LE SOUFFLE DOULEUR
1. Les inhumations
Les Inhumations sont au nombre de 70 comme les 70 faces de la Torah qui, dans le Zohar, brillent pour l’initié ou les 70 langues des 70 nations qui forment l’humanité entière dans la tradition pré-talmudique. Il y parle du meurtre de la mère, de sa jeunesse, de Guy Debord 1, de l’avènement du blanc. Tout est loin d’y être clair et la polysémie de cet écrit rappelle même par endroits les ingénieuses techniques d’interprétation 2 des cabalistes.
Le poète fonctionne par paire : « je joue /je ne joue plus ». Il ne dort plus comme au temps de L’Anticoncept, il fait carrément le mort, il s’habitue. On a parfois l’impression d’une gesticulation burlesque à la Beckett. Il veut dire, il veut taire – gros le mot n’éclate pas 3.
Cacher et ses dérivés figurent presque vingt fois 4 dans Les Inhumations. Les seules capitales du texte, deux « A », sont-elles une allusion à YHWH ? Qui espère-t-il retrouver dans l’adoration d’une image figurée défigurée ? Est-ce la croix du fils du charpentier, la Trinité de Pic de la Mirandole et de Jacob Bohme, qui sont mentionnées comme en passant ?
L’élément architectonique, structural, et les associations d’idées n’ont pas ici la flui-dité de celles d’un enfant ou de l’inconscient de tout un chacun mais au contraire une rigidité aux accents dramatiques. Ce texte, et plus encore le suivant. Peinture dépeinte, donne l’impression d’une insatisfaction obsessionnelle et exaspérée. La tonalité d’ensemble est sombre. En ces temps où il est de bon ton de rire de tout, la gravité de Joseph 5 Wolman surprend.
S’il ne faut pas laisser les choses enterrer l’homme et si dire le mot de la fin m’est pas le dernier mot, puisse notre glose accentuer la teneur problématique de cette prose.
2. La cabale.
D’après Gershom Scholem, pour comprendre la Cabale, il faut lire Kafka et en particulier Le Procès. Pour comprendre Wolman, pour décrypter Les Inhumations et Peinture dépeinte faut-il lire le Zohar ?
Dans l’esprit du judaïsme, connaître et aimer ne forment qu’un seul et même geste. Adam connut sa femme Ève. Mais c’est l’instant où le savoir deviendra inutile grâce à la connaissance du Grand Nom qui est l’objet de tous les désirs. Trois grands traits caractérisent la mystique juive : la réserve quant à qui touche l’expérience mystique proprement dite, la considération du langage comme l’instrument propre de Dieu et la déférence par rapport à la tradition.
La Cabale est un mysticisme à dominante intellectuelle proche de celle d’un Maître Eckhart 6. Sa première affirmation est l’impossibilité de connaître Dieu. Seule la négation de la négation peut nous Le faire imaginer. Le Cabaliste se représente l’âme humaine comme une parcelle de la Vie Divine, détachée du monde des sephiroth 7– ou plutôt comme un reflet de ce monde divin dans le miroir du monde réalisé. Même au degré le plus élevé de la prophétie l’âme demeure distincte de son origine céleste. Jamais pour un Cabaliste l’extase ne saurait devenir l’identification de l’âme à Dieu ou l’anéantissement du moi au sein du cosmos. L’âme reste l’âme et Dieu reste Dieu. La créature et le Créateur ne peuvent être mis sur le même plan.
Doctrine de la transmigration des âmes, système des émanations des dix sefiroth, bi-unité divine sous la forme d’un couple de principes masculin et féminin 8, puissance théurgique des rites et des pratiques religieuses, méditations liturgiques, angélologie, mystique linguistique, physiognomonie, techniques d’extases, herméneutique spirituelle des Écritures, interprétation mythologique des récits de la tradition juive orale du Talmud et du Midrash, théorie des essences subtiles ou causes primordiales présentes dans l’Infini avant toute création et fondements de toutes choses, la Cabale peut se résumer dans ces quatre concepts fondamentaux : la contraction (tsimtsoum) 9, la brisure (shevirah) 10, la réparation (tikkun) 11 et la transmigration des âmes (guigoul) l2.
