Où sont les soldats ?

Texte de Peter Snowdon, 2010

Après l’irruption de l’Intifada, j’évitais d’allumer la télé quand les enfants étaient dans le salon. Il me semblait ne voir sur l’écran que des images de violence, de sang. Je n’approuvais pas ce qui se passait. Et je me sentais obligé d’empêcher mes enfants de regarder ce spectacle que je ne cautionnais pas.

A chaque fois que les soldats entraient dans notre village, je réagissais de la même manière. Ils ne devaient pas être là. Je préférais donc que mes enfants ne les voient pas. Notre maison est située un peu à l’écart de la communauté, et en général, cela nous épargne le pire. Il suffirait donc que les enfants restent à la maison, qu’ils ne sortent pas.

Puis, vint le jour où les soldats ont débarqué devant nos portes. C’était vers le milieu de l’après-midi. Je les entendais descendre de leurs jeeps. Ils étaient juste là, en face de la fenêtre de notre salon. Mon fils, Ibrahim, qui à l’époque n’avait que quatre ans, demanda à les voir. D’abord, j’ai refusé. Mais il répéta sa demande une fois, deux fois, dix fois, tant qu’à la fin, j’ai dû céder.

Je le pris et le posai sur le rebord de la fenêtre.

– Voilà les soldats, dis-je. Tu les vois maintenant?

Ibrahim hésita, avant de me répondre:

– Je ne les vois pas.

J’insistai.

– Bien sûr que tu les vois! Ils sont juste là, dehors. Regarde!

De nouveau, il se tut un moment. Puis il se tourna vers moi et me demanda:

– Où sont les soldats?

Perplexe, je me levai et regardai par la fenêtre. Dans la rue qui passait devant notre maison se trouvaient des dizaines de soldats israéliens. Les uns circulaient avec rapidité et détermination, comme s’ils se préparaient à affronter un événement décisif, un moment dont dépendrait, peut-être, le cours de l’histoire. Les autres semblaient traîner là par pur ennui, désoeuvrés, comme si le temps autour d’eux s’était distendu à l’infini. Certains se taquinaient ou racontaient des blagues pour se distraire. D’autres fixaient le sol de leurs yeux vides, le visage verrouillé sur le monde qui les entourait.

Apparemment, pendant que nous prenions le goûter, un régiment tout entier s’était donné rendez-vous dans notre rue.

– Voilà les soldats! déclarai-je en triomphe, et j’accompagnai mes paroles d’un geste violent du doigt, comme si je voulais déchirer le voile que j’avais moi-même tissé devant les yeux de mon fils.

– Mais eux, répliqua Ibrahim sans hésiter, ce ne sont pas des soldats. Ce sont des gens ordinaires, comme nous.

Traduit de l’anglais par l’auteur (www.redrice.net).
Merci à Sophie Henry.

En 2003 Peter Snowdon a vécu quatre mois à Ramallah, où il a réalisé (en collaboration avec la cinéaste palestinienne Rima Essa) un documentaire de commande sur l’eau. Ce texte est extrait de ses carnets de voyage. De son séjour en Cisjordanie il a ramené deux autres films: two thousand walls (a song for jayyous), et Walking through Paradise.

Aucun article à afficher