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Cinéma parlant.
Catastrophe 1 : Anecdotes.
D’abord l’aphasie, un léger glissement de l’être. Ensuite la bestialité de la salle, les oh! et les ah!, les soupirs de contentement, le souffle court de l’émoi, des rangées de têtes et de pieds reculant et avançant à l’unisson. Ma voisine aux Grands fonds : Dans l’eau mon cœur bat plus vite. La Catastrophe est avant tout un service de presse bien fait. Un fourmillement d’anecdotes expulsées du ventre chaud du Capital, la performance des acteurs. Le seul à qui on ne demande rien étant le spectateur. Et il ronronne passivement, ébloui, béat. La Catastrophe n’a pas besoin d’être vue. Elle n’est que la confirmation des exploits dont parlait à son propos le quotidien du matin. Ils l’ont fait ! C’est sur la pellicule. Une Catastrophe, c’est un boulot de scénaristes, de trois à 17. Les autres noms de générique ne sont qu’exécutants techniques ou marionnettes grand-guignolesques. La Catastrophe est une grande histoire d’amour entre les grands producteurs et le grand public. Histoire d’amour dont le principal attrait est la facilité du rapport amoureux. II suffit de surveiller le tournage (producteur délégué) en gommant sur la bande-son tous les mots de plus de trois syllabes, sur la bande image tous les objets insolites non prévus dans le synopsis et sur les deux, toute apparition de femmes ou d’indigènes n’ayant pas l’air fanatique, cupide, avachi ou /et con. Ils vous restent des mâles américains beaux, grands et forts. Quelle aventure !
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Mahomet, le messager de Dieu (1976), film catastrophe par excellence, a dû être modifié à la suite des exigences formulées par un groupe d’intégristes noirs musulmans au cours d’une prise d’otages effectuée à Washington en mars dernier.
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Dans leur sac à malice : le premier L’Aventure du Poséidon, 1974, La Tour infernale, 1975 d’Allan & Guillermin, 750.000 entrées en France, Novecento, 1976, les Dents de la Mer, 1976, etc. A la mi-décembre, le père Noël vous apportera Apocalypse Now, de Coppola, coût 25 millions de dollars.
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Quelle belle matière pour un structuraliste. Tous ces films s’écoutent, se parlent, se répondent. Ça circule. Exemple clef : Rosebud, 1974 de Preminger et Black Sunday, 1977 de Frankenheimer. Bientôt Rollercoaster avec sensurround de J. Goldstone. Un terroriste sème la terreur en disposant des explosifs télécommandés sous le rail du scenic-railway. La série s’auto synthétise pour s’élever plus haut dans le ciel de la débilité mentale. Les naufragés du 747 de J. Jameson connaissent l’excitation d’un détournement (Raid sur Entebbe), le choc d’une rencontre imprévue (747 en péril), l’exotisme d’un naufrage (l‘Aventure du Poséidon) et la saveur d’un sauvetage (la Tour infernale). Plus le meilleur bon mot de toute la série : Sauvez les passagers, larguez les Rembrandt !
Tenret’s Polars Blues.
« Se tailler un royaume, au milieu de la merde universelle, puis chier dessus… » S. Beckett
Horace Mac Coy, ADIEU LA VIE, ADIEU L’AMOUR« », Poche noire 96 (tr. M. Roth & M. Duhamel) ,1949.
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Kiss to morrow good-bye est reconnu comme un chef d’oeuvre du genre. Je ne peux que confirmer. Un pénitencier. Une évasion. Un coup avec mort d’homme. Des flics qui viennent chercher leur part. Un chantage contre les flics. Un coup monté avec les flics. Y a pas de bons. Le Héros vit avec une fille qui se laisse culbuter par le premier chien bien coiffé venu. Il rencontre aussi une «chic» fille. Ça équilibre. Mac Coy aime les rebelles et n’aime pas les excuses. Son homme dit que ce n’est pas la société qui l’a fait comme il est. Mac Coy dit aussi qu’une BUICK d’occasion vaut plus que la vie de quatre membres de la majorité silencieuse. L’a pas l’air d’aimer le con moyen celui-là. Ces coups les plus dénonciateurs, (dénonciation = limites du genre), il les réserve quand même aux gens du pouvoir. Tous y passent les uns après les autres et de bas en haut. Le dernier, le plus haut, est un grand patron.
