Au temps du cirque de la pitié

Texte de Zoheir Mefti, 2012

En voulant faire que l’image soit plus qu’une image, ON en a fait moins qu’une image. L’image militante

« L’image est une arme ! »

Les impérialismes (soviétique et américain) ont tout fait pour entériner cette idée

« Les Soviétiques ont fait des films martyrs,
les Américains des films publicitaires »

Hollywood a vendu des Cadillac dans les rues de San Francisco
Mosfilm des idéaux sur les marches d’Odessa

« L’image est une arme ! »

Une armée d’images.

Un ordre d’images.

Transmission.

Exécution.

Plus tard, après la capitulation prévisible due au logique effacement des lignes de démarcations censées déterminer l’ennemi ainsi que les outils à façonner en vue d’une guerre sans merci contre lui, les masques tombèrent d’eux-mêmes

Dans une exposition d’art-dit-militant, la conceptualisation purement discursive – puisqu’elle n’est que cela – de la lutte espère asseoir autrement son sujet. Face à ces tableaux (reproductions jusque dans les moindres détails de photos de charniers, d’ouvriers dépossédés, de sans-papiers expulsés, etc.) et installations (mannequins couleur chair dans des postures d’agonie rouge sang, etc.), ornés de paroles au débit cadencé et à la précision opaque, le spectateur se découvre un intérêt fécond devant le simulacre. Le voilà qui – en dépit du fait que les codes de décryptage lui aient été livrés au préalable à l’entrée de la galerie – se penche pour en vérifier le grain, scrute minutieusement la mèche de cheveux, braque son odorat en quête d’une essence, tente souvent de toucher pour y retrouver la réalité d’une sensation ; bref, d’en déjouer le mystère avec la pieuse acuité de l’éternel coupable (puisque tout son épanouissement humaniste n’est véritablement mû que par ce seul sentiment). Évidemment, il n’y en a pas. Il pleure sans trop y croire, s’indigne et vote, prend acte de ce monceau d’images présentes, mais sans vie parmi lequel il gît de tout son être dénié. Lui-même, à la fois regardeur, image et légende par-dessous, devient le slogan qui invite chez lui toute la misère du monde afin qu’éclosent les supposés effets de changement susceptibles d’en découler, le tout sous le signe de la connaissance, celle-ci étant posée comme intrinsèque au désir de changement. La sémantique militaire lâche son képi et glisse vers le vocable signalétique.

Bien plus tard, après la réconciliation, militants-coupables et militants-banquiers finirent par sceller définitivement le pacte de sang qui allait enfin consacrer leur macabre foi misérabiliste

Critique du spectacle par le spectacle, critique de la critique de la critique… Vertige. Tourbillon dont l’entrée d’air est elle-même actualisation exponentielle de l’effet de culpabilité où toute action semble d’emblée annihilée par la vulgate impériale, elle en serait le souffle vital, car elle mêle les genres. Double sentence toujours renouvelable car tirant ses racines du même paradigme critique duquel elle modèle ses armes tout en entonnant le démantèlement des segments qui fécondent celle-ci : mélancolie (ou désenchantement, c’est selon) de gauche – « toute subversion obéit à la loi marchande » – tout en formulant d’une verve à l’hystérie inconsolable son grand désarroi face aux « horribles crimes du capitalisme ».

L’image présente, mais sans plus de nécessité.

Ils voulaient TOUT ou RIEN. Ils choisirent RIEN. « L’image n’est rien ! »

Telle fut l’histoire des Militanti

Tétant goulûment les mamelles de l’ogresse

Ainsi jusqu’à s’éteindre

Un à un

dans l’oubli froid

Sous le chapiteau de leur triste cirque

Nul ne les pleura…

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