ALLEGRO, chant sur la mature immaturité, accompagné d’un texte, émeute nihiliste.

Texte de Yves Tenret, 1978

Images tirées du film Allegro de Véronique Goël
1979

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nous en sommes là. dans ses fins de choses, ses fins finissantes, plus de douleur et encore des mots pour la dire. plus de complaisance, plus de dupes, saoul encore, de temps à autre, des liqueurs de la fente. au bout d’un monde et de ses anecdotes et de son esthétisme. les derniers bourgeois raffinés ont disparu depuis longtemps. deux, trois provocateurs traînent encore par là. la banalité est devenue l’originalité absolue. les gens se posent tous des questions essentielles. il est environ neuf heures du soir : c’est la fin de novembre, temps de dégel, humidité et brumes. quêter, quelle dérive, |celle des fous? il n’y en a plus. ils ont, dans leur village de pêcheurs, des |impressions de dernier carré, ils se sentent les derniers sans pouvoir dire de quoi. les derniers ? ce n’est pourtant pas la fin du monde. celui-ci n’a jamais si bien tourné, chaque chose semble à sa place et sans doute y est. cela les rend pessimistes. comme un : « redressez-vous » ou une question sur le sens. dans ce temps secondaire, ils fuient, filent, glissent. leurs corps sont fourrure, leurs mains pataudes, courtes, aux ongles mangés. leurs doigts aux bouts rêches s’assouplissent. sans tensions, sans angoisses, incarcérés. je vis seul chez moi avec mes bouquins pornos. nous sommes heureux. un vaste processus, m’englobant, de reclassement général est en cours. il faut, bien sûr, être méritant pour y participer. je m’accorde très peu de loisirs. et tant de cruauté nécessaire perdue, sourds et lourds. êtres de nuit. nuitantre et noctanter. à nuitée. elle a les yeux fermés, les sourcils épilés. facile. même dans sa noctantation passionnelle et complètement nécrotique, il reste raide. comme, quand même au fond de cette béance, cette sensation de… à l’instant, à l’instar de ceux qui peuvent réfracter ou dilater la pupille. oh ! restons calme. pas besoin d’hallucinogène. la naissance suffit largement. la concrétion est dense, arthritique, mais à côté du flou, du non-saisissable, du jour, nous sommes bien dans ce sommeil, bien de