Jean-Claude Brisseau nous a reçu dans son appartement parisien, où fut presque intégralement tourné La Fille de nulle part. Environnement quotidien du cinéaste, collections diverses, films, livres, photos. Persistance palpable du film, de son climat et de ses scènes. Voix forte de Brisseau. Présence discrète de Lisa Hérédia dans les pièces attenantes. Lieu calme, paisible, propice aux apparitions.
Chronic’art : D’où est partie l’idée d’intégrer, dans La Fille de nulle part, la forme du dialogue philosophique au genre fantastique ?
Jean-Claude Brisseau : Je sortais d’un projet sur la Bande à Bonnot qui n’a pas pu se faire. Frédéric Niedermeyer, producteur d’A l’aventure, m’a alors proposé de faire un petit film qui mélangerait philosophie et ce que je voudrais. J’ai donc écrit le scénario de La Fille de nulle part. Pourtant, si on se place au premier degré, je ne qualifierais pas cette forme de dialogue philosophique – même si de manière générale, tous les films que j’ai pu faire étaient le résultat d’une interrogation sur le sens de la vie. Le personnage que j’incarne écrit un livre sur notre attachement illusoire à un certain nombre de choses qui nous tiennent à cœur (homme, femme, idéologie, religion, carrière). Ce qui est contradictoire, c’est que d’un côté le héros dit qu’il faut dépasser les illusions, quitte à se confronter au vide, et que de l’autre, avec le fantastique, le spiritisme, il se confronte directement à l’inconnu.
Il y aurait deux souffrances, deux impasses : d’une part celle de vivre dans l’illusion, de l’autre de se rendre compte que la vérité, c’est la mort.
Il y a de ça, oui. C’est un certain sentiment tragique de la vie, qu’il m’arrive en effet de ressentir. Et je ne suis pas le seul.
Dans ses grandes lignes, le film parle de la fin d’un deuil, et d’une nouvelle rencontre, d’une amitié. Pourtant vous parlez aussi de meurtre, de mort et de sang.
Etant donné l’âge du personnage, la mort ne concerne pas seulement celle de ceux qu’il aime mais la sienne propre. Mais on peut dire aussi que quand on se détache, c’est-à-dire quand on dépasse les illusions, on meurt à soi-même. On trouve le vide. J’évoque ça avec le personnage qui se pend après mai 68. Finalement, si on s’attache à des choses, c’est directement lié au social. Il n’y a pas d’autre raison que le social. On réagit en fonction de l’image que l’autre renvoie de vous. Sartre disait que l’image de l’amour lui avait était donnée par une statue. Statue construite par des hommes. Les attachements sont tous narcissiques du fait qu’on soit tous humains.
Aimer, quelque part, ce serait aussi tuer ou se faire tuer. Dans Psychose, le meurtre de Janet Leigh serait l’expression ultime du désir de Norman Bates ?
Oui. D’ailleurs, puisqu’on parle de Psychose, si Gus Van Sant a raté son remake c’est en partie parce qu’Anne Heche n’est pas désirable pour deux ronds, notamment dans la séquence de la salle de bain. D’ailleurs je ne sais pas ce que vaut Hitchcock, je ne l’ai pas encore vu – Scarlett Johansson me semble plus désirable, quoique trop jeune pour le rôle.
Avec La Fille de nulle part, il ne nous semble pas que vous ayez si directement évoqué Psychose, depuis La Croisée des chemins.
Ah bon, La Croisée des chemins ?
Oui : la grande maison inquiétante, où vit seul votre oncle Lucien Plazanet, qui s’habille en femme et porte des perruques, et puis l’idée d’une menace qui plane…
Ah c’est vrai… Mais dans La Croisée des chemins l’atmosphère est moins terrifiante que poétique. Parce que je ne voulais pas foutre la trouille dans ce film.
Si La Fille de nulle part contient des éléments fantastiques, ne serait-ce pas, au fond, parce que s’attacher à quelqu’un c’est se laisser hanter par lui, à tout le moins par l’hypothèse de sa disparition ?
