Avec Berger&Berger au 104 – 5 textes – II.

Textes d'Yves Tenret paru dans Social-Traître n°7, été/automne 2009.

The Big Sleep.

J’ai ouvert les yeux ; je les ai refermé ; je les ai rouvert plus lentement. Je n’ai pas eu peur. J’étais au paradis… C’était comme dans la partie centrale du poster que j’avais dans ma chambre d’enfant, un poster géant que mes parents m’avaient ramené d’un voyage qu’ils avaient fait sans moi à Madrid, un triptyque d’un vieux peintre flamand très connu pour ses enfers, et ses univers fantastiques. Vous le connaissez ? Tout le monde le connaît ! Jérôme Bosch, vous le connaissez, non ? Un paradis de Jérôme Bosch. C’est vrai : tout le monde parle toujours de ces enfers mais qui connaît ses paradis ?

J’étais couchée dans une herbe épaisse, à côté d’une marre et dans mon champ de vision tout était fleuri, luxuriant, sauvage. C’est le soleil sur mon visage qui m’avait réveillée. Il devait être six heures du matin. Je me suis redressée sur mon séant. Ma tête ! Tout tournait. Une symphonie de couleurs violentes, des coquelicots magnifiques, des roses trémières à profusion, des géraniums sauvages à exhalaison entêtantes, des armoises à odeur d’absinthe, des très grandes mauves, des buddleias violacés, des oreilles d’ours grises et poilues et des océans de fougères. J’ai à nouveau fermé les yeux. Ça pulsait toujours autour de moi. J’entendais le pépiement des oiseaux : des fauvettes, des mésanges, des pinsons… Je devinais les lézards, les hérissons, les escargots. Mais où étais-je ? Je sentais la forte présence de toute une vie animale. J’étais couchée, toute habillée. Je me suis mise sur le côté. De l’autre bord de la marre, des chats à l’allure bizarre me scrutaient. Certains étaient efflanqués, d’autres exceptionnellement gras. Etais-je dans un cimetière ? Au Père-Lachaise ? Mon jeans était coincé de travers et me déchirait les hanches. J’ai roulé doucement de côté sur moi-même jusqu’à un érable sur lequel je suis peu à peu arrivée à m’appuyer. Qu’est-ce qui se passait ? Pour calmer mon agitation intérieure, j’ai essayé de respirer très lentement, vieille technique apprise à mes cours de yoga. Au bout d’un moment, ça a marché. Au loin se devinaient toute une agitation humaine très dense, un brouhaha de voix et un rythme lancinant et monotone.

Un crapaud a sauté au-dessus de mes jambes. Etais-je devenue folle ? Qu’ai-je fait hier soir ? La Ceinture verte, était-je dans un tunnel de la Ceinture verte ? J’habite dans le treizième entre la Poterne des Peupliers et le Parc Montsouris. Est-ce que j’avais picolé et que pour d’obscures raisons je m’étais retrouvée sur les Maréchaux ? Non. Ça ne devait pas être ça. Je ne supporte pas l’alcool. Normalement je ne bois pas et les rares fois où je le fais le lendemain j’ai toujours mal au crâne alors que là, bien que faible, je n’avais pas de migraine. J’étais faible, anémiée, vide de toute énergie vitale mais je n’avais pas le casque ! Je sentais confusément qu’il y avait quelque chose de très important dans cette idée de casque. Casque, casque, casque ! Mais qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Je n’arrivais pas à me concentrer. J’étais trop faible. Fallait que je mange quelque chose. Ou que je dorme encore un peu. Je me suis laissée glisser dans le trèfle et les mains coincées entre les cuisses, la joue sur un tapis de mousse, j’ai sombré tout de suite dans un sommeil profond.

Pourquoi cette fouine voulait-elle rentrer dans ma poche ? Où était-ce une souris ? J’étais certaine que ce n’était pas une vipère car c’était chaud et un peu humide. J’ai ouvert les yeux d’un coup net. Il s’est reculé en riant. Il avait douze, treize ans, portait des guenilles et ses cheveux frisés étaient constellés de débris de toutes sortes.

– Je ne voulais pas te voler ! Je voulais juste mettre à l’abri ce que tu pouvais avoir de précieux. Personne n’a le droit de venir ici ! Tu le sais ?
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– Pourquoi ? C’est quoi ici ?
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– Dingue ! Tu ne sais pas où tu es ! Qu’est-ce que t’as pris ? Ça se vend où ? T’en as encore ? Tu m’en passes ?
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– Mais de quoi tu causes ? Je n’ai rien pris ! En tout cas, je ne m’en souviens pas…
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– Comment ça se fait que tu n’es rien dans les poches ?
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– Ça te regarde ?
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– Fais pas ta morue ! Parle-moi pas comme ça. Moi c’est Joseph. Je suis ton ami. Viens ! Lève-toi. On va avoir un max d’emmerdes si on te trouve ici vautrée en plein milieu du Purgatoire du Troisième Jour. Il faut qu’on parte vite avant que quelqu’un n’arrive. C’est un espace sacré ici !
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J’ai suivi son regard. Il y avait un mur, un putain d’authentique mur, un mur en briques brunes tapissé d’espaliers de vigne aux fructifications grêles et poudreuses.
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– Tu piges vite toi ! C’est pour les prêtres, rien que pour ses gros nases. Des orthodoxes ! Les Arméniens, ce n’est pas des marrants. S’ils nous choppent là, ils vont nous crucifier ! Leur vin, ils y tiennent plus qu’à eux-mêmes !

