voir une œuvre que pour confronter leurs idées à celles qu’ils supposent être les idées du réalisateur. Ils ne se laissent pas aller, ils ne viennent pas pour le plaisir. Ils pensent au lieu de jouir. » Vrai !
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Et comment !
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Archi-vrai ! Pialat trouve ses anciens films «chiants». C’est pour ça qu’il n’est pas Kurosawa… Depardieu trouve les anciens films de Pialat formidables, c’est pour ça qu’il n’est pas Annie Girardot: … Quand j’avais vu Loulou dans un cinéma de quartier, ça avait été un grand choc. Je regardais le film et je me disais: c’est vrai que c’est formidable de faire du cinéma comme ça, c’est vrai qu’on n’a pas forcément besoin de se défendre derrière ce qu’on appelle «une histoire». Dans Loulou, les acteurs, les gens, sont regardés tellement amoureusement, tellement avantageusement avec un œil tellement intéressé. Police est le premier film français qui aie regardé amoureusement de petits truands arabes. Sophie Marceau transformée en elle-même, pâle jambon entre deux tranches de pain de mie, est enfin naturelle. Anconina est émouvant, Depardieu, génial… L’atmosphère !

LIFEFORCE de Tobe Hooper. La sauce n’a pas pris. Navet bien fait. Rasoir sans manche. Hooper avait réussi à sacrer la tronçonneuse. En ces temps-là. il était simple et beau. Maintenant il est «effets spéciaux». Beurk…

PALE RIDER de Clint Eastwood. Trop fabriqué. La recette… On s’ennuie.

MAD MAX AU-DELÀ DU DÔME DU TONNERRE de George Miller et George Olgivie. Comme un bon livre… Quand ça s’achève, un immense soupir parcourt la salle et dans la bulle on peut lire « déjà ! ». Tous les matins Mad Max, en se réveillant, prend de bonnes résolutions. Il laisse la tête dicter la loi au corps. Il pense tout le temps et donc ne jouit quasiment jamais. Entity (Tina Turner en blonde !) par contre le matin mange quatre croissants et boit un grand bol de lait taché, c’est-à-dire assaisonné d’une petite goutte de café. Elle est tendre et ironique. Son sourire rappelle un blues de Bessie Smith. Elle est chaude, charnelle et apte à se défendre quand il le faut. Les adolescents maquillés dans les films à grand spectacle sont toujours très laids. Les enfants sont à l’inverse. Ce Mad Max, photocopie pâle des précédents, manque de nécessité intérieure. Il fait nouveau riche. La plupart des «gags» sont tout simplement piqués aux films d’aventures qui ont marché ces dix dernières années. Tout s’accumule. Plus aucune ambiance n’est développée pour elle-même. C’est monté comme si c’était la bande-annonce d’un autre film. On halète donc sans cesse. Mel Gibson habile littéralement Mad Max. Il sauve toutes les scènes dans lequel il apparaît. Dommage que ses créateurs soient si pressés. Les vues d’ensemble, l’arrivée de Mad Max à Banertown par exemple, sont réellement extraordinaires. La grossièreté, la ville fonctionne sur une énergie à base d’excréments de cochon, est pain béni. Les enfants sont porteurs d’un message : horreur ! Tout se passe, comme avant-avant, après l’explosion atomique. C’est marrant ! Ce truc-là, on peut se demander si quelqu’un y croit encore. Toutes les nouvelles fictions, plus ou moins suceuses de mythes, ont un ennemi mortel : les bons sentiments écolos.
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C’est ça qui excite chez Entity: elle est urbaine. La traditionnelle attaque de chars est ratée. Il y a longtemps que Miller a été définitif là-dessus… Il reste que ce Mad Max III est infiniment supérieur à tous ses concurrents récents. L’Australie paie son tribut à l’art moderne. Elle crée une école, un style, un académisme. Y aura-t-il un Mad Max IV montrant Gibson dans une chaise roulante tirant à la sarbacane des fléchettes empoisonnées contre des voyous qui tentent de siphonner son réservoir ? La bande-son de Maurice Jarre est l’essentiel du film. Elle est viol des consciences. Tina Turner, de sa voix en racailles hyper-sexy, cigarettes et bourbon, chante. Derrière : des clochettes et un saxe aigre. Un affreux chœur d’enfants. Totem sans tabous. Suit sur le 33 tours, One of the living, carrément fredonné par l’estomac de Tina Turner. Et de l’estomac, elle en a !

La nuit porte jarretelle de Virginie Thévenat. Pas excitant du tout. C’est un film putassier, sans parti pris qui montre des sex-shops charmants, des travelos agréables, des boîtes de strip-tease hospitalières. Eh oui, même ce qu’il y a de plus âpre, de plus sordide, de plus triste dans une grande ville peut être poétisé par une jeune femme arriviste. Pas vulgaire pour un sou. Je garde le sou et puis quoi ! L’actrice, une branchée, a fait du chinois, bien connu Truffaut et divers autres métiers.
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Pourtant, La nuit porte jarretelles est un film frais. Cette fraîcheur s’appelle Jezabel Capri. Cette fille est un radis d’avant-saison, une fraise des bois, la mère de nos futurs quintuplés. Dans ce film, détestablement moderne, elle sauve la mise par son intemporalité. Elle est «la jeune fille». Elle vient de la nuit… Elle bouge mieux que bien Jezabel !
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Virginie Thévenat scande à qui veut l’entendre qu’elle voulait réaliser un film qui ne soit ni porno ni intello. Qu’est-ce qu’elle imagine ? Que le porno-intello, c’est facile ?

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POULET AU VINAIGRE DE CLAUDE CHABROL. Affreux ! C’est du Simenon, vous savez une fois… La vie de province… Casse-pieds en plus. Les acteurs sont très bons. La fondante Pauline Lafont et le distin-gué Jean Poiret sont à n’y pas croire. Lafont montrant ses fesses et souriant au jeune Lucas Belvaux qui la compare à un ange est battue dans la dernière ligne droite par Poiret qui frappe, le petit doigt levé, le même Belvaux. Chabrol est bas. Il mérite son succès. Il doit être agréable à fréquenter. Intelligent, cynique, bon vivant. Ah, les gastronomes ! Poiret, sortant sa carte de police pour que l’on arrête la cuisson de ses œufs mollets, est à mourir de rire. Ah, Pauline, Pauline ! Pour toi, nous irons voir Le Pactole de Mocky. Et nous écouterons mille fois ton 33 tours qui va sortir bientôt.
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Chabrol n’a pas d’humour. Il n’est ni acide, ni satirique. Il est sale. L’homme est certainement ironique mais ses films ne sont que plats. Chabrol = cinéma d’acteurs. Pour le pire : cabotinage, absence d’intrigue, aucune sensibilité, pas d’air du temps. Et pour le meilleur : ah, Pauline…

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