Oui. J’avais un camarade d’enfance qui est mort soudainement à treize ou quatorze ans, dans une cour de récréation. Sa mère n’a jamais pu supporter, et elle en est morte. Observez Victor Hugo : s’il a commencé à faire tourner les tables, c’était pour retrouver l’âme de sa fille Léopoldine. Dans Demain dès l’aube, c’est comme si la fille était là, présente. Personnellement je crois que nous avons une vision partielle du monde. Je crois en l’existence, non pas forcément de fantômes tels qu’ils se présentent dans le film, mais pour reprendre le mot de Cocteau, « de choses derrière les choses ».
Dans vos films, le fantastique vient souvent du fond de l’image : un pan de décor s’ouvre et le fantôme se dévoile dans la profondeur de champ, comme s’il avait toujours été là, caché dans l’image. Si l’irrationnel vient du fond de l’image et non pas, par exemple, du bord du cadre, est-ce qu’on ne pourrait pas dire la même chose des corps, en tant qu’ils renferment toujours, au sein même de leur réalité physique concrète, la grande Inconnue ?
Je vais vous livrer le principe de ma raison. Vous remarquerez qu’il y a très peu de gros plans quand je filme des corps nus. Ce qui m’intéresse, à tout le moins dans mes films précédents, c’est le mouvement des corps en général, et de la montée du plaisir et/ou de la jouissance en particulier. Or pour cela il faut les filmer, et donc avoir du recul. Sur Les Anges exterminateurs, je voulais faire une sorte de travelling sur les filles nues, mais le décor qu’on avait prévu ne collait pas, parce qu’on ne pouvait pas mettre les rails. La caméra cognait contre le mur. On a été obligé d’aménager complètement la scène pour la mettre dans un autre décor, dans lequel le travelling était possible. Le principal, c’était d’obtenir le mouvement de certains corps, en particulier ceux des femmes. Vous remarquerez au passage que dans La Fille de nulle part, il y a très peu de nus. Dans mon prochain scénario, qui est fini, il y a une scène érotique – parce que je ne suis pas tout à fait content de ce que j’ai pu faire dans les films précédents, quand ils traitaient de ces questions-là. Cette scène, ce sera pour moi la toute dernière du genre.
Pourquoi ?
Un producteur m’a dit un jour que tout le monde avait le droit de filmer des scènes érotiques sauf moi. « Parce qu’on peut machiner des trucs contre toi, m’a-t-il dit. Tu es tellement naïf que tu tomberas dans le panneau à chaque fois ». C’est possible.
Dans La Fille de nulle part, le travail d’acteur a été très difficile pour vous ?
Un enfer. Ce n’est pas moi qui devais jouer le rôle, au début, mais un ami, qui malheureusement était indisponible tous les jours. Déjà, je déteste ma tête. Quand on me demande des photos de moi, je n’en ai pas. Je ne suis jamais photographié, même en privé. Là il fallait en plus que j’apprenne un texte par cœur. Mais l’important c’était Virginie Legeay (actrice dans Les Anges exterminateurs, assistante de Brisseau, ndlr). Moi que je sois moche ou pas, je m’en foutais. Toute la mise en scène est partie d’elle.
Le film fait un peu penser, parfois, à Autoportrait de décembre de Godard. Il se filme chez lui, et filme aussi ses collections de VHS, en même temps que des reproductions de tableaux, et des citations. Il filme des accumulations, des stockages, comme s’il avait la volonté de tout posséder, de tout conserver en un seul plan. Derrière le fait de filmer vos collections, pour vous, il y aurait une hantise de la perte ?
Non, je ne pense pas. Je ne connaissais pas l’existence de ce film de Godard. Le personnage que je joue est attaché à ces choses, c’est pour ça que j’ai tourné dans cet appartement-là, avec tous ces portraits de comédiens morts depuis plus d’un demi-siècle, des tas de films, des bouquins… En y réfléchissant, on pourrait dire qu’il y a quelque chose de La Chambre verte, dans lequel Truffaut constate que toutes les choses, livres et autres, qui l’entourent, concernent des personnes mortes. Ici, chez moi, c’est pareil, pour la plupart des films et des livres. Mais ce que mon personnage voudrait bien, justement, c’est pouvoir se détacher de ces choses, pas seulement de ce qu’il y a sur ses étagères, mais de se détacher de tout.