Il me tira sur les pieds, m’empoigna fermement la main et m’emmena avec lui de l’autre côté de la marre où j’avais aperçu les chats. Avec deux bâtons, il écarta des ronces et nous rampâmes sous un buisson. Au bout d’un temps qui me parut horriblement long, il rabattit une grille et nous arrivâmes dans un boyau juste assez large pour qu’on puisse y progresser à quatre pattes. De là, nous passâmes dans un couloir immonde, nous enfonçant dans des déchets pourris et faisant fuir une colonne de rats devenant nous. Nous débouchâmes enfin à l’air libre devant un plan d’eau saumâtre où nous fûmes assailli par une odeur acre provenant d’ailantes d’au moins vingt mètres de haut et qui avaient poussé dans tous les sens avec une véhémence inouïe. Un petit pont de planches vermoulues nous permit de traverser ces douves.

– T’es vraiment pâle. Faut qu’on te trouve quelque chose à grailler. Y a une bamboula d’enfer chez les chibani. On va y faire un saut ! Ça n’a pas encore commencé ou tout juste…
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– Ça me revient petit à petit. J’étais stagiaire. En quelle année, on est ?
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– 2048. Pourquoi ? Qu’est-ce que t’en as à foutre de l’année ?
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– Parce que hier soir, je me suis endormie en 2008 ! Voilà pourquoi.
Il me regarda avec commisération :
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– La pauvre, pauvre fille. Tu me raconteras tout ça tout à l’heure, ok ? Parce que là on est à la bourre, on a du chemin à faire !

Effectivement, ce fut hallucinant, un vrai trip dans un Piranèse, souterrains, ponts suspendus, trous dans les murs. Mais je n’ai pas le temps de vous raconter tout ça. J’ai peur d’être folle !
A un certain moment, on a croisé de plus en plus de gens qui se saluaient entre eux. Et on a fini par pénétrer dans une grande salle où les jeunes garçons présents se sont mis à vanner à mort Joseph et à multiplier les salamaleks ironiques. C’était la première fois qu’il venait accompagné de quelqu’un et comme c’était avec une jeune femme… Par moment, il rougissait tant leurs propos étaient crus. C’était touchant.
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Cette très grande salle était aussi haute que large, sans fenêtre, charbonneuse, décorée d’étoffes vives et sur le sol complètement recouvert, il devait y avoir dans les deux cents paillasses. Beaucoup de femmes et d’enfants. Nous nous laissâmes tomber dans un coin discret et plus personne ne fit attention à nous. De lourds plateaux couverts de makrouts fourrés aux dattes, de galettes de semoules, de beignets, de crêpes, de babouches au beurre de peanuts, de bakklawas aux noix, de biscuits au sésame grillé et au safran, bref, du sucre, du sucre, et encore du sucre. Quel cauchemar ! Et moi qui avait tant envie d’une boite d’anchois ou d’un plat de sardines grillées ! Je me suis néanmoins consciencieusement gavée et ça m’a bien requinquée.

Ils se sont mis à faire brûler de l’encens, à agiter des bannières et à taper sur des tambours. Joseph me montra une femme trônant assez loin de nous.
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– C’est pour elle cette fête ! Elle a une baraka extraordinaire.
Une troupe de musiciens s’installa à ses pieds. Le plus âgé accordait son luth à trois cordes. Dans la salle des hommes chantonnaient à voix basse et martelaient le rythme en entrechoquant deux verres de thé. Les pipes de kif circulaient. Un mouton fut traîné au centre de l’espace et un étrange personnage entièrement drapé de rouge se mit à tourner autour de lui. Les visages devenaient graves, les enfants, plus attentifs.

Al Afo Rijal Allah ! Ô hommes de Dieu, délivrez-nous !
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– C’est le sacrificateur, me murmura Joseph. Il purifie l’animal. Ça aide à la venue des génies.
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L’espace était enfumé par des braseros de benjoin et je commençais à somnoler. C’est pour cela que normalement je ne fume jamais de shit. Immanquablement, ça me fait roupiller.
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– Le benjoin purifie, m’affranchit Joseph. Il calme le mental et favorise la contemplation. Il chasse les idées noires et les tendances dépressives. Il éveille l’enthousiasme et la bonté.

Quel taré de baba, ce Jo ! On nageait en plein New Age là ! Et cette manie de tout expliquer, c’est d’un pesant !

