Dreyer pour mémoire – exercice documentaire

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Propos de Olivier Derousseau et dessins préparatoires au film, 2005
Propos recueillis par Olivier Pierre à Paris, le 27 juin 2005 et parus dans le quotidien du FIDMarseille du 3 juillet 2005

Le contexte de cet «exercice documentaire» ?
Il existe un lieu à Roubaix, la Cie de l’Oiseau Mouche, qui accueille et forme des travailleurs/acteurs handicapés, c’est-à-dire déclarés et identifiés comme tels. Des amis. Qui travaillent. Trente cinq heures par semaine. Cette compagnie domiciliée au lieu dit «leGarage» produit avec ces acteurs des spectacles. Et en reçoit aussi. Ces acteurs sont les protagonistes du film. Cette compagnie est aussi un C.A.T. (Centre d’Adaptation par le Travail). Les C.A.T. sont plus généralement des lieux d’exploitation et de sous-traitance dont les résidents vivent de maigres subsides et de travail ; le travail étant envisagé sous l’angle de l’accueil, de la socialisation et du rendement. Le film tente de faire face à cet ensemble de problèmes.

Dreyer apparaît dans le film avec l’extrait d’Ordet et dans certains gros plans de visages.
Les films qui nous ont regardés sont là pour toujours. Présents jusque dans les moments d’intensité politique où quelque chose peut basculer.

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs de la Cie de l’Oiseau-Mouche ?
Il ne s’agissait pas de faire un reportage sur des travailleurs handicapés. Mais plutôt de faire entendre et de montrer des acteurs, leurs singularités, en exercice.

Qu’est-ce qu’un exercice d’acteur ?
Cela ne consiste pas à tenir un rôle ou jouer une situation mais plutôt à porter en acte une parole. En acte. C’est toujours déjà se faire violence parce que la parole ne vaut que si elle est tenue. Une promesse alors. Que les paroles soient apprises, lues, répétées, chuchotées, bégayées ou absentes, c’est une question esthétique auquel ce film répond. Il s’agit d’un documentaire au sens où le film tente de faire voir des paroles au travail en tant que ces paroles n’appartiennent à personne.
Consubstantiellement, c’est un exercice de choix d’angles, de cadres, de lumières ; c’est un exercice de cinéma. Chaque séquence fut préparée à l’école du temps et de la patience parce qu’il était nécessaire que chaque acteur du film, qu’il soit devant ou derrière la caméra, appréhende le mystère de la confection des images.
En ce sens, un travail pédagogique. Le seul élément de fiction du film est l’évocation concrète et récurrente d’un personnage qui est une figure absente, acceptée comme tel. Nous l’avons appelé Ernest. Il se pourrait qu’Ernest soit un homme gris, autrement dit une figure démonologique. Pas plus que ça. Les cartons et les dessins en surimpression dans le film prolongent aussi le travail de mise en scène et de jeu. Au préalable, comme préambule au tournage, nous avons fabriqué un atelier pendant un an à raison de deux jours par semaine, intitulé « J’hésite encore ». Nous avons tout au long préparé la venue de ce tournage sans jamais en parler. Nos questions étaient simples et nous fabriquions à partir. Nous avons dans le cadre de cet atelier donné une lecture publique, présenté des dessins et montré un moment de théâtre sur le plateau du Garage. Nous sommes aussi sortis afin de photographier la ville de Roubaix. Ce film représente aussi la mémoire de ce temps. Au même titre qu’un son représente parfois une image. Allusivement. Dessins, photographies, mots accrochés, poubelles à journaux, tables, cartes postales, autant d’éléments constitutifs de ce qui pourrait évoquer le Capital. Tout cela au repos, soigneusement rangé comme ayant déjà servi. Et les acteurs dans ce milieu, stables et perdus parmi les traces d’une usine probable. Une usine à fabriquer du sens.

«Mon histoire, j’ai envie de la raconter sur la banderole» dit un des comédiens. Comment la lutte des intermittents a-t-elle coïncidé avec votre travail ?
Nous avions décidé de commencer à tourner en juillet 2003. Or le mouvement des Intermittents & Précaires se déployait massivement. Nous décidâmes à l’Oiseau Mouche d’interrompre le tournage. En être aussi. Dans la joie de ce non. Puissance de ce nous. Rien ne nous y obligeait. Les «travailleurs handicapés» n’ont pas le droit de grève. Ce débrayage fût un moyen et de le faire savoir et d’exister debout dans cette lutte. Et aussi d’envoyer un message fraternel à ceux qui sont restés le cul assis entre deux chaises. Ainsi, nos paroles furent aussi des actes. Actes d’acteurs qui s’affranchissent de leurs rôles. Cela aussi notre film le porte.

Quelques dessins fabriqués à l’occasion de l’atelier préparatoire au tournage

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