Donc il y a quand même de la mélancolie chez lui. Il est mélancolique, et lutte pour ne plus l’être.
C’est vrai qu’à ce niveau-là, le personnage me ressemble. Je suis un peu mélancolique. La Fille de nulle part, c’était à l’origine pour la petite Virginie… Du fait d’un différend entre nous, je me retrouve à faire la promotion tout seul, alors que le film était fait pour elle, pas pour moi. Et même si elle n’a participé ni au scénario, ni à la mise en scène, elle m’a beaucoup aidé. D’autant que je ne m’attendais pas à un tel accueil du film (Léopard d’or à Locarno 2012, ndlr). Oui, ça me rend triste. Mais même, la plupart des films que j’ai faits, et en particulier La Croisée des chemins, c’est d’une mélancolie assez grande. Presque au sens clinique.
On ne s’est jamais vraiment remis du geste du gamin à la fin de De bruit et de fureur, à cause de la noirceur.
Vous savez, à propos de La Fille de nulle part (je vous parle de ça parce que c’est pareil dans De bruit et de fureur) on m’a demandé pourquoi les deux filles s’embrassaient. J’ai répondu : 1. que c’était un fantasme du personnage qui les regarde ; 2. que ce dernier était fasciné par l’image de sa mort, de sa propre mort. Dans De bruit et de fureur, le moment où le môme se tire une balle dans la tête, on voit en même temps le corps d’une femme nue. La mort, associée au féminin et à l’érotisme, me taraude, c’est une évidence.
On trouve chez vous ces deux tendances : d’un côté la confrontation au mystère du corps, purement physique (en l’occurrence, dans les films précédents, celui de la jouissance féminine) et de l’autre au mystère de l’âme.
Les deux éléments sont parfois contradictoires d’ailleurs. Mais si jamais vous trouvez quelqu’un qui a réussi à trouver une réponse au problème complexe de la jouissance féminine, vous me donnerez son nom. Il y a toujours quelque chose d’assez étrange et obscur derrière tout ça.
Dans A l’aventure, vous juxtaposez ces deux tendances en mettant deux gestes en parallèle : le spasme sexuel (cambrement) et l’arc hystérique.
Ce que je voulais faire avec mon héroïne, dans A l’aventure – sans être parvenu à aller jusqu’au bout – c’est d’aller « voir ce qui se passe ailleurs ». Que la fille arrive à une sorte de jouissance quasi absolue, en tout cas extrêmement grande et violente, en ayant l’impression d’être dans un monde complètement différent. Et que quand elle revient sur terre, elle veut repartir.
Pour vous, transgresser c’est transgresser l’ordre établi, mais c’est aussi transgresser les lois physiques ?
Tout au moins ça implique la volonté de ne pas vivre dans un monde, y compris physique, qui soit conforme à tout ce qu’on raconte. Le domaine scientifique et les expériences mystiques que certaines personnes ont eues sont extrêmement intéressants à ce sujet. Quand on lit ce que Sainte Thérèse d’Avila raconte de ses extases, c’est assez hallucinant.
Ses visions, telles qu’elle les décrit dans son autobiographie, sont parfois très sexuelles…
Elle n’était pas dépendante d’un objet humain, ou quel qu’il soit. Alors que nous, nous sommes dépendants de quelque chose. C’est entre autres pour ça que je me suis intéressé au plaisir féminin. On ne jouit pas comme ça, sans bouger.
Qu’est-ce que La Fille de nulle part, dans lequel vous jouez, et qui se passe chez vous, aurait à dire de vous, Jean-Claude Brisseau ?
Vraiment peu de choses. Ce personnage ce n’est pas moi. Le seul héros masculin qui pourrait être moi, dans mes films, c’est Stanislas Merhar dans Les Savates du bon Dieu. Bien sûr, dans La Fille de nulle part je dis des choses que je pense, par exemple quand je dis que je n’aime pas cet endroit, cet appartement, c’est ce que je pense. J’étais plus heureux dans mon HLM, où je suis né.
