Mon goût cinématographique n’est pas d’origine cinématographique, mais pictural. Les images, les champs visuels que j’ai dans la tête, ce sont les fresques de Masaccio, de Giotto – les peintres que j’aime le plus, avec certains maniéristes (comme, par exemple, Pontormo). Je n’arrive pas à concevoir des images, des paysages, des compositions de figures, en dehors de ma passion fondamentale pour cette peinture du Trecento, qui place l’homme au centre de toute perspective.
Quand mes images, donc, sont en mouvement, elles sont en mouvement un peu comme si l’objectif se déplaçait devant un tableau, comme un décor, c’est pour cela que je l’attaque toujours de front. Et les figures se déplacent sur cette toile de fond de façon toujours symétrique, à chaque fois que c’est possible : gros plan contre gros plan, panoramique aller contre panoramique retour, rythmes réguliers (ternaires si possible) des plans, etc.
Il n’y a presque jamais de montage gros plans/plans généraux. Je cherche la plasticité, avant tout la plasticité de l’image, en suivant la voie jamais oubliée de Masaccio : son fier clair-obscur, son blanc et noir – ou bien, si vous voulez, en suivant la voie des Primitifs, en un curieux mélange de finesse et de grossièreté. Je ne peux pas être impressionniste. Ce que j’aime, c’est le fond, pas le paysage. On ne peut pas concevoir un retable avec des figures en mouvement. Je déteste que les figures se déplacent. Et donc, aucun de mes cadrages ne peut commencer par le champ, c’est à dire le paysage vide.
Pier Paolo Pasolini, Mon goût cinématographique, trad Stefano Bevacqua, publié dans Mamma Roma, di Pier Paolo Pasolini, Milan, Éditions Rizzoli, 1962, republié in Pasolini cinéaste, Hors série des Cahiers du Cinéma, 1981