Espace noir. Dedans, l’Ecran. En face, nous. Entre les deux, l’Autre, le projecteur, le Sphinx, longtemps ignoré, caché et redouté. Père-mère dévorant l’image – mâchoires bruyantes – lui fait parcourir son labyrinthe. Minotaure ayant vaincu, l’image morte, ensevelie, embaumée, parée, est expulsée vers un dehors éphémère, espace clos et concentrationnaire, paquet de lumière à détacher soigneusement. A l’intérieur la Grande Enigme : Le miroir brisé. Le Sphinx bat ses ailes, lance son défi. Voilà notre tour de devenir victimes, Thésée-Oedipe parcourant sans cesse les noirs parois du labyrinthe, poursuivis par l’image-ectoplasme qui glisse sur le corps, s’enroule autour de ses bras, de son cou, de ses hanches, rentre par les pores, poussant loin dans les canaux, les lacs du corps, ses hautes plaines, ses tumeurs, ses abuses. Elle investit toutes ses frontières : Ses clairs, ses paroles, ses rêves. Elle nous saisit avec ses griffes, nous regarde mourir, nous posant sur le front la couronne l’épines ou la branche de lierre.
Le corps s’ouvre, s’abandonne à l’image. Par les mains rentrent les avalanches, le brouillard, les souvenirs.
Par les muscles : La pluie, les insectes.
Du nombril à la nuit : l’arc-en-ciel.
Cœur : Feuilles qui tombent sur mur d’arbres, noyades, crépuscules sans fin.
Les cheveux vibrent ; voila les couleurs, les sons : le grillon, la tourterelle.
Sous l’aisselle : le cri rauque de la hyène.
Narines : Nuage-Serpent-Eclair.
Parcourant avec ferveur le périnée l’image devient forêt vierge, oiseaux: d’Afrique, rivière souterraine nous conduisant à Grand Happenning : l’anus. La main noire shivaïte ouverte contre le ciel constellé, la Route de la Soie vers l’Orient du Foie et la Pierre Dure, la Noire, l’enveloppe qui renferme une autre, celle de la Lampe Cachée, accrochée au plafond des cavités internes.
Oh Foie énigmatique, athanor accablé, image éclatée, vision multiple de l’être humain !
Entre temps, Autour des seins, les peuples érigent leurs murailles, Oedipe frappe à toutes les portes, les sentinelles guettent les premiers cris de l’aube.
Dans l’espace des ombres : Pluie radioactive, cendres argentées, phrases languissantes : Je l’aime, tu m’aimes. Porte qui claque. Adieu pour toujours, Je t’avais prévenu, je suis blessée jusqu’au fond de l’âme. La voiture démarre, le laissant abattu dans le froid de la nuit. Travelling sur grue en arrière. Lui, se perd dans le noir.
Les os se reposent-ils la nuit ? Cérémonies à midi avec pétales de roses. Le poète aveugle, chaîne d’or â la cheville, parfumé de musc, fait raisonner son harpe dorique. Paysage grec : Marbres ou méduses au fond de la mer transparente.
La piqûre du Scorpion gonfla la gorge, la montagne se souleva, le lac vomît toutes ses créatures. Couronnée de chauve-souris l’Immortelle occupait tous les locaux : Grand Bal ce soir. Déguisement obligatoire. On danse dans un décor de glaces. L’orgue de Barbarie raconte la course des étoiles, les trois singes de l’orchestre suivent les consignes : Rien voir, Rien dire, Rien écouter.
Sexe de femme : L’Autre Côté de l’univers. Ni porte ni caverne. Voile d’Isis ? La lune garde ses secrets.
A l’autre bout du monde l’hiver voit descendre tous les oiseaux. Il vient de naître le promis à la célébrité, le Nazaréen à la peau violacée, lui, Homunculus, fils du brouillard et la montagne, pénis guerrier traversant les siècles et les villes en flammes. Sa tête de bébé raide regarde le public avec son œil qui crache la première larme : Sommeil brisé.
De la bouche : En bouche fermée ne rentrent pas les mouches.
Des yeux. Sur les paupières, signes d’interrogation. Dedans, les paroles apprises, les mots imposés.
Quand au cerveau, il semble servir simplement à poubelle de toutes les Histoires.
Paris, 1978
Texte initialement paru dans la revue Cinéma Différent, mai 78
L’intégralité des numéros de la revue Cinéma Différent sont maintenant accessibles en ligne à cette adresse : http://www.cjcinema.org/divers/newsletters/2014/07_AOUT/CJC_NEWSLETTER_08_14_CINEDIF.html