Dans ce film vous faites passer le spectateur, de manière parfois très brutale, d’un état émotionnel à un autre, chose commune chez vous. Mais dans De bruit et de fureur, par exemple, le mélange des genres appuyait en bout de course une noirceur globale, et croissante. Cette fois, ces mélanges, ces ruptures brutales ne perturbent pas la marche tranquille du film. La Fille de nulle part contient des pics émotionnels très accentués mais le film retrouve toujours un sang-froid, une placidité qu’il garde jusqu’au bout…
C’est peut-être pour cela que certains ont qualifié le film comme étant plus apaisé que mes précédents. D’ailleurs même à des endroits du film où les gens ont peur dans la salle, si on regarde bien, il y a encore là quelque chose de comique.
Pouvez-vous nous parler de la scène horrifique du fantôme au couteau, qui surgit dans la pièce où nous nous trouvons en ce moment même ? Parmi les plus terrifiantes qu’on ait vues depuis longtemps au cinéma.
A ce point-là ?
Complètement. J’irais même jusqu’à dire que pour un spectateur jeune, inexpérimenté, cette scène peut avoir quelque chose de traumatisant…
(la femme de Jean-Claude Brisseau, Lisa Hérédia, entendant ce qu’on vient de dire, entre dans la pièce en riant, ndlr)
Vous riez ?
Lisa Hérédia : Oui, parce que quand on l’a tournée c’était très drôle, c’était une petite stagiaire avec un drap sur la tête et deux trous pour les yeux.
JCB : Le dispositif était simple. Mais sur la mise en scène, c’était assez préparé. Pour cette scène-là j’ai commencé par accentuer la vie quotidienne, un couloir, des gestes communs, et puis d’un coup j’entends un bruit bizarre. Ce genre d’étrangeté remonte à ma propre enfance de spectateur. Je sentais, sans être capable de me l’exprimer, que si la séquence durait, c’est qu’il se passerait quelque chose. C’est pareil ici.
Cette séquence dure, on se demande quand va arriver la chute, et même on commence à douter que cette chute arrivera, puisque nous sommes dans une incertitude – sans doute en partie due au travail sur le mélange des genres. On finit par se persuader que la séquence est finie. Et alors vous nous faites cette blague, féroce, épouvantable : la chute arrive vraiment.
Oui, c’est ultra simple sur le fond. Tout le film est comme ça : ultra simple. C’est de la mise en scène, du montage. On peut arriver à foutre la trouille avec rien.
Comment est venu le choix de Mahler pour la musique du film ?
Par hasard : je me demandais quelle musique utiliser pour mon film, j’avais ce disque, je l’ai écouté. Quand c’est un musicien, il écrit et on regarde ensemble, mais généralement je cherche la musique qui correspond le mieux au film, je me pose devant ma collection de disques, à la campagne, j’en choisis quelques-uns et je les mets en faisant défiler le film, dans ma salle de montage. Et là je vois si ça marche ou pas.
Jean Musy a signé la musique de beaucoup de vos films, et puis pour Choses secrètes, ce n’est plus lui…
En effet, je ne sais plus ce qui s’était passé. En dehors de toutes les musiques baroques qu’on peut entendre dans ce film-là, j’en voulais une autre : l’Adagio qu’on entend dans Platoon. Or c’était trop cher, 360 000 francs, et le musicien du film était incapable d’écrire quelque chose qui ressemblait à ça. Je ne regrette pas la musique religieuse que j’ai finalement choisie, du Vivaldi, qui correspond au sens du film. Mais quand même, l’Adagio de Platoon donnait une tonalité, une force vraiment différente.
Comment s’est fait le choix de la Passion selon Saint Jean, qu’on entend au début de Choses secrètes ?
Je l’ai choisi parce que Bach donne une dimension beaucoup plus vaste, d’un point de vue historique, au film. Mais dans une version qui n’est plus à la mode, une version plus lyrique, celle de Karl Richter, enregistrée dans les années 60. En général, sur le plan émotionnel, la musique donne quelque chose que l’image ne donne pas. On m’a dit, à propos de Céline, « Pourquoi tu as mis cette musique, à un moment où la poésie passe par l’image ? L’échelle de plan suffit, la musique fait pléonasme ». Or selon moi pas du tout. Elle donne une sorte de grandeur mystique et sidérale que l’image seule ne donne pas.