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— Asseyez-vous donc. Je m’excuse… mais… ces salauds ont déclenché une grève dans mes usines.
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— C’est lamentable, fis-je.
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— C’est lamentable pour eux. D’ici une semaine, ils feront la queue à la soupe populaire, je ferai le nécessaire pour ça. J’ai ici une police particulièrement bien entraînée pour briser les grèves, et une Garde Nationale spécialisée dans le ramassage des fortes têtes. Sans compter quelques organisations patriotiques qui brandiront la bannière étoilée pendant le nettoyage…
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L’homme de Mac Coy a un souvenir obsédant que je vous laisse découvrir. Il vous fera réfléchir. En attendant, ne menacez pas les mômes et, surtout, pas n’importe comment. A la fin, l’homme meurt. Dans pas mal de bons «série noire» le héros meurt et presque toujours comme de fatigue. C’est que c’est anti-idéaliste, le polar. Et le monde étant ce qu’il est…
TWENTY PRESIDENTS.
Helen Reilly (P. 1953), Requiem en 45 tours, Détective : Inspecteur McKee.
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Un thème en or : les vieux-couples.
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— «Oui, chérie». Ce disant, il lui tendit le magazine. En faisant ce geste, sa main vint au contact de la peau molle et un peu humide de Louise. Il eut un frisson et réprima à grand-peine une brusque nausée.
Vous mariez pas les filles, vous mariez pas… Mais des fois les louises exagèrent. Celle-là, si j’avais été à la place de George, je l’aurais tout autant tuée. Ecoutez ce qu’elle lui dit. Ils sont à table. Voyons George, ce n’est pas poli de faire un semblable tri dans ton assiette ! Mange le gras… Le gras ne peut pas te faire du mal…
Être à ce point sadique !
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Cinéma parlant.
Catastrophe II : Amertume.
A ceux qui ont des loisirs et qui ont vu Les grands fonds, je conseille vivement la lecture des notes de Wittgenstein dans Actes de la Recherche n°16 ; et ce, à propos des pseudo-pratiques vaudoues que montre ce film. Les grands fonds est l’un des films les plus racistes de ces dix dernières années. Même le camion, qui poursuit un moment les deux héros, est noir !
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La reconstitution de l’opération la plus meurtrière (c’est dans le plus qu’est la Catastrophe) de la deuxième guerre mondiale. Un pont trop loin de Richard Attenborough. On a dit qu’il s’agissait d’un film pacifiste. Dans ce cas le pacifisme est une splendide marchandise. Le pont est pourvu d’un alibi, pseudo-pacifisme, et d’une vitrine, vraie guerre. L’alibi démocratique et populiste ne tient pas : on ne voit que des officiers pendant les 90% du film. Et que certains soient montrés comme stupides et d’autres comme intelligents n’y change rien. La question est celle du point de vue. Le massacre des ploucs (allemands ou alliés qu’importe : tous prolétaires) n’est pas le sujet du film. Le sujet est le manque d’efficacité de Market Garden et l’esthétisme de la guerre. Il n’y jamais qu’une guerre éternelle, celle des pauvres contre les riches, disait Grachus Baboeuf. Dans cette guerre éternelle Le pont est une arme des seconds contre les premiers.
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Comment ne pas avoir la rage et froide devant les programmes lausannois ? Ne jamais écrire «Courez-y» fini par donner l’air benêt du gauchiste roide et puritain. Mais si l’on peut choisir entre le Frascati et le Fendant, entre les Grands Fonds et L’Imprécateur, il n’y a que des degrés de…
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La foule : Quel humour ce Tenret !