Des servants déposaient de grandes bassines de lait aux quatre coins de la pièce pendant que des femmes nous aspergeaient d’eau de fleurs d’oranger. Le rythme de la musique s’accéléra. Le sacrificateur passait longuement son couteau à travers les volutes d’encens. D’un coup j’eus la sensation d’être aussi fraîche et pure que de l’eau de source. On me repassa une pipe de kif. Trois adeptes dansaient. Le grand derviche trancha d’un geste souple et sans à-coup, la gorge du mouton puis en recueilli le sang dans un bol. L’un des danseurs, brusquement possédé, se jeta sur l’animal encore secoué de spasmes. A même la plaie, il but goulûment. Il avait les yeux hagards, le corps secoué de frissons et le visage couvert de sang frais. Je fermais les yeux.

Al Afo, Al Afo !
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– Ce sont des appels à la délivrance et à la protection par les djinns, me marmonna Joseph à l’oreille.
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Le son aigre de l’instrument, la voix d’un chanteur, la reprise de la mélopée par le chœur, le long balancement paisible des uns et des autres… Et au milieu de tout ça : un possédé ! Peu à peu, en se balançant au rythme du chant, il s’était apaisé. La figure à présent rayonnante, il pointait les mains vers l’azur et tournoyait comme porté par les youyous des femmes.
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La musique reprit. Elle avait quelque chose d’hypnotique. Bam badaboum, un mince filet de voix, un chœur dense, ça montait lentement, très lentement, bambadaboum. Comme un dandinement. Le temps pour soi, du temps à revendre, tout le temps qu’il faut. Ça s’accéléra un peu, juste les instruments, une caisse de résonance, une onde et le cliquetis du métal. Il n’y avait pas de netteté, de note précise. C’était tout en nappes, à 80 cm du sol, ni grave, ni aigu, sourd, continu, profond. Ça n’avait ni début ni fin. Ça appelait les esprits au partage, vibrait doucement, submergeait. Plutôt que dans la bouche ou dans les mains ou dans les pieds, c’était dans la poitrine et dans le dos, d’avant en arrière, osciller et à force d’osciller n’être plus là ni nulle part. Le chanteur lança sa supplique, le chœur la reprit. Tatatah ! Ça aurait pu durer toujours comme ça sans que jamais on n’éprouve aucune lassitude. Il ne chantait plus. Le tchack-tchack continuait. Le rythme changea. D’autres djinns étaient convoqués. You badi oubada et ça se répétait, ça se répétait. Pipe de kif sur pipe de kif. Ça claquait des mains. You badi, you badi. Le rythme s’accéléra. Je ne savais plus si j’étais là depuis une heure ou sept, ou huit … Jo, appuyé sur mon épaule, dormait.

Le chanteur donne de la voix, le chœur se réveille, passe en force. Aie Sidi Mohamed… La Illah Il Allah La Ilah Il Allah. Purée, ils ont fini de digérer ; ça y va ce coup ci ! Joseph, réveillé, semble ronronner. C’est devenu précis, sec, rapide. Ça monte… Le rythme change à nouveau. On dirait du morse. Une autre spirale ! Les enfants les plus jeunes se sont tous endormis ; certains vieillards aussi. On tape dans les paumes. Ça ne bavarde plus. Ça ne lutine plus. Le chanteur débite à toute vitesse ses sourates. Le chœur suit. Ça tient de l’hélicoptère qui décolle. Ça vrille. On freine, on redémarre encore plus carré. Da da da ! Un temps… Da da da ! Ça se calme, longue descente…

De puissants rots se font entendre dans toute la pièce. La séance arrive à sa fin. On nous sert de la semoule, des légumes, de la viande. Au grand contentement de nos hôtes, Joseph et moi nous empifrons avec entrain.
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Je venais de téter avidement l’embout d’un narguilé. Je me mis à hoqueter. C’était très douloureux. Je m’éloignais loin dans le couloir. D’un coup, ça se débloqua. Je vomis debout, à longs jets. Ça me rendit euphorique. J’allais vers les gens pour fraterniser avec eux ! Bien sûr eux fuyaient. J’avais des crampes, mes sphincters lâchèrent. J’eus juste le temps de m’accroupir.
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Joseph, avec un bout de tissu mouillé, me lava la figure et les fesses. Puis jeta ma culotte derrière un mur et referma mon pantalon. C’est sûrement comme ça que doivent naître les longues amitiés.

