Présentation de On danse pour être ensemble (2017)
Texte de Robert Bonamy, juillet 2020
L’œuvre des Klotz-Perceval est parsemée d’essais filmiques non catalogués dans les filmographies officielles : ces « dialogues clandestins » sont des films que l’industrie n’aurait pas permis, mais dont l’énergie ne se situe pas seulement dans les marges de leurs longs métrages bien repérés et déterminés (et d’ailleurs vraiment tout à fait déterminants, depuis Paria (2001)).
Ces films sont impulsés par des invitations, d’amis récents ou de longue date. Parfois, ces essais sont exposés, assemblés (« ensemblés » avec d’autres qui ont été réalisés à un autre moment, dans d’autres villes, pour d’autres amitiés). Une fois la mise en relation dans l’espace d’exposition terminée, ils retournent à leur clandestinité. On danse pour être ensemble (2017) répond à une invitation venue de Montréal (celle de la programmatrice et critique Marie-Claude Loiselle), pour prolonger les deux premières figurations de la mutante Lucile (Lucile de Rio dans Coragem (2015) et Lucile dans autre volet à Paris pour le diptyque Je sais courir, mais je ne sais pas m’enfuir). Dans On danse pour être ensemble, Lucile (la danseuse Sophie Gaspard) s’allie à la voix du poète Rodney Saint-Eloi autant qu’à la musique. Elle les danse ensemble, comme le poète écrit avec cet ensemble.
L’underground tend à percer la surface, pour faire trembler les sols glissants du cinéma. Que manifeste la danseuse sur les sols glacés de On danse pour être ensemble ? Que produit la voix techniquement lointaine, comme une voix de sommeil qui converse avec le grondement de la danse, selon les nouvelles perspectives accentuées par le montage et les rebonds musicaux ? Cette voix qui vient d’ailleurs, mais qui est tellement précise dans ses mots devient nette et là, dans le creux de l’oreille, dans les pulsations des pas d’un pistage d’un nouveau genre mené dans une friche industrielle englacée. Pister des redevenirs.
La danseuse, la musique et la voix se touchent pour être ensemble ; non seulement une danse de solitudes. « Un nègre de Dahomey dans la solitude de la brousse un nègre de Guinée dans le tourbillon de la traversée, nous avons chacun en nous des veines arrachées au couteau. »
Des êtres ensemble, une lutte contre les angoisses modernes occidentales, celle des civilisateurs du silence, adorateurs d’une solitude cosmique qui n’a d’autre attrait que celui de la mort naturaliste.
Ces « dialogues clandestins » sont vivants, en dehors de ce qu’ils préfigurent ou d’une logique de retour sur des films accomplis. Au fond, l’espace clandestin interstitiel où se logent et se sont fabriquées ces dizaines de propositions filmiques me paraît être devenu tellement actif, qu’il a provoqué un renversement décisif : ces essais sont mutants. Les films clandestins ne sont plus préparatoires ; activés pleinement ils sont affirmés comme centraux. Ils sont les films pleins. L’Héroïque Lande – la frontière brûle (2018) est en quelque sorte une tentative filmique clandestine, en vue d’un long-métrage. Il est devenu une œuvre filmique majeure, ses 3h40 indiquant qu’il ne faut pas en finir. Plutôt recommencer, le cinéma. Retourner.
L’Héroïque lande – la frontière brûle se conclut par une danse sur une plage, remontée électrique impliquant corporellement des temps de lutte, de fuite, de marronnage. Entre soulèvement des temps et fuite des espaces. On danse pour être ensemble, depuis ses premiers plans de pistage dans la glace (on songe aussi au récent essai de Ghassan Salhab, Une rose ouverte (2019), qui piste dans ses premières minutes l’absence de Rosa Luxemburg sur le sol englacé de Berlin) fait advenir une telle remontée des souffrances pour la transformer en énergie pour des communs : « Oui, ma noire, ma mère, femme entre toutes les négresses. Ma grand-mère qui n’a pas survécu à la traversée. Mes aïeux qui ont eu dans la face le crachat du colon À toute cette lignée de souffrances et de loyautés, je dirais : Sois noire Sois belle »