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Les bases du plus grand bâtiment du monde prennent feu ; un raz-de-marée engloutit le Japon ; le plus grand des avions tombe dans la mer; le Diable s’empare de l’âme d’un môme ; etc. La Catastrophe serait-ce le négatif, version vulgarisée du discours, torse bombé, pragmatique et triomphant du pouvoir américain ? La paupérisation subjective des masses occidentales, le travail incessant des médias dans ce sens : Quel film !
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La Catastrophe est anti-dialectique. Une faille crée du suspense. Le système la comble. Il en sort renforcé et ce dans le statu quo le plus euphorique pensable, mais les dénotations analytico-gauchistes (c’est le modèle qui me rend pompeux) donnent le récit dans sa linéarité, avec sa chute comme apothéose et clé récurrente. Victoire du sionisme dans Black Sunday par exemple. Trop simple. Marthe Keller est plus dans le «A trop jouer avec le feu on se brûle» que dans le «bourreaux sanguinaires». Entre parenthèses l’invraisemblance majeure de Black Sunday est de taille. Dalhia Iyad et son complice le «désaxé» Michaël Lander ne menacent pas 80.000 personnes. Ils veulent tout simplement les tuer. Pas faire un chantage, rien demander. Quel nihilisme ! Mes aïeux ! Par Netchaïev, mon frère !
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« …en janvier 77, la firme Columbia annonçait son intention de «maximiser ses efforts mondiaux de production». Résultat : le premier film qui bénéficia de cette décision fut The Deep. La recette de la maximalisation consistait à rechercher « des relations plus fonctionnelles entre le thème du film et les supports de la publicité». Au lieu de se contenter exclusivement de Tee-shirts ou d’autres formules de lancement habituelles, il s’agissait d’établir une ligne de continuité entre le thème du film et les produits qui lui feraient de la publicité : piscines, montres étanches, caméras sous-marines, équipement de pèche… »
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A. Mattelart Monde diplomatique Nov. 77
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Je crains que vous et moi vivions une aventure équivoque. Ce n’est pas, ici, mon avis, mon opinion que je donne. Ce sont deux, trois portes de secours. Trois, quatre possibilités de parler autrement du cinéma. Cinq, six envies de regarder à côté, sous, derrière, avant, après l’écran. Je n’ai pas d’avis sur le cinéma. Je n’ai aucune opinion sur le film X. A la semaine prochaine donc…
Tenret’s Polars Blues.
John D. Macdonald, Les énergumènes, Poche noire 99 (Tr. J. Hérisson).
Les sept premières pages sont dignes de figurer dans n’importe quelle anthologie. Elles donnent une très belle description du passage sur la chaise électrique de quatre personnes, passage vu par un prolo. « On avait les flics et les politiciens qu’on voit chaque fois parce que ces gars-là, ça les excite, ce genre de séance. En un sens, c’est mieux qu’une course d’autos, vu que quand on vient ici, on est sûr au moins que quelqu’un va y passer. » C’est écrit de façon moderne. Chaque chapitre a un narrateur différent. C’est l’histoire d’une odyssée sanglante. Quatre personnes tuent pour s’amuser. Hernandez, la brute, Sander Golden, l’autodidacte dont le langage est un étrange cocktail d’argot beatnik, de jargon de psychiatre, d’images et de comparaisons curieuses, Kirby Palmer Strassen, le fils de bonne famille, et Nanette Koslov, la fille qui jouit lorsqu’elle tue. Ils se cassent à la dexédrine, cherchent la sensation forte. Macdonald voit la violence comme un phénomène quotidien. Il s’affiche contre les explications psychologiques : Cessez de collectionner les mobiles, ou alors achetez un divan et lancez-vous dans le métier. Il ne prend pas parti, il décrit. Il montre des victimes répugnantes et des victimes sympathiques. Le shérif qui traque la bande a un point de vue tellement électoraliste qu’on pourrait croire que c’est Marx-Lévy qui a servi de modèle.