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Et nous voilà reparti dans cette cathédrale en ruine.
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– Jo ! Comment tu te repères ?
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– Tout est symétrique. Ce qu’il y a à gauche est à l’identique à ce qu’il y a à droite. Sous la passerelle effondrée, il y a des pavés. Autour les douves. D’un côté les arbres qui puent, de l’autre, les arbres perroquets. Qu’est-ce que tu veux de plus ? Le plan du métro ? Une série de colonnes en pierre s’alignent avec les colonnes en fonte restantes. Même si certaines manquent, on continue à percevoir la ligne d’ensemble. La grande salle des polygames black, tu sais ceux qui ont des scarification, est là. Moi, j’aime bien savoir où je crèche. J’ai trouvé une brochure qui racontait l’endroit. On est ici dans une architecture fonctionnelle semblable aux grandes gares parisiennes. Un squelette en fer et recouvert de pierres et de briques. Il occupe deux hectares de terrain. Il y avait 2 500 m² de verrières acoustiques dont il ne reste absolument rien. Et là charpente métallique de type Polonceau a aussi sauté. C’est la chape en béton qui a introduit une tension trop forte. Côté rue, tu verras une passerelle avec des cabanes dessus, des mômes avec des arcs, des lances, des sarbacanes. Côté cour, un échafaudage fait de portes arrachées, de câbles pour nouer les éléments, de tôles bariolées, d’échelles en corde. Pas mal de famille vivent dans les allées étroites derrières les grands piliers. Les murs y sont complètement couvert de plusieurs couches d’inscriptions, de tags, de grandes lettres en 3D, de graphes et même, à la hauteur des enfants, de graffiti à l’ancienne. C’est une halle de type Baltard avec un jour au centre, au-dessus d’un grand trou rempli de tentes, d’outres, d’igloo, un grand courant d’air chaud, des poutrelles tordues, des cabanes faites de grilles, des feux de camp, d’une roulotte sur pilotis, une femme qui pille du mil. Il y a pas mal d’arbres, surtout des robiniers, des frênes et des tilleuls dont les racines ont fait sauté le béton.

– Comment tu as fais pour avoir un tel vocabulaire à ton âge ?
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– Chez nous, on apprend à lire avant de marcher. Et tu sais que veux dire Joseph ?
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– Bhen, c’est un prénom…
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– Pauvre ignorante… Tout peut s’interpréter. Un homme qui a lu un livre cent et une fois n’est plus un homme qui l’a lu seulement cent fois. Tu verrais mon cousin ! Il est mille fois plus callé que moi ! Joseph est celui qui lit les songes. Et l’insurrection qui vient ! La réparation aussi, le tikkun. La Thora a été écrite avec du feu noir sur du feu blanc. Il appartient à chaque génération d’en donner sa version. Elle a soixante-dix faces, comme ici il y a soixante-dix langues et soixante-dix nations.
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– Comme tu te la joues. C’est dingue ça !
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– Chacun a une tache à accomplir. Moi, je suis passeur et c’est pour cela que je suis seul…
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. Un voile de tristesse lui noya les yeux. Ce fut fugitif. Il reprit rapidement :
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– Viens. On trisse !
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– Non. Réponds à mes questions. En quelle année tu as dit qu’on était ?
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– En 2048. Tu me l’as déjà demandé 18 fois. Qu’est-ce que ça peut te foutre l’année qu’on est ?
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– Je me suis endormie en 2008. Essaie de me comprendre ! Merde !
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– Ce que t’es lourde ma pauvre. Encore une maboule…
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– Mais c’est vrai ce que je te raconte. Les frangins m’ont pris comme cobaye. C’était encore 100% expérimental leur casque. Y avait que ça, un casque et un matelas. J’ai sombré dans un sommeil profond et maintenant je suis là.
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– Arrête de pleurnicher ! Tu connais rien alors ici ? Qu’est-ce qui te branche ?
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– Bi and Bi disaient que c’était sans danger. Quand t’es stagiaire dire non c’est pas évident. Il fallait juste enfiler le casque et se coucher sur un matelas neuf.
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– Tu me fatigues. Je pige rien à ton délire. On ne peut pas rester là. Faut qu’on bouge.
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– C’était quoi avant ici ?
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– Un putain de machin culturel. Paraît qu’il y a eu une crise en 2012 et que leur machin n’y a pas survécu…
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– C’était quoi cette douve qu’on a traversé ce matin ?
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– Une cour anglaise. Elle est en dessous du niveau de la mer. Paraît que c’est parce qu’il y avait des chevaux ici avant, pour évacuer la merde et tout le reste. On va passer par les écuries après. Je te monterai les anneaux où on attachait les chevaux.
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– En quelle année, tu dis qu’on est ?
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– Oh ! Lâche-moi avec ça ! Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. Il y a longtemps que la multitude innombrable d’hommes qui vivaient, s’agitaient, s’armaient, se haïssaient autour de ces monuments, n’est plus… Où régnait la foule et le bruit, il n’y a plus que le silence et la solitude.
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– Et tu connais Diderot en plus ! Et pourquoi pas Hubert Robert aussi pendant que tu y es.
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Eh bien, de ces puissants de la terre qui croyaient bâtir pour l’éternité, il ne reste de leurs travaux, de leurs énormes dépenses, de leurs grandes vues, que des débris qui servent d’asile à la partie la plus indigente, la plus malheureuse de l’espèce humaine, plus utiles en ruines qu’ils ne le furent dans leur première splendeur.

Heart Break Hotel.

Tout doit apparaître ! Les amis, nous soldons la totalité de vos frustrations à un prix défiant toute concurrence. Liquidez l’ensemble de vos macérations ! Vous n’oublierez jamais ses nouvelles sensations ! Attention, Heart Break Hotel doit impérativement être utilisées selon le mode d’emploi.

Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’était ? J’étais là bouche bée, devant cet abri posé en équilibre précaire entre deux murs et qui semblait instable, appuyé qu’il était sur un seul de ses coins comme un clébard qui aurait été dressé sur une seule de ses pattes arrières pour mendier une sucrerie ! Une chenille de fête foraine ? Un monolithe en érection ! Oui ! Absolument phallique, tout en angles, vaisseau cubiste, collier à pointes de punk. Curieuse, je me suis rapprochée de la chose. Une coque dure, résinée, complètement fermée sur elle-même, brillante de cent mille reflets dansants d’un étonnant bleu indigo ! Sur un mur écrit en épaisses et sobres de lettres sombres un texte détaillait les emplois possibles du Heart Break Hotel. C’était donc ça ! Une énorme Sanisette urbaine pour amoureux pressés. Ou pas pressé ? C’est selon… Ça pouvait se discuter. Moi qui sais des lais pour les reines/Les complaintes de mes années/Des hymnes d’esclave aux murènes/La romance du mal aimé/Et des chansons pour les sirènes. Decaux avait-il été enfin assassiné ? J’ai questionné deux minets qui passaient par là. Ils ne m’ont pas répondu. J’en avais rien à faire. J’ai l’habitude. C’est comme ça qu’en on vit trop longtemps toute seule. Personne ne vous voit plus. Ne faites pas cela ! Ne vivez pas seule ! Retournes chez toi, me répétais-je. Oublie la voix qui parle de jouissance ; c’est temps de violence ; que tu aies la jouissance ou pas ; tu es et tu resteras la frustrée de chez Frustrée and Co. Quelle bête difforme s’avance à croupetons vers Bethléem pour y naître ? J’aurai du écouter la voix qui me conseillait de rentrer chez moi ! Pourquoi est-ce que de nos jours, on ne fait plus confiance à ses intuitions ?
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L’un des modes d’emploi indiquait que pour payer et réserver, il fallait passer par le Net. J’ai appelé Richard. Il ne pouvait pas. Une minute plus tard, il m’a rappelé. Il avait réservé et il était déjà dans sa voiture. Ça m’a touché. Il me préférait à son travail. Un architecte !!! On s’est rencontré sur Meetic. Y a pas longtemps. On se voit pas souvent. Il est marié… C’est un ironiste. Je dis ça à cause du sourire qu’il a eu quand il m’a vue pour la première fois. Faut reconnaître que sur le site, je n’avais pas mis une photo de moi très récente… Jusque là, il avait été sympa. Nous n’avions fait que causer et nous prendre la main. J’ai été l’attendre au bistrot du coin. Ils passaient Karmacoma en boucle. Richard m’a rejoint. J’ai repris une vodka. Puis, ce fut l’heure. Richard fit le code, la porte s’ouvrit sans un bruit. Nous entrâmes dans la première capsule et la porte se referma derrière nous.

Réservez au Heart Break Hotel et vous ne verrez plus les points noirs de la vie. Sans danger si l’on a une hygiène corporelle rigoureuse.

C’est vide, totalement vide, glossy, chatoyant, blanc sur blanc, sans rien, absolument rien, pas de meuble, pas de canapé, pas de lit, pas de fauteuil, pas de bar – rien ! Voie lactée ô sœur lumineuse/Des blancs ruisseaux de Chanaan/Et des corps blancs des amoureuses/Nageurs morts suivrons-nous d’ahan/Ton cours vers d’autres nébuleuse.
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– Tu es mariée toi aussi ? me demanda-t-il pour la première fois depuis qu’on se connaissait.
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Que je lui aie donné rendez-vous ici l’intriguait.
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– Non ! Ai-je à ce point-là l’air d’une aventurière qui cherche un cinq à sept ?
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– Pourquoi es-tu ici alors ? Et pourquoi m’avoir téléphoné ? A moi !
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– J’ai vu une cartomancienne.
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– Tu crois aux cartes ?
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– Oui. C’est parce que j’ai peur de tout : des oiseaux, de l’orage, des ascenseurs, des aiguilles et maintenant, j’ai même peur d’être ici avec toi. J’aurai aimé donner ma vie à un homme, adoré mourir d’amour. Tu sais comment sont les hommes : ils aiment qu’on les aime ! Ils ont peur de se donner à fond, d’être marquée ; ils aiment à moitié. Ils s’économisent… Pour eux, leur corps est comme une chose. Ce n’est pas leur vie. C’est pour ça que je ne me suis jamais donnée complètement. J’ai toujours eu peur de me faire avoir.
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– Tu as une jolie bague.
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– Elle est toute simple : une perle et un crapaud.
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– Comme toi et moi !
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– Tu parles d’une perle ! Ne te fie pas à ma figure de poupée, à mon air de blonde aseptisée ; au fond de moi, je suis archi usée. Sur cette figure, on ne peut pas lire ma peur. Tout le monde me regarde et moi, qui est-ce que je regarde ?
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Je m’écroule à ses pieds ! Il rit ! Comme il s’amuse, ce bâtard !
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– Voyons Richard, sois un peu sérieux, lui répétais-je en pouffant moi aussi. Et cesse de grincer des dents, s’il te plaît !

