L’Affaire LIP 1973-1974

Film de Dominique Dubosc, 70', 1976
La grève mythique de la manufacture horlogère LIP à Besançon (avril 1973-décembre 1974), plus connue sous le nom de « L’Affaire LIP », a été par l’importance des questions posées, par ses formes d’organisation, par son ampleur et sa popularité, l’un des grands événements sociaux de la seconde moitié du XX° siècle.
Ce film, réalisé sous le contrôle des travailleurs raconte leur lutte de l’intérieur.*
Production : Sonimage – INA – Commission Popularisation LIP (1976)

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Historique du Conflit LIP

Le conflit LIP (manufacture de montres, de mécanique de précision et d’armement), déclenché en avril 1973 par le plan de restructuration de son actionnaire principal (le Suisse ébauches S.A.), se situe à la charnière de deux époques : la fin des “Trente glorieuses” et la longue crise économique ouverte par le premier choc pétrolier et qui aboutira, de concentrations en mutations technologiques, à ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation.
Déjà secouée par de profonds changements (apparition de montres bon marché, purement utilitaires ou ludiques, à côté des montres-bijoux traditionnelles), l’horlogerie risquait alors de rester entre les mains de deux acteurs, les Etats Unis et le Japon, en raison de leur puissance industrielle et de leur avance technologique. La Suisse, un moment dépassée, releva le défi. La concentration et l’organisation nationale de son industrie horlogère, jointe à une forte volonté politique, lui permirent finalement de survivre. Dans cette lutte à l’échelle mondiale, si LIP représentait un atout pour les Suisses (notamment en raison de son image de marque et de son réseau commercial), l’usine de Besançon-Palente et les “Lip” (malgré leurs compétences) ne présentaient qu’un intérêt “marginal”.

C’est dans ce contexte que les travailleurs de LIP lutteront pendant vingt mois pour sauver leur usine et leur emploi – et plus encore peut-être, pour être considérés comme des personnes et non comme des pions sur la scène économique. Le retentissement de l’“Affaire LIP” vient de la combinaison de ces deux aspirations.

LIP a sans doute été le point culminant ou l’image accomplie des nombreuses luttes sociales qui mettaient en avant, dans ces années-là et dans la plupart des pays d’Europe, non seulement les revendications salariales traditionnelles, mais aussi les conditions de travail, la “dignité” du travail et finalement le droit au travail.

Face à un patronat et à un gouvernement particulièrement autoritaires et méprisants, les Lip sont apparus comme les champions d’une société où chacun aurait sa place, comme chaque travailleurs avait sa place dans l’organisation de la lutte.
Autant que pour leur emploi, ils ont fini par lutter pour conserver ce statut de sujets.
Derrière les péripéties de la grève, c’est cette histoire que le film raconte.

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Le conflit LIP peut se diviser en deux grands moments : une période montante (d’avril à août 1973) où le rapport de forces ne cesse de croître en faveur des travailleurs et où ils demandent le redémarrage de l’usine “sans démantèlement ni licenciements” – et une période descendante où le rapport de forces s’effrite inexorablement et ne permet plus (même si les mots d’ordre demeurent) d’espérer la reprise de toutes les activités et le maintien de l’emploi pour tous. C’est au cours de cette seconde période que la revendication d’être traités comme des êtres humains et non comme des pions apparaît sans doute le mieux.

Cette histoire a été vécue par les Français comme un véritable psychodrame.
Alors que l’opinion publique découvre le cynisme du plan de restructuration de LIP, le grand patronat stigmatise uniquement les revendications “irréalistes” des travailleurs et leurs atteintes “irresponsables” au droit de propriété (prise du stock de montres et de certaines pièces essentielles des machines, production et ventes “sauvages” de nouvelles montres, “payes sauvages”, etc.) Il réclame haut et fort le “retour à l’ordre et à la légalité”, mais laisse prudemment le gouvernement seul face aux grévistes.
Le Premier ministre Messmer et son ministre de l’Industrie Charbonnel pensent d’abord pouvoir rétablir l’ordre en bricolant une “solution industrielle” faite de reprises mal assurées des différentes activités de LIP. Début août, ils envoient à Besançon un “médiateur” chargé de négocier le redémarrage du secteur horlogerie, dont il aurait lui-même la charge.
Ce “médiateur”, Henri Giraud, petit industriel sans envergure, apparaît clairement aux travailleurs comme un “pantin” chargé de donner le change et de faire traîner les négociations en longueur en attendant que le conflit pourrisse. Toute la médiation Giraud sera de fait une alternance de promesses et de menaces, de plans à géométrie variable et de coups de force, à commencer par l’occupation de l’usine par les CRS à l’aube du 14 août.

Pour les Lip, mais aussi pour des millions d’hommes et de femmes promis au chômage par le nouvel ordre libéral mondial, le gouvernement s’aligne clairement, par cette action, sur les positions du capital international.

A partir du 14 août (la perte de la “forteresse” que constituait l’usine), les Lip peinent à relancer leur mouvement, l’unité syndicale commence à se fissurer : le drame est noué. Le ton du “médiateur” et du gouvernement se durcit. La popularité des Lip en France et dans les pays voisins reste élevée, mais il est évident que le rapport de forces a changé de camp.
Après le vote et le refus du plan, ou plutôt de l’ultimatum Giraud (12 octobre), la rupture entre la CGT (favorable à la reprise du travail) et la CFDT (favorable à la continuation de la lutte) est consommée. Les Lip entrent dans le “tunnel” : pendant tout l’automne et le début de l’hiver, la lutte ne tient plus, semble-t-il, qu’au courage de quelques-uns. Chaque parole dite en public, chaque tract distribué, est un combat avec soi-même.

Les Accords de Dole (28 janvier 1974) récompensent finalement ce courage et permettent à ceux qui sont encore dans la lutte de retrouver une place dans l’usine (devenue la Société Européenne d’Horlogerie et de Mécanique), qui redémarre sous la conduite de Claude Neuschwander, un ancien cadre de Publicis, soutenu par une partie du patronat “moderne”.
La plupart devront cependant attendre leur réembauche pendant plusieurs mois et suivre des stages de « remise à niveau » qui leur apparaissent vite comme des stages de mise au pas. Le dernier combat des Lip consistera à éviter ce piège.

Le film se termine sur le premier “cours” que les stagiaires se donnent à eux-mêmes, et qui peut être vu comme une métaphore de tout le combat des Lip : une leçon que le mouvement ouvrier s’est donnée à lui-même.

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La version originale, intitulée “LIP ou le Goût du Collectif”, est sortie en salles en avril 1976.
Elle est passée au Festival de Cannes en 1977.

D. D.

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