« Le journal parlé nous révèle que nous avions embarqué la fille d’un riche chirurgien, fiancée à un architecte… Le monde nous apprit que nous étions des monstres méprisables et sans entrailles, rendus fous par la drogue, semant la mort et la désolation sur notre passage. Sandy commenta : – On ne devrait pas laisser des gens comme ça en liberté ! »
TWENTY PRESIDENTS.
Stuart Palmer (P.1954), Les empreintes digitales ne mentent pas, Détective : Hidelgarde Withers.
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Stuart is off his rocker and so is his mother. Un crime, d’énormes empreintes, le tueur est un géant. La chute : c’est une femme qui a fait les empreintes avec ses orteils. Commentaire d’Ellery Queen : c’est incroyable. Il téléphone au doyen des écrivains de romans policiers, F.D. Radin. Il est aussi perplexe. Il vérifie au laboratoire de police. C’est possible. Commentaire de Tenret : tous ces gens-là sont de grands dégueulasses, non seulement ils écrivent monstres conneries, mais en plus ils sont copains avec les flics.
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Georges Simenon (P. 1955), L’amoureux aux pantoufles, Détective: Dr Jean Dollent.
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De nombreux lecteurs m’ont écrit pour me demander pourquoi Pajak était toujours noir. Et bien, chers lecteurs, c’est très simple : Pajak est toujours noir parce qu’il est le Roi du Stencil. Simenon par contre est le Roi du Carbone. Je ne sais pas pourquoi, mais Simenon me fait toujours penser à Velcro et Velcro à la guerre du Viet Nam. Expliquons. Un jour que je me promenais dans la campagne vaudoise dans la voiture d’un indigène, celui-ci me montra une imposante bâtisse et me dit :
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– C’est la maison de Velcro, le type qui a inventé la tirette sans tirette et qui l’a vendue à l’armée américaine qui lui a donné plein de ronds.
Comme j’ai lu que Simenon était l’auteur le plus lu en URSS, vous voyez le rapprochement. Si mais non, c’est pas franchement mauvais ni franchement bon. C’est pas franc. C’est une usine qui vise le créneau «âge mental fatigué». Dollent n’a pas de méthode, le soleil est mousseux comme du Champagne et Paris sourit comme une jeune fille.
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Dorothy Salisbury Davis (P.1956), Né pour tuer.
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— Si cette personne était prise dans une bagarre, quelles chances aurait-elle de l’emporter ?
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— Aucune.
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Tentative de synthèse entre les lieux-communs de la presse du coeur et les poncifs du roman policier. Tentative réussie. Bravo Dorothy !
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Cinéma parlant.
« Le développement du système de production des biens symboliques (et, en particulier, du journalisme, foyer d’attraction pour les intellectuels marginaux qui ne trouvent pas leur place dans la politique ou dans les professions libérales) s’accompagne d’un processus de différenciation qui trouve son principe dans la diversité des publics… » P. Bourdieu.
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Quand Septembre arrive d’Edmond Keossaïan. Des gens bien, ces Arméniens. Se prennent pas au sérieux. C’est pour vendre ou pour acheter. C’est gros. Cela ressemble aux comédies égyptiennes. Pour les autres raisons, film intéressant. C’est gros. L’acteur principal rappelle un peu, en moins fin, l’Italien Toto. Ça joue sur la larme – (genre cancer) et sur l’éclat de rire. C’est vraisemblablement démagogique. Mais j’ai beaucoup aimé l’impression «de peuple à peuple». J’ai le sentiment d’avoir pénétré dans l’intimité des peuples d’Urss. C’est plat ce que je dis ? Ok. Mais vous avez une idée sur le quotidien de la République des «Soviets» (sic), vous ? Bandes de cochons capitalistes ! Et puis le délégué soviétique a dit la même chose que moi. C’est pas les 2, 3 houligans du FRAP qui étaient dans la salle et qui murmuraient «Libérez Paradjanov» qui vont nous faire changer d’avis.