Ravivez vos sentiments ternis au Heart Break Hotel, le nouvel environnement technologique miracle, extra désirant, facile à appliquer, anti-renoncement. Entièrement inoffensif s’il est utilisé conformément au mode d’emploi.

Je n’en revenais pas. Ce n’était ni rococo ni kitch ; c’était la classique boite blanche. Le seul élément de mobilier était des échelons métaliques revétis d’une gaine caoutchouc, dont le contact donnait une sensation similaire au grip de raquette de tennis. L’aspect neigeux des parois et des sols donnait un caractère paisible à l’endroit. On resta là, un moment assis sans plus parler, à humer l’air conditionné. On se détendait enfin. Nous avions assez vite constaté que certains endroits offraient une surface rigide, dure et que dans d’autres, on pouvait s’enfoncer profondément, qu’ils étaient moelleux, accueillants et donc un peu angoissants. J’avais l’impression d’être au bord d’une falaise. Lui se sentait pris dans un tourbillon, emporté dans une mer lointaine. Un vortex ! s’exclama-t-il. La chaleur était douce et, avant de monter nous laissâmes là nos vestes et manteaux. Mais à chaque fois qu’on tentait de se lever, on riait bêtement, on recommençait à se caresser et à s’embrasser. Il était encore un peu tendu et je l’observais scrutant le sol, les coins à la recherche, non pas malheureusement du temps perdu, mais de saletés imaginaires. Il n’aimait pas les coins et les recoins. Et Dieu sait s’il y en avait, des coins et des recoins ! On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté, me dit-il. Le premier espace, celui où nous étions, espace vaguement utérin, était la chambre de drague et de flirt : ainsi que je devais l’apprendre plus tard, après l’incident, nous y respirions du protoxyde d’azote, agissant sur les synapses, provoquant euphorie et joie. Des phéromones ou des allomones ? Quelle importance ! Ca modifiait tout chez lui, son comportement bien sûr mais aussi sa tête et son corps, sa façon de le tenir plus ou moins loin de lui cette saleté géniale de corps ! Il m’embrassait les genoux. Je le repoussais, pas trop, juste un peu.
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– J’adore l’étoffe de ta robe ! me confia-t-il. C’est quoi ?
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– Une sorte de laine mohair…
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– Je vais te dévorer !
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Il s’essayait à l’humour, à la spontanéité, et cela avec tellement de maladresse, que je me rendis compte que ce qui se distillait là dans l’air, la vache !, c’était du sérieux ! Il marmonnait des mots sans suite : Quelle est belle ! La chienne ! Quelle chatte ! Je l’aidais à se relever et lui dis :
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– Viens ! Changeons d’air.

Inutile d’astiquer votre homme pendant des heures ; il vous éblouira au premier coup d’œil. Pratiqué conformément au mode d’emploi, Heart Break Hotel procure un sommeil ininterrompu garanti sans torpeur matinale. Vous vous réveillerez frais et dispo, prêt à affronter tous vos problèmes.

Ce qu’on avait respiré, nous avait détendu. Ou était-ce les formes elles-mêmes qui généraient l’état dans lequel nous étions ? La luminosité, la redécouverte d’un contact tactile, un certain climat intérieur…
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La montée l’avait un peu dégrisé. Il tentait de recréer son habituel distance toute tissée de civilités archaïques. Je ne sais pas vous mais moi j’adore ça. Ah, la politesse, la décence, la pudeur… Qu’est-ce que ça m’excite ! Whaaaaouw ! ça me fait grimper aux rideaux. Bon, là, des rideaux, il n’y en avaient pas. Vous voyez le tableau ? Pas de fenêtre, pas de rideau !
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Il me questionnais à nouveau.
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– Comment peux-tu rester aussi oisive dans la vie ?
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– Je fais des choses !
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– Quoi comme chose ?
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– Je rêvasse… Je lis un peu… Je marche. Oui, j’aime bien marcher.
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– En quoi crois-tu ?
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– En rien. Pourquoi ?
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– Ah comme ça… Tu sais à la fin des années vingt à New York, Samuel Lionel Rothafel, dit Roxy, le génial animateur du Radio City Music Hall, avec sa parfaite compréhension des ressources de la technologie du fantasme avait déjà remis en question l’utilisation traditionnelle du système de climatisation, limitée à la ventilation et au refroidissement. Ce petit malin avait ajouté des gaz hallucinogènes à l’atmosphère de sa salle de théâtre – un ravissement synthétique venant compléter le bonheur du public.
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– Et ça marchait ?
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– Oui. C’est utilisé fréquemment maintenant dans les jeux télévisés. Une petite dose de gaz hilarant suffit à rendre les spectateurs euphoriques et hyper réceptifs au show proposé. Il suffit d’injecter de l’ozone, la molécule thérapeutique 03 à l’odeur forte et rafraîchissante et à l’effet hilarant, dans le système de climatisation. Le vertige se substitue alors au simulacre et comme en avertit la cabale, à jouer au fantôme, on le devient, conclut-il en frissonnant.
Puis il rit de moi, de mon air godiche ! Je vais aboyer de bonheur ! Je ne pèse plus rien !
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N’a-t-il jamais été ivre de lui-même ? N’a-t-il jamais chanté sous la douche ? Comment répondre autre chose que oui aux deux questions ? Pourquoi est-ce qu’on se débecte bien plus qu’on ne s’attire.