Toute chose est duelle et comprend une contraction et une émanation. C’est seule-ment par la rencontre de ces deux courants inverses que les choses accèdent à l’existence. La contraction exprime la vie, le Dieu vivant et le Dieu d’avant la création du monde, caché, En Sof, Infini et Non-Être, le Dieu pensé par Dieu.
3. Peinture dépeinte
Peinture dépeinte est une confrontation entre la peinture et l’écriture, entre un texte et son commentaire, entre la lumière et l’obscurité, entre l’esprit et la matière, entre la passivité et l’activité, entre le bien et le mal, entre la résignation et la révolte. Ça parle du blanc et du noir, du cri et du silence, de la vérité et du mensonge, du monde et du néant, du plaisir et des leurres, du souvenir et de l’oubli, de la guérilla que l’on mène contre soi-même, du suicide, de ce qu’on cherche à taire. C’est de l’ordre de l’incanta-tion et de la transe.
Peinture dépeinte se présente comme une suite quasi ininterrompue de signes qui se déroule sous nos yeux sans aucune versification, ni ponctuation, ni accentuation marquant les diverses unités sémantiques. Des graphèmes sont posés les uns à côtés des autres au point de former une seule et unique phrase entrecoupée de la date du jour, une arborescence de combinaisons, de permutations, de fusions, de transformations et d’agglutinations 13.
La lecture de Peinture dépeinte est un acte de création. Le signifiant déborde sur le signifié : la forme noie le fond. Chaque approche en révèle un aspect partiel délimitant une aire floue dans le flux multiple des significations. Comment mettre un semblant d’ordre dans cette masse de signaux frénétiques tout en évitant de se perdre dans les errements incontrôlés des effusions sentimentales ? Est-ce un lieu de pur non-être ou le chiffre d’un message soigneusement codé ? Peut-on parler ici de microcosme et de macrocosme ? De différents plans de lecture ? Quelle est la part du rêve ? De l’infini ? De l’inconscient ? Que cherche son auteur ? Quelle expérience ? Quel absolu ? S’agit-il d’un intérêt monomaniaque pour la nature de la création ? D’une fascination pour le chaos ? D’une phobie ? D’une habitude ? D’un ressassement ? Ces questions sont sans doute de l’ordre du non-sens. En tout cas, la dimension symbolique de cet ouvrage reste à explorer.
Peintre de tradition orale, Wolman garde un regret – « j’ai rompu avec l’idée de la peinture et ça ne passe pas ». Il décrit la peinture parle peinture, peinture est peinture. L’opaque cabale est une pensée de la lumière. Pour Wolman la peinture est une écriture, un art de longue conversation, de la lumière figée et figure l’inhumé. En voulant écrire la lumière, il trouve l’écriture. La lumière est liée par la parole. La parole est un tableau et l’écriture dépeint le tableau. C’est elle qui vide la représentation, qui est une peinture en toutes lettres. La peinture lue est à la peinture dépeinte ce que la figuration est à la peinture une voix rapide. Quand la peinture est dépeinte, ce n’est pas l’œuvre qui disparaît mais sa possession. Rien ne peut détruire une peinture détruite. La création n’a pas besoin d’être pour exister. Dépeindre se refuse à l’aisance d’une fin. Ce n’est pas Wolman qui imagine la peinture mais la peinture qui l’imagine lui, écrit-il.