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Les orphelins de Nikolay Goubenko. Annoncé comme le nouveau chef-d’oeuvre du cinéma soviétique. C’est effectivement de l’art pompier. Du meilleur et du pire. Malheureusement, au bout d’un moment, les mômes comme ils sont mignons, cela lasse. Un orphelinat avec des bons pions ? Il est fort question fiction, Goubenko ! Sort simultanément dans douze salles parisiennes.
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L’imprécateur de J.-C. Bertuccelli. Scénario-Bertuccelli & S. Becker & R.-V. Pilhes d’après le roman du même. Photo: A. Winding Musique: R.R. Bennett. Production: Action Films SA (Paris) & Citel Films SA (Genève).
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La musique. Nom de Dieu ! La musique. D’accord les rouleaux, ok le souterrain, mais la statue de la Liberté ! Stephen Becker est un Amerlock spécialiste des «sérials» télévisuels. Philhes semble être un type intéressant. Bertucelli est l’auteur de trois films moyens: Rempart d’argile, Paulina 1880, On s’est trompé d’histoire d’amour. Et d’une saleté, d’une connerie rare : Dr Françoise Gailland.
Ce film sur le pouvoir ne montre que des hommes. Rossery’s and Mitchell a des cadres supérieurs tout genre, technocrates, bons papas, ambitieux, etc. Et la firme et les cadres vont être mis en danger. Par les masses laborieuses ? Non, non, vous n’y êtes pas. Par des fissures dans les colonnes porteuses du bâtiment. C’est dangereux, ça ! Bertuccelli et Pilhes sont intimement persuadés qu’UN homme peut déranger le cours de l’Histoire. Bravo, l’avant-garde bourgeoise ! Au début, on ne sait pas où va aller ce film qui finit par se révéler comme étonnamment sobre. Pas de gauloiseries. Des cadres cyniques, des syndicalistes marron ou jaunes, pas de fausses notes dans la direction des acteurs. Un moment, j’ai ri… tout seul. A cause de la tombe de Galabraith.
Tenret’s Polars Blues.
— J’avais la preuve, étalée là sous mon nez, qu’il était fou à lier mais, large d’idées comme je suis, j’ai fermé les yeux.
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— Comment ça, tu avais la preuve ? Quelle preuve, Ken ?
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— Je l’ai surpris en train de lire un livre, si tu veux savoir ! Parfaitement, je l’ai pris sur le fait ! Oh ! il a prétendu qu’ il regardait seulement les images, mais je savais bien qu’ il mentait. J. Thompson
TWENTY PRESIDENTS.
Margaret Millatr (P. 1957), Le Long voyage, Détective: Mr. Sands.
Mr. Sands s’est retiré en Californie après une vie passée à démêler des affaires criminelles. Il pense que la femme de son voisin a «peu d’esprit à perdre». Son enquête va lui permettre de découvrir que ce voisin est cocu et que sa femme et son amant tentent de le tuer. Mon Dieu ! Quelle horreur ! Miller n’est pas morale, elle est directement catéchèse. Tromper la confiance de son mari, est-ce grave, ma sœur ? Oh Oui.
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Rex Stout (P. 1958), Le rideau tombe, Détective : Alphabet Hicks
Y a du jeu de mot à la feu Gosciny dans l’air. Moyen mais pas désagréable.
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Raymond Chandier (P. 195 8), L’attente.
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Ici pas d’énigme, pas d’histoire, pas de poursuite, quasi rien : une ambiance.
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— Vous aimez Benny Goodman, Miss Cressy ? répéta-t-il doucement.