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Heart Break Hotel possède tous les arômes de l’amour. Votre mari vous dira : « Chérie, je trouvais ton amour comme ci comme ça ; mais maintenant… miam, quel régal ! » Ne pas dépasser le temps prescrit.

La seconde pièce était un espace d’amour et d’activité sexuelle, pleines de signaux olfactifs, d’hormones volatiles et phéromones synthétiques. Tous ces produits, cette pharmacopée française – le coq gaulois n’a plus la gaule ; pauvre, pauvre, petit gallinacé – sur le moment, j’en ignorais tout, absolument tout. De nature, je suis plutôt joueuse et moi quand je joue, je joue ! Ah tautologie, mon amour ! Il a ôté son pantalon et c’est éloigné de moi pour le plier soigneusement. Il a enlevé ses boutons de manchette en argent et les a posé sur son pantalon. Ses chaussettes en soie, il les a glissées dans ses splendides chaussures italiennes. Son caleçon Calvin Klein, son marcel, sa chemise blanche, tout, il a tout plié et tout rangé. Brusquement un goût d’ail a surgit dans ma bouche ! Il était imberbe, avec une peau d’asiatique à la couleur cadavérique et ses genoux étaient arqués comme des cuisses de grenouille ! Un Love Hôtel, est-ce un espace banal qu’on a transformé en zone d’inquiétude ? me demandais-je ? Des chuchotements… Une secte ? Ses yeux cristallins : un cercle violacé ! Ses joues étaient creuses et un muscle se contractait spasmodiquement sur une pommette. La peau de son front brillait ! Il y avait un énorme poil frisé à terre et de drôles de traces blanches. Heureusement, j’ai eu le bon réflexe : j’ai posé ma robe dessus. Je devais l’embrasser ! Et sur la bouche ! Je me remémorais les paroles du Précurseur : Loué soit le Régresseur en qui réside toute réalité et de qui découle toute vérité ! Ô toi qui fluidifies le temps, que loué sois à jamais ton nom ! Eh oui ! Le moi ténébreux se cache à l’excès du moi lumineux. J’étais hypnotisé par son ventre pendant. Il surprit mon regard, baissa les yeux, les releva, vit que j’essayais de sourire et éclata d’un rire grêle. Allongé dans l’obscurité, ou est-ce simplement les yeux fermés, je ne sais plus, une épaisse barre d’acier m’étreignant le ventre. Mon cœur battait plus vite. Ma respiration était rauque. Pourtant, je n’éprouvais rien. Le moment culminant. Une simple réaction mécanique… Une zone engourdie, glacée, insensible. Rougir, pâlir, vouloir dire puis laisser glisser. Quel dommage pour mes seins opulents dont l’auréole est du même incarnat que mes lèvres si charnelles… Un visage blanc barré du trait rouge de la bouche en dessous d’un halo de cheveux blonds. Je restais muette, sèche. Sa phobie du contact peau à peau, son horreur de la saleté, ses maniaqueries déteignaient sur moi. Je ris. C’était comme un tic nerveux. Pour dissimuler ma confusion, je fis le geste d’allumer une cigarette. Hélas, comme tant d’autres choses dans la vie, c’était interdit… Il fallait rester en bonne santé ! Quelle paranoïa de dingue ! Et surtout ici avec tous ces recoins si peu propices à un entretien approfondi…
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– Toutes les heures du personnel vient nettoyer, lui répétais-je. C’est indiqué sur les affichettes dehors. Après chaque usage, il faut quelqu’un qui lave. A la main !
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Moi, j’aurai bien remis ça. mais je n’osais pas lui demander s’il avait une boîte de Viagra sur lui. Ce n’est pas aux filles de s’occuper de ça, non ?
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– On est dans la sécrétion là ! grogna-t-il. Dans une grotte, dans le Doubs, chez Gustave Courbet ! Saleté de réalisme !
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Il s’approchait de moi et… Je disparus, submergé. La douce pression de sa poitrine, la fermeté de ses mains, la suavité de ses lèvres et tant de larmes qui n’arrivaient pas à sortir. Je voulais me moucher mais j’étais comme paralysé. Quelle extase ! Il me serrait très fort contre lui et ce n’était pas très agréable. Quel enfant ! J’étouffais. Je toussotais discrètement. Il relâcha sa pression et tout repartit entre nous à nouveau…
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– Et ton corps ? Tu le ressens parfois ? lui demandais en l’attirant sur moi.
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A l’instant même, l’esprit de l’enfer s’éveilla en lui et fit rage. Chaque coup asséné m’était un délice, et il malmenait mon corps inerte avec des transports d’allégresse. Ce délirant paroxysme n’avait pas cessé, et la fatigue commençait déjà à m’envahir, lorsque soudain un frisson d’épouvante me transit le cœur. Un brouillard se dissipa, me montrant ma vie perdue, et à la fois exultante et tremblante, avec mon goût du mal réjoui et stimulé, et mon amour de la vie porté au suprême degré. Il y avait dans mes sensations un je ne sais quoi d’étrange, d’indiciblement neuf, et aussi, grâce à cette nouveauté même, d’incroyablement exquis. Je me sentais plus jeune, plus légère, plus heureuse ; c’était en moi un effrénément capiteux, un flot désordonné d’images sensuelles traversant mon imagination comme du sang neuf, un détachement des obligations du devoir. Je me sentis dix fois plus légère ! Une plume !