A l’origine la Thora aurait été écrite avec du feu noir sur du feu blanc… Le monde secret de la divinité est un monde du langage, un monde des noms divins, qui se développent selon leur propre loi. Jusqu’à alors, il fallait au lecteur du talent pour comprendre certains livres, Wolman lui, exige du génie 14. Faites vos yeux ! Un homme qui a lu un texte cent et une fois ne ressemble pas à celui qui ne l’a lu que cent fois…
Quand il rédige ce livre, il a derrière lui cinquante ans de pratique avant-gardiste… Qu’est-ce qu’une vie entière passée à l’avant-garde, dans un revival du mythe, dans la sphère de rencontre de la conscience primitive et de la conscience sophistiquée ? Quelle Weltanschauung en découle-t-il ? Les avant-gardes sont plus une attitude qu’un contenu. Duchamp et Malevitch en sont. Joyce et Picasso n’en sont pas. L’avant-gardiste ne croit pas au progrès en art. L’artiste y croit. Même si Wolman est dans une génialité auto-proclamée tout à fait typique de ces mouvements politico-artistiques, la dénomination marge rend sans doute mieux compte de son itinéraire que le turgescent avant-garde ? Ce doux, ce bon vivant, nie toutes les valeurs et toutes les lois, il les piétine et il les profane pour obtenir l’expérience et le jus de la vie mais il ne se prend pas pour un nouveau messie. Rêveur solitaire, il soliloque sur l’enfantement et les terribles douleurs qui précéderont et annonceront la venue d’un monde nouveau. Si nous pouvions savoir comment nous sommes tombés où nous en sommes. par quelles voies particulières tout ce qui existe s’est désagrégé, nous pourrions sûrement savoir comment tout peut remonter. Eh oui ! On peut chercher à sortir de la souillure, de la confusion, du chaos et des cataclysmes de l’histoire par une fuite vers le commencement, vers la Genèse.
Les Megapneumies étaient une magnification du souffle. Peinture dépeinte épuise le souffle. Le débit wolmanien est organique, anti-machinal, tout sauf mélodique et mono-tone. Sa magie est celle d’un dévot néo-dadaïste 15. Toute argumentation lui semble stérile. Il tranche !
Peinture dépeinte n’est pas vraiment un livre. C’est un horizon que le regard ne peut embrasser d’un coup. Un livre a un début, une fin, un plan. Ici, au contraire, l’absence de système accroche, frappe ; langue, forme, méthode, contenu : tout y est étrange. Comment briser cette solitude, en expulser la subjectivité, l’ouvrir à autrui ?
Édifice vertigineux construit sur un vide également réparti en tout point, Peinture dépeinte n’est pas constitué par une série d’événements ou de péripéties plus ou moins liées mais par une suite toujours plus distendue d’exégèses, lesquelles ne portent finalement que sur la possibilité d’écrire et d’interpréter. Souvent le livre s’enlise. Chaque moment exige une interprétation donnant lieu à un retournement qu’il faut à son tour déchiffrer, etc. A partir des énigmes visibles ou dissimulées dans le texte, la lecture peut faire appel à l’ensemble du livre pour comprendre une ligne ou même isoler un mot pour lui donner valeur de symptôme. Des strates finissent par former une configuration en gerbe, un feu d’artifice de sens !
Des images ? Pas d’images ! L’image accable le monde moderne, tempête Wolman. Elle exclut la relation, refuse la respiration et le désintéressement. Elle parodie la voix. Elle est malaise, imposture, elle s’oppose au savoir. L’image réprime la peinture. La couleur cache les questions que la théorie pose. Bref quand l’image se ferme la porte s’ouvre.
C’est le vocable mot qui est de loin le plus employé du livre. Si l’image a dit son dernier mot il reste aux mots à dire l’image… Wolman écrit pour être vu ! L’homme est un souffle parlant. Que d’un seul verset se lève des sens multiples l6 ! Anticoncept, acompréhension, illecture : c’est quand l’âme s’est dépouillée de tout ce qui la limite, quand elle est descendue dans les profondeurs du néant qu’elle rencontre le divin. Si une lettre en dit plus que l’alphabet et s’il y a une vie après le mot, le conseil des conseils reste : soyez patient. L’illisibilité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain…
Peu d’artistes sont mentionnés dans Peinture dépeinte. Marinetti pour les mots en liberté, Mondrian, Gauguin, Cézanne, Rimbaud, des valeurs reconnues, admises de tous, rien de particulier. La création est un jeu d’enfant. un temps je rayais la répétition maintenant je la souligne. Le jeu, la parole, les extrêmes et le plaisir scandent le texte.