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— Pas au point de chialer, dit-elle d’une voix blanche… Goodman gagne du fric, et un type qui en gagne honnêtement de nos jours, on doit le respecter.
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Reseck est détective d’hôtel. Les autres étaient tous détectives profession libérale, lui est détective prolo. Il n’est pas très courageux. C’est un homme de la tribu des hommes.
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Chandler est né le 23 juillet 1888 à Chicago. En 1896, sa mère, qui vient de divorcer, et lui partent pour Londres.
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Chandler y passera de ses huit ans à ses dix-sept ans dans un bon Collège où il est externe. Dans certaines de ses lettres (Chandler, Lettres, 10/18 n° 794, tr. M. Doury), il évoque cette période. « J’ai grandi dans un terrible mépris des catholiques, et cela me gêne encore. » (Lettres, 1954) « Quel étrange sens des valeurs nous avions. Quels abominables snobs nous étions ! Ma stupide et arrogante grand-mère parlait de la plus agréable famille que nous connaissions comme de «gens pas très respectables» parce qu’ils avaient deux fils, cinq filles, aux cheveux d’or impossibles à marier et pas de domestique. Ils en étaient réduits à l’humiliation suprême d’ouvrir eux-mêmes leur porte. » (Lettres, 1954).
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Cinéma parlant.
…on peut supposer que la structure fortement synthétique et périodique de l’eskimo serait plus apte à supporter le poids de la terminologie de Kant que son propre allemand. E. Sapir
Enfin un film propre. Le Diable probablement, Bresson. Ainsi, il a fallu que cela soit un vieux con (tous les vieux sont cons) qui nous donne en spectacle nous-mêmes. Un poncif court sur Bresson : On en a marre de ses beaux adolescents ! Débilité ! Les adolescents montrés par Bresson ne sont pas beaux. Du moins pas plus que nous. Regardez ! Ils sont — point. Hérissant chez Bresson la métaphysique de bazar cinématographique, je l’admets. Mais tellement là, la superficialité, la pudeur, l’ennui, le mien et celui de la salle. Les rapports humains superficiels, sur l’écorce, la pudeur des contacts : notre quotidien. Bresson arrive même à rendre supportable l’insupportable et obscène écologie. Bresson, ce sont les vases communicants. On entre vide. On sort plein (comme on dit «saoul »). Les temps morts dans le Diable sont fascinants. Le bus miroir, porte automatique, etc. et qu’importe l’anecdote, le diable sans doute… On peut, pour parler de Bresson, faire jouer les grandes orgues de la culture, de la modernité. Mais ce Bresson-là m’intéresse peu. Paradoxe biscornu : ce que je vis face aux films de Bresson, c’est l’identification Hollywood. Du haut, du bas et du trivial, je ne garde que le trivial. Et cela, c’est la «sécheresse» du montré qui me le permet. Si discours édifiant il y a dans le Diable, je ne l’ai pas entendu… Je fais partie d’une génération (dont je suis le seul membre existant ; elle fut spontanée) qui tente de réunir l’optimisme de la volonté et le pessimisme de l’intelligence. C’est dire si j’ai pu apprécier la présentation du psy-flic, une main dans son tiroir plein de fric et l’autre supposée dans sa braguette. Le docteur Mime, giflé, et j’applaudis à sept mains.
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Alsace-Lorraine de Coluche. Chansons: S. Gainsbourg. Pajak a beaucoup ri. Il a un bon fond. Il est grand public.
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Valentino de Ken Russel. Il m’est difficile de parler de ce film parce que je me suis identifié (encore !) avec une telle avidité au héros que j’en ai perdu toutes possibilités de discernement. Comment s’appelle l’inventeur de la pilule ? Quel grand homme !
