Film Kodak TRI-X, Kodak Vision 50T, HDV, télécinéma HD.
Durée : 58’56
Dans les collections du Centre National des Arts Plastiques
Selon une légende lointaine, chaque ancêtre laisse derrière lui un chemin sinueux semé de chants et d’esprits-enfants. Lorsqu’une personne marche le long de la piste de son ancêtre, elle fait resurgir les chants et les histoires de la terre. Et si un enfant naît du voyage, il devient alors l’enfant de ces chants.
Je suis partie en Tunisie et en Algérie recueillir des chants et récits populaires de la Révolution d’indépendance, sur les traces d’un bref souvenir de famille et d’un disque vinyle du groupe anarchiste italien Cantacronache.
LES ROUTES DU FILM
Le film est parti de trois routes qui se sont entrecroisées continûment pendant près de quatre ans pour ne plus faire qu’une seule histoire, celles des militantismes anonymes de la Révolution algérienne.
Au printemps 1960, le groupe anarchiste turinois, Cantacronache, décide de partir en Algérie pour enregistrer des chants de la Révolution et les premiers témoignages de tortures. Grâce aux réseaux militants, ils voyagent de Rome à Tunis où ils resteront un mois, ne faisant que de brèves incursions en terres algériennes. De ce voyage, ils ramènent onze heures d’enregistrements et quelques pellicules 16mm aujourd’hui perdues. Ils publient en 1961 un disque vinyle 33 tours Canti della Rivoluzione algerina.
Au printemps 1977, mes grands-parents maternels, soutiens de l’indépendance de l’Algérie, se rendent à Alger pour un voyage touristique en voiture jusqu’à Constantine. Mon grand-père filme en pellicules super 8 Kodachrome 40, il s’attarde longuement sur le drapeau algérien et sur la vie quotidienne d’un pays qu’il découvre pour la première fois.
En septembre 2014, je rencontre Dahbia Bakha à côté de Saint-Etienne. Suite à un projet de marches que j’avais mené, je commence avec Dahbia de longs échanges enregistrés sur les luttes pour l’indépendance de l’Algérie en région stéphanoise. Les récits de ma famille rencontrent ses souvenirs et l’histoire de sa propre famille, et dans ce geste spontané de tissage en points croisés, elle revient sur mon histoire actuelle. Je vis à Rome et dans la conversation, ce détail ramène le souvenir d’un disque vinyle.
Au début de l’été 2017, je prends la route de Rome à Tunis puis Bejaia, sur les traces de Cantacronache, jusqu’à la maison de Dahbia à Milkat en Kabylie, en croisant la route de mes grands-parents à hauteur de Constantine. Je rencontre et filme d’autres anonymes, on me parle longuement, les femmes chantent leurs souvenirs. À mon retour, Dahbia m’offre deux cassettes audios de ses chants et poèmes.
AUTOUR DE LA TABLE
En me mettant au montage, je savais que le film ne suivrait pas une cartographie parfaitement identifiable. Il s’agirait moins de monter une route que de tisser des instants de récits, autour des chants de femmes. A Saint-Etienne, à Tunis, à Bejaia, partout, j’avais rencontré des personnes dont le vécu était proche et qui avaient raconté avec la même chaleur, souvent autour d’un repas. Mon film n’était pas une route, mais une table, autour de laquelle ces anonymes pourraient échanger dans des langues différentes, sans ne s’être jamais parlé.
J’ai enregistré séparément le son et les images pour faire surgir ces moments où un visage accueille plusieurs voix, plusieurs langues, où un même personnage peut être celui qui parle ou celui dont on parle. C’est par l’asynchronie que j’ai voulu incarner les militants anonymes et leurs silences dans le tissage difficile de l’Histoire. Ils ont tous une manière singulière de raconter, avec la même pudeur, le même souci de l’anecdote et la même envie insatiable de transmettre.
J’ai voulu ainsi donner à leurs corps et à leurs voix quelque chose de l’ordre du commun.
Aude Fourel
Contact : audefourel(arobase)hotmail.com