Hendrik Sturm est artiste promeneur. Il marche en milieu urbain et périurbain. Ses parcours sont élaborés à partir d’un travail de repérage sur le terrain et de recherches en archives. Une des balades de son répertoire est celle qui suit en surface le tracé rectiligne de la Galerie de la mer, conduit souterrain aujourd’hui désaffecté qui relie les mines de Gardanne au port autonome de Marseille. Le film est celui de cette promenade, faite en novembre 2006 en compagnie du critique de cinéma Patrick Leboutte et du philosophe Jean-Paul Curnier.
Production, réalisation, image et montage : Philippe Van Cutsem
Son : Fred Salles
Avec : Hendrik Sturm, Patrick Leboutte, Jean-Paul Curnier
LE RETOUR DU FLÂNEUR
Il s’appelait Tempête (Sturm), mais semblait toujours très calme. Il m’a raconté récemment que sa maison, construite dans un pente, risquait d’être emportée par le poids de sa bibliothèque, lui qui paraissait si léger a été emporté par une tempête implacable.
Sur la terrasse de cette maison, je me souviens de lui alignant d’infimes débris de plastique, de métal et de verre : sa collection archéologique, glanée sur l’ancienne base militaire du plateau de l’Arbois.
La première fois que j’ai entendu sa voix (et son accent), bien avant de le rencontrer, c’était pour retranscrire une balade qu’il avait faite dans le sud de Marseille, avec Élisabeth Dorier-Aprill, sur le thème déjà (c’était en 2001) de la privatisation de l’espace public. Je découvrais la promenade urbaine. Puis je l’ai rencontré lors de la dernière promenade que j’ai faite à Marseille avec Laurent Malone et Christine Breton, en 2005, avant de partir vivre à Paris. Il m’a raconté qu’il avait épluché toute la presse de septembre 1926 pour connaître l’actualité de Marseille lors du premier passage de Walter Benjamin. Nous en discuterons à nouveau autour des traductions auxquelles je me risquais pour le livre écrit avec Christine Breton, dix ans plus tard.
Je le retrouverai dans le très beau film de mon ami Philippe Van Cutsem, La Galerie de la mer, où il emmène Jean-Paul Curnier et Patrick Leboutte à la recherche de ce tunnel, reliant les mines de Gardanne au Cap Pinède, qui fut longtemps un monument-fétiche des poètes-marcheurs marseillais.
Mon retour à Marseille nous a permis de nous rencontrer un peu plus régulièrement. Nous avions parlé de nous revoir pour discuter des cartes topographiques d’Athènes. Nous avions la même fascination pour la forme urbaine et ses métamorphoses, la ville comme sculpture involontaire.
Lors d’une balade verticale dans le bâtiment du Frac Paca, je me souviens qu’il a sorti des collections une petite canne criblée d’écussons en émail de toutes les couleurs. C’était sa canne d’enfant, une canne de randonneur sur laquelle, suivant la tradition, les petits Allemands piquaient les écussons des villages traversés. Symbole fabuleux du lien entre le vieux romantisme et nos promenades contemporaines, mélange d’appétit du paysage, de curiosité et d’attention. « Ah si les Berlinois pouvaient prêter autant d’attention à leur ville qu’à la nature”, disait Benjamin. Tu étais l’incarnation de ce flâneur nouveau dont il rêvait. Adieu Hendrik !
Sylvain Maestraggi, octobre 2023
Lien :
Le peuple, la ville et le cinéma – à propos de « La galerie de la mer » de Philippe Van Cutsem, texte de Emmanuel Massart.