34 mn / 16mm / N&B / format 1,37 / son mono
produit par Laurent Lavolé et Isabelle Pragier (Gloria Films)
scénario et dialogues : Pascale Breton
direction artistique : Karim Aïssaoui et Stéphane Dougoud
musique : Robert Schumann, Jean-Pierre Baudry
image : Pascal Sautelet
son et mixage : Béatrice Pilorge
montage : Gilles Volta
avec
Arnold Barkus Edwin Sotiris
Sarah Haxaire Irène
Kamel Abdelli L’épicier
Mohamed Nadif Nadir
Zeloug Zoulara Touria
Luc-Antoine Diquéro L’ami de Jérémy Stocke
Jean-Pierre Dougnac Jean-Claude Certain (voix)
Christine Vézinet Alice Vigouroux
Carl Freedman William
Monique Nizard Mireille
Pascale Breton La traductrice
El Houcine Boutz Gamout L’oncle de l’épicier
Félix Nizard le fils de l’ami de Jérémie Stocke
Grand Prix et Prix SACD de la Meilleure Première Œuvre au Festival de Clermont-Ferrand (1996)
Prix du Meilleur Scénario au Festival Premiers Plans d’Angers (1996)
La Huitième nuit, conte joyeux d’une décennie noire
Ce qui me surprend le plus quand je revois La Huitième nuit, c’est qu’à l’époque, alors que la guerre civile faisait déjà rage en Algérie et que les attentats du G.I.A. allaient meurtrir Paris à partir de juillet 1995 et donc juste après que j’aie fini le film, à cette même époque où le sida poursuivait son règne sombre et frappait ami après ami, époque aussi où je venais de perdre ma mère et mes grands-parents tant aimés à deux ans d’intervalle, je n’ai pas eu l’ombre d’une hésitation avant de faire de mon premier film une comédie.
Aller vers un tournage après dix années à œuvrer pour d’autres comme scénariste, c’était aller vers les acteurs, vers la création d’un monde, d’un rythme, d’une folie, c’était aller vers la joie.
Le film partait du quotidien de jeunes gens désargentés à Paris – quoi de plus ordinaire – pour rejoindre la magie du livre phare de mon enfance, Les Mille et Une Nuits.
Quelque chose était justement en train de se briser dans la relation entre l’Occident et le monde arabe, et c’était ce contre quoi je faisais ce film.
J’avais passé trois années de mon enfance en Algérie et ce qui m’avait plu en arrivant à Paris après mon adolescence en Bretagne, c’est que c’était une grande ville maghrébine. Mais depuis le début des années 90, la discorde s’installait, l’islam de certains se raidissait tandis qu’un racisme nouveau apparaissait, relayé par des hommes politiques.
Dans la cuisine de l’appartement-bureau de Gloria Films où je faisais seule le casting, passaient des acteurs et des réalisateurs algériens qui venaient d’arriver à Paris, fuyant leur pays et les menaces d’assassinat. Passaient aussi des acteurs et actrices de Seine Saint-Denis dont les pères avaient immigré pour devenir ouvriers chez Renault. Ils me racontaient les kalashnikovs qui se vendaient depuis peu dans leurs quartiers, les coups de feu dans les MJC pendant les cours de théâtre.
Pourtant Paris restait une grande capitale maghrébine. Partout on entendait du raï, partout résonnait la voix mélodieuse d’Idir.
Je voulais rendre les choses simples : tourner en noir et blanc pour m’éviter la question des couleurs, en format 1,37 pour pouvoir cadrer un personnage assis et un debout, faire des trucages à la caméra et mixer en mono.
L’énergie du premier film, c’est quelque chose qui vous fait renier toute votre cinéphilie, toutes les théories ingurgitées mais aussi l’expérience qu’on croit avoir acquis sur les films des autres (j’avais été scénariste, assistante, scripte, régisseuse, journaliste…), pour entrer dans une cérémonie inconnue, qu’on invente plan après plan.
Ça se fait tout seul, comme à l’entrée d’un palais ensorcelé.
Et à la sortie, le monde n’est plus comme avant. Il a été réécrit par la géométrie multicouche du découpage et du montage. Ni le temps ni l’espace n’ont plus la même substance. On a été mordu par le vampire du cinéma.
Chacun de mes films est une petite épopée qui ne s’avoue pas, par peur de l’esprit de sérieux. Pourtant je cherche à raconter l’histoire du peuple, l’histoire d’un peuple. Pas exactement pour le glorifier. Plutôt pour raconter comment il s’en sort, montrer comment il vit et survit, avec son énergie propre, sa culture qui est comme une prairie singulière et vigoureuse.
Dans La Huitième Nuit il y avait le mystère de la langue arabe, présentée comme l’autre côté du miroir. Cela rendait les personnages arabes tous détenteurs d’une puissance, puisqu’ils parlaient la langue qu’Edwin, le personnage principal, ne maîtrise pas. Cette inversion de pouvoir provoquait une sorte de décolonisation active à l’intérieur du film, et nous en tirions une jubilation. Je ne sais pas s’il y a eu un plan où nous n’avons pas ri après « coupez ».
L’inversion se portait aussi sur les rapports du couple (Edwin faisait le ménage tandis qu’Irène voyageait pour gagner sa vie), et un esprit anarchiste ordinaire de l’époque faisait que l’argent, cette denrée rare, se contournait par des techniques de troc, de presque larcins, de services rendus, plus qu’il ne se gagnait.
C’est seulement dans les films suivants que j’ai découvert qu’il y a quelque chose de tragique dans le cinéma, je veux dire dans le tournage même. La poupée était devenue un vrai enfant qu’il faut protéger et défendre. Il est vrai aussi qu’entretemps une cruauté de solitude avait gagné le monde avec le triomphe mondial d’internet. Car oui, La Huitième nuit est un film de juste avant internet, et c’est peut-être pourquoi, juste avant la chute, les contacts humains s’y multiplient frénétiquement.
Avant de commencer la production, j’avais dit que si le film ne plaisait à personne, je n’en ferais pas d’autre. Mais après que pas mal de monde dans la profession ait fait la fine bouche, il a été primé à Angers puis à Clermont-Ferrand. Un distributeur, Jacques Maréchal, a décidé de le sortir. Arte l’a acheté.
Heureusement, car j’aurais eu du mal à tenir ma promesse.
Pascale Breton, 12 septembre 2021
D’autres films de Pascale Breton sur vimeo.com/pascaledigitale