Le meilleur moyen de dire stop à la continence : Heart Break Hotel ! Faites notre test vérité ! Comme les amants du monde entier, sortez de votre routine en essayant Heart Break Hotel ! Le germinicide de la misère sexuelle, la pause des couples joyeux, exquis jusqu’à la dernière des nausées ! Ne pas dépasser la dose conseillée.

Il a recommencé à blablater. Bordel, je bous de rage et personne ne s’en aperçoit. Comment est-ce possible ? Je suis une irréductible. Personne ne le sait. Il travaille, ok, mais que pourrait-il faire d’autre ? Les apolliniens blahblahblah, les dionysiens blahblahblah, la métamorphose, blahblahblah. Il était hystérique, tellement enfermé dans son rôle ! Il se transformait sans cesse, comme une nappe de musique dans une boîte tard dans la nuit.

Votre compagnon est sec et cassant, il est infréquentable. En pareil cas que peut faire une femme. C’est très simple : emmenez-le au Heart Break Hotel. En une seule séance il redeviendra soyeux et robuste. Utilisé selon le mode d’emploi est absolument sans danger.

D’après la notice, comme je l’appris après, le troisième volume était censé être un espace de réconfort où étaient diffusé des antidépresseurs et des anxiolytiques agissant sur les neurotransmetteurs. C’était l’espace post-coïtum Nous étions pur récepteur d’une information chimique. Assis, détendus et relâchés, dans une architecture sans détour ni délai. Pour éviter le contact avec le sol, Richard s’était appuyé sur nos vêtements et c’est sans doute là que tout s’est mis à dysfonctionner. Sommes-nous passés trop vite d’une pièce à l’autre ? Etait-ce à cause d’un tissu allergène, ma robe en laine mohair, ou d’un composé volatil qui est devenu gazeux, une brûlure de contact ? Comment expliquer autrement son brusque arrêt cardiaque ? Le bas de nos corps disparaissait dans une épaisse fumée. L’avocat dit que tout ça en est encore au stade expérimental et que les produits se sont mélangés. Des nano particules ? Des nano vecteur de la 3è génération, à tête chercheuse, capables de reconnaître leur cible ? C’est ce que l’enquête devra déterminer…

Si vous dites à votre femme : « Chérie, je ne me sens pas bien pas bien, je paye trop d’impôts ». Vite, qu’elle vous emmène au Heart Break Hotel ! En un clin d’œil, vous serez remis sur pied. Utilisé conformément au mode d’emploi, Heart Break Hotel soulage vos migraines et vos crampes d’estomac. Eviter tout usage prolongé.

Et après je ne sais plus. Ce n’était plus moi. Il ne bougeait plus. Je suis resté vautré à côté de lui. Je ne lui ai pas touché les cheveux ni rien d’autre… Je n’attendais pas non plus. J’étais vide. Une fugue… C’est tout ce que je voulais vous dire. Je vois bien qu’à vous yeux j’ai zéro crédibilité, alors autant vous l’avouer tout de suite : ça valait le coup. Je ne regrette rien ! L’injuste en moi a suivit sa voie, libéré des aspirations et des remords de son jumeau supérieur ; et le juste a enfin fermé sa grande gueule. C’est pour le châtiment du petit homme que cet incohérent diptyque a été réuni de la sorte – que dans l’antre obscur de la conscience, ces Caïn et Abel sont ainsi en lutte perpétuelle.

L’avocat prétend que nous avons inhalé un véritable cocktail toxique : des parabens, des conservateurs soupçonnés depuis 2004 d’interférer avec le système hormonal ; des éthers de glycol, de l’acide éthylène diamine tétraacétique – un stabilisateur de produits suspecté de rendre stérile, du Bisphénol A qui entre dans la composition des diffuseurs et est classé au Canada substance toxique. Mais à mon avis, sa crise n’a pas été provoquée par l’exposition à ses diverses substances chimiques ! Elle est due à une trop brusque arrivée de bonheur dans sa tête de petite chose malade et décadente ! L’homme est fondamentalement un animal mélancolique. Et là, faut y aller mollo. Arraché d’un coup peut le tuer ! Ils n’ont plus d’appétit, plus aucun appétit ! Ils tiennent plus à leur angoisse qu’à eux-mêmes. Purée d’hémiplégie ! Va-t-il y passer, va-t-il rester handicapé, va-t-il s’en sortir ? Qui le sait ? Hein ? Qui le sait ?
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Cours, cours Richard, la fille sera pour toi… Run, run, run !

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