Chaque discours manifeste l’échec d’une œuvre et fait une œuvre du discours. Ce marmonnement, ce soliloque, sont des leurres à la beauté exacte. A quel rite secret obéit Wolman en triturant et détricotant ainsi son texte, en transformant chaque affirmation en sarcasme ? Il se bat contre le terrorisme de la signification ! Ce livre peut être envisagé sous un angle typiquement freudien comme ayant un contenu manifeste et un contenu latent. De tout, il fait un mystère.
La fréquence de certaines dénominations permet de repérer des obsessions. Des mots comme révolte, émeute, pillage, guerre, attentat, conflit, guérilla, insurrection, répression, territoire occupé, terrorisme, expulsion, prisonnier, ennemi, embuscade, otage, blessé, front, arme, réfugié, combat, forteresse, extermination, armée, reviennent régulièrement et sont utilisés plutôt comme marqueurs expressifs que comme allusions à l’actualité immédiate 17. De nombreux vocables à connotations situationnistes telle que la contestation, l’exclusion, la marchandise, la dérive, le plagiat, le détournement, le quotidien, le système, le spectacle, etc., sont aussi récurrents.
L’artiste est travaillé par une mémoire en deuil, une mémoire dispersée, délabrée. Et pourquoi la mémoire et pas le souvenir ? Parce que le souvenir menace la vie, dit-il. Il se pense en survivant, en rescapé de nulle part qui signe la poussière, la questionne et l’enterre. L’histoire est l’un des leitmotivs de Wolman. Circulaire, elle se déroule sans rire, sans parler, pleine de silences lourds.
Pour la Cabale, suite à la brisure des vases, tout ce qui existe est en exil. Exil, exode, apatride reviennent souvent dans Peinture dépeinte. L’exil y est nommé comme étant déchirement, origine d’une vie, décors, limites. Il termine le passé confisqué et est résistance.
Écrivain abstrait, Wolman manifeste un net engouement pour les jeux de langage : double sens, expressions ambiguës, permutation de mots, associations verbales, suites d’appariements décousus, jeux de mots fondés sur l’homophonie, d’homographie, digressions, répétitions sans fin, autocitations, références fantomatiques, métaphore, mot-valise, emploi d’un même passage dans des contextes différents, contresens, non-sens, verbosité et usage sans discrimination de termes souvent dépouillés de leur sens d’origine. Apparaissent même parfois de lourdes et solides banalités, peut-être soulignées pour mieux égarer. Quelle est la part d’épaté, de mystification dans ce style tortueux à la syntaxe unidimensionnelle et à l’idiome abscons ?
Combiner, étudier et contempler de tous côtés les mots exprimant les idées les plus abstraites et les plus générales d’après des procédés mécaniques, afin déjuger par-là de la justesse des propositions et de découvrir des vérités nouvelles, était déjà l’une des techniques utilisées au xm’ siècle par le Cabaliste Abraham Aboulafia.
Pour qu’existe Peinture dépeinte, il était sans doute indispensable que l’artiste se contracte en lui-même. La tension produite par ce retrait est sensible dans chaque ligne. Comme devant certains personnages d’Alice au pays des merveilles qui n’ont aucune épaisseur, qui sont comme des cartes à jouer, il est à peine possible au premier contact avec cette prose d’échapper à une impression d’ahurissement. Pour entrer dans ce magma, il faut sans doute diriger son attention non pas sur le texte considéré comme un tout, mais sur ces différentes parties. Naissent alors pour chaque fragment une série d’idées pouvant amener à un déchiffrage détail par détail. L’essentiel d’une pérégrination dans ces fragments ne consiste pas à aller de lieux en lieux, mais d’exégèse en exégèse. Postulons néanmoins que dans une wolman introspective chaque segment a un sens 18. Une phrase non expliquée en devient comme une lettre non lue. Faut-il en pleurer 19 ?