Le fait que Victor Hugo ait fait tourner les tables vous a beaucoup intéressé ?
Oui, mais j’ai pratiqué cela bien avant de savoir qu’il l’avait fait lui-même.
Dans La Fille de nulle part, à une exception près, on ne sait jamais vraiment si les fantômes sont véritablement à craindre.
On m’a fait remarquer qu’il était étrange que les personnages n’aient pas peur pendant les apparitions. Or ayant moi-même eu des expériences avec table en mouvement, je n’ai jamais eu peur. Moi je fais ça en plein jour. Et d’ailleurs, les tables tournantes, je les engueule. Mais il faut faire attention au lieu. Par exemple, ici, dans cette pièce (où a été tournée la séance de la table, dans le film, ndlr), il est impossible de faire tourner les tables. Observez autour de vous et dites-moi pourquoi. (on regarde, on ne voit rien, ndlr). A cause du plancher. Il y a des voisins en dessous, et quand la table bouge, ils gueulent. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté le spiritisme, dans mon HLM : à cause des voisins du dessous.
Quelles sont les autres raisons ? On a du mal à imaginer qu’ayant eu des expériences surnaturelles pendant une assez longue période, on s’arrête comme ça, comme par lassitude.
C’est vrai que c’est assez extraordinaire. C’est vrai… J’ai vu une table se projeter contre un mur et tout démolir comme dans le film. Je connais des gens qui ont réussi à faire monter un piano d’un étage. Comme ça. Mais vous savez, comme on dit, des gens ont du « fluide », d’autres pas. Ma femme Lisa en a. Mon oncle, l’acteur de La Croisée des chemins, aujourd’hui mort, en avait beaucoup. Et puis oui, je me suis lassé.
Avez-vous eu déjà l’idée de filmer une séance ?
Non, jamais. Lorsque j’ai fait ça, c’était avant les caméras vidéo. Avec les caméras super 8 vous avez trois minutes d’autonomie. Ça coûte trop cher.
Concernant les mélanges sociaux et fantastiques : Les Misérables, que vous évoquez à de nombreuses reprises dans le film, peut aussi se lire comme un roman fantastique, pleins de fantômes, de revenants. Jean Valjean y est même enterré vivant. En outre les personnages sont contraints de se faire illusionnistes pour survivre à la société illusoire. Ils se déguisent, changent de têtes, de noms…
On est tous contraints de faire ça. Mon oncle comédien disait qu’on joue tous un rôle dans la vie, qu’on est tous comédiens. Jouer un rôle, je vous avouerais qu’avec le temps, j’en ai marre… C’est une des raisons pour lesquelles je ne me prête plus à des choses trop vaines, relations factices, soirées, toutes ces choses pour se faire connaître. De toute façon on aura tous disparus dans un siècle. Dans quelques millions d’années, qu’est-ce qui restera de nous ? On vit dans une illusion. Se faire reconnaître, ça sert à rien. J’ai été content de faire des films – quoique ça m’ait rendu plus souvent malheureux que je n’aurais pensé, notamment sur ce film, à cause des problèmes dont je vous ai parlés. Mais à quoi bon…
Que vous évoque le ciel étoilé ? C’est une figure récurrente chez vous (La Fille de nulle part, mais aussi Céline, Les Anges exterminateurs, A l’aventure), comme chez Hugo d’ailleurs.
C’est pour moi l’énigme de la condition humaine. Et aussi quelque chose de poétique, puisque ça nous renvoie au monde à quatre dimensions. Comme l’étoile la plus proche est à quatre années lumière et demie de nous, il faut quatre années lumière et demie pour que sa lumière nous parvienne. Donc le ciel, c’est également une image illusoire. C’est quelque chose de simple, aussi. Les enfants regardent les étoiles.
« J’aurai l’air d’être mort mais ce ne sera pas vrai » : c’est par la fin du Petit Prince que finit De bruit et de fureur…
Oui. Et puis vous savez, le ciel étoilé, je le filme souvent sur une toile peinte.
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Entretien initialement paru dans Chronicart, 2013
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