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L’Ombre des Anges. Je suis sorti de la salle complètement baba. Je le suis toujours. Et amoureux de mon intouchable voisine. La vie, ça va ça vient. L’Ombre, c’est tellement intelligent. Deux jours plus tôt, j’avais séché pour écrire ce que Schmidt montre limpidement. J’avais séché sur cette sous-merde de Valentino. Racisme, sexe, etc., tout est là.
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— Grande?
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— Au moins vingt centimètres.
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— Grosse?
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— Très grosse ! Comme une bouteille de bière.
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Fassbinder, t’es mon pote. T’as sorti Schmidt de l’ornière esthétique et kitsch dans laquelle il se complaisait. Renato Berta, t’es un type bien. Tu sais filmer une gueule. Quant à toi Schmidt, je jette ma casquette à terre et la piétine. Coup de chapeau final. Je te cite, bouche bée et cousue. « Je n’aime pas les films sur le fascisme des années 30 ; ils relèvent d’une sorte de «kitsch social», insupportable. Le fascisme est là, et il n’est pas seulement la somme des réactions irrationnelles de l’homme moyen… L’homme sans peur me fait peur, la peur est l’un des sentiments les plus profonds en nous, et des plus riches dans ses variations… Je connais les trente pièces de Fassbinder, je peux dire que l’Ombre des anges est son plus beau texte. »
Tenret’s Polars Blues.
Une lettre ! J’ai reçu une lettre !
Cher et néanmoins estimable «TENRET»,
Me permettez-vous, au nom de quelques camarades, de vous faire part de quelques remarques que nous inspirent les quelques articles dont vous avez bien voulu honorer l’hebdomadaire Chut ?
Le gag (ou anti-gag ?) qui consiste à critiquer (ou à anti-critiquer ?) un livre désormais introuvable, ceci dans l’intention, sans doute salutaire, de lutter contre la course infernale aux nouveautés, nous a fort amusé… au début. Mais attention ! Ne systématisez point un anti-système ! Vous avez trop de talent pour vous limiter à une illisibilité de bon goût (universitaire ?). Krazianev n’a-t-il pas écrit dans « Levain des peuples » Gallimard 1948 (introuvable): «la communicabilité « force révolutionnaire » n’éclatera que si elle-même fille du dialogue, elle devient communicante»
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Bien à vous !
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Patrick Bertholet
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4, rue des Asters
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1200 Genève
TWENTY PRESIDENTS.
CHANDLER R. (suite)
Entre 1905 et 1912, Chandler passe une année en France, une en Allemagne, prépare l’examen des Affaires étrangères, est reçu et passe six mois à l’Amirauté. Ensuite, il habite Bloomsbury et écrit des articles pour divers journaux. En 1912, il retourne en Californie jusqu’en 14. Il passera la guerre dans les Canadian Gordon Highlanders et en 1918 dans le Royal Flying Corps. Il est démobilisé en 1919 et rejoint la Californie avec sa mère. « J’ai eu bien du mal à gagner ma vie. Une fois, j’ai travaillé dix heures par jour, pour vingt cents de l’heure, à récolter des abricots. Une autre fois, j’ai travaillé pour un fabricant d’articles de sport, à corder des raquettes de tennis pour 12,50 dollars la semaine de 52 heures. J’appris tout seul la comptabilité. (En fait, Chandler assimila en six semaines un cours de comptabilité de trois ans). Ensuite, mon ascension fut aussi rapide que celle d’un séquoia. J’avais horreur des affaires, mais je réussis cependant à devenir un personnage important dans une demi-douzaine d’affaires de pétrole » (lettre de 1950). En 1924 Chandler change de mère. La sienne vient de mourir. II épouse Cissy, née en 1871, donc plus âgée que lui de dix-sept ans. Elle a déjà été mariée deux fois. Et jusqu’en 1932, Chandler ne fait que des conneries. Il devient, entre autre, directeur de compagnies pétrolières indépendantes. Ces compagnies sautent pendant la Dépression et les places de Chandler de même.