L’homme qui risque de périr par noyade se débat dans tous les sens pour assurer sa survie ; viendrait-il à l’esprit de ceux qu’il appelle au secours de se gausser de ses gesticulations ? Certes, non ! Une seule vie parfaite peut sauver l’ensemble de la communauté de la vie matérielle dans laquelle elle se traîne. Jamais content en aucune chose, Wolman vacille sans fin d’une teinte à l’autre 20 de l’agitation au repos, de la rigueur à la miséricorde, de la vitalité à la morbidité, du minable au souverain… Était-il le dur du lettrisme 2I ou un modeste amateur de jeux de mots ingénieux, un extrémiste indifférent aux moyens de com¬munication usuels, insensible au mépris et à la moquerie ou un anachorète méditatif plongé dans la contemplation de l’Omniprésent ?
Contrairement à l’œuvre d’art, la vie est fort imparfaite et c’est ce que Wolman préférait, l’imparfait. Mais il ne voulait pas qu’effacer, dépeindre, détruire. Il croyait aussi au progrès moral et il tenait le Journal de ses victoires et de ses défaites, de ses chutes et de ses résurrections. Ce n’était ni le fini de la communication, ni l’efficacité des échanges mais l’infini des possibles, toutes les dérives de l’usage qui étaient son but. Le messianisme omniprésent dans le lettrisme mais aussi dans l’Internationale Lettriste et dans l’Internationale Situationniste lui était devenu consubstantiel. N’était-il pas celui qui répétait : plus c’est facile plus c’est beau ?
YVES TENRET
Notes.
1. l’un n’exclut pas l’autre. Dans la théologie juive, les interprétations sont parallèles. Elles s’excluent sans se nier.
2. Quatre niveaux : le sens littéral, le sens allusif, le sens sollicité et le sens caché.
3. Dans cette première trouée faite à la machette les indications de pages ou de dates auraient été trop fastidieuses. Nous traitons donc le texte comme un tout homogène.
4. L’œuvre est cachée, cache la misère, une lettre est cachée, le pouvoir de l’art se cache dans son errance, le support est caché, cacher est une imposture, n’est pas une conclusion, se passe de voir, etc., bref, à tout cacher la cache est pleine.
5. « Il est à remarquer que le nom de Joseph joue un grand rôle dans mes rêves… Mon propre ego trouve très facile de se dissimuler derrière des gens portant ce nom, puisque Joseph était le nom de l’homme fameux dans la Bible pour interpréter les songes ». S. Freud, La Science des rêves. Les derniers mots de Peinture dépeinte sont « […] le nom appelle un cheminement joseph me voilà « .
6. Qui s’inspire du Guide des Égarés du philosophe juif Maïmonide.
7. Les nombres au sens propre. En fait quatre mondes (émanation, création, formation, action) comprenant dix aspects.
8. La schechina c’est-à-dire la présence féminine, l’élément passif, la Reine, l’Épouse. Le Kaddaosh Barouch Hou est la personne masculine. L’union en Dieu des principes complémentaires est décrite par des symboles sexuels. Le Roi connaît la Matrona et celle-ci accouche du monde séfirotique.
9. Contraction, retrait. Pour que puisse exister quelque chose qui n’est pas Dieu, il est indispensable que Dieu se réfugie en lui-même. En un point au sein de l’infini, la lumière divine s’éclipse. Ce point infinitésimal c’est tout l’espace cosmique. De même que pour pouvoir enfanter les générations des hommes, Noé s’est retiré dans l’Arche, de même le Saint-Béni-Soit-II s’est retiré en lui-même pouf pouvoir créer tout ce qui existe.
10. Tout ce qui doit agir et se manifester a besoin de vêtements sous peine de retourner à l’infini qui ne comporte ni distinction ni gradation. Dieu forme donc des vases. La lumière divine jaillit dans ces vases. Ceux-ci ne peuvent le supporter et se brisent. Depuis plus rien n’est à sa place dans la Création. Des « étincelles » de ce flot de lumière divine sont tombées dans l’abîme. De là vient que désormais tout ce qui existe est en exil.
11. Réparation, restauration. Qui retrouvera la place originelle propre à chaque créature, triera par l’étude et la prière, le bien du mal et sauvera le monde et Dieu même, sinon l’homme ?
12. Toutes les âmes ont été crées en même temps au début du monde avant leur descente dans les corps. Les âmes fautives subissent quelques mois de géhenne puis obtiennent de la grâce de Dieu une nouvelle chance en revenant sur terre ; c’est le guigoul.
13. « Il y a, dans le langage, l’expérience d’une structure infinie ; et la phrase en est l’exemple même : vous pouvez remplir une phrase indéfiniment ; et, si vous arrêtez, vos phrases, si vous les fermez, ce qui a toujours été le grand problème de la rhétorique (comme en témoignent les notions de période, de clausule, qui sont des opérateurs de fermeture), c’est uniquement sous la pression de contingences, à cause du souffle, de la mémoire, de la fatigue, mais jamais à cause de la structure : aucune loi structurale ne vous oblige à fermer la phrase, et vous pouvez l’ouvrir structuralement indéfiniment. R. Barthes
14. « Le génie c’est refuser d’avoir du talent. Le jeu est la grande invention du xx » siècle. Je ne suis pas assez intelligent pour comprendre ce que je fais. » G. J. Wolman.
15. « C’est une caractéristique de la théologie cabalistique dans ses formes systématiques, elle essaie de construire et de décrire un monde dans lequel revit quelque chose de Mythique, avec des termes de pensées qui excluent l’élément mythique ». G. Scholem
16. Les mystiques, écrit Scholem, « se plaignent continuellement et amèrement de l’inadéquation totale des mots pour exprimer leurs vrais sentiments ; ils s’abandonnent à la rhétorique et ne se lassent jamais d’essayer d’exprimer en mots l’inexprimable ».
17. Rabbi Juda. Rabbi Jossé et Rabbi Siméon étaient réunis, et Juda, un fils de prosélyte, se tenait près d’eux. Rabbi Juda fit observer : « Les travaux de ees Romains sont admirables : ils ont tracé des routes, construit des ponts, bâti des thermes. » Rabbi Jossé garda le silence. Rabbi Siméon répliqua : « Tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait pour eux-mêmes : les rues pour les prostituées, les thermes pour leurs corps, les ponts pour lever des péages. »
18. « ce que je fais je le fais pour comprendre je ne fais pas les clefs je fais les portes. » G. J. Wolman
« Orignac relate, dans son commentaire des psaumes, qu’un savant ‘hébraïque’ lui a dit que les Écritures Saintes ressemblaient à une grande maison avec beaucoup, beaucoup de pièces ; devant chaque pièce se trouve une clé, mais ce n’est pas la bonne. » G. Scholem.
19. Le cabaliste I. A. Luria conseille à qui ne comprend pas un texte de pleurer car verser des larmes brise les blocages.
20. « Au lieu de neutraliser les sentiments ou de les laisser tels quels, l’élaboration du rêve peut encore les transformer en leur contraire. Nous avons vu qu’une des règles de l’interprétation établissait que chaque élément du rêve pouvait tantôt avoir son sens propre, tantôt signifier le contraire. On ne sait jamais d’avance s’il faut admettre l’un ou l’autre, le contexte seul en décide. » Freud, La Science des rêves.
21. Isou sur Wolman : le « cézanne du lettrisme »… une espèce de maladresse derrière laquelle on doit discerner le refus d’un univers acquis… le besoin d’un monde diffé-rent… monde aride, inhumain, qu’il accepte et explore à tout prix, malgré l’étrangeté d’aspect et de goût de la moisson. (…). …nous avons une région wolmanienne dans le lettrisme, formée de sentiers escarpés, de terres désolantes, d’excroissances sauvages, mais qui ne constituent pas moins un paysage d’une force extraordinaire, plus souvent accablant, mais quelque fois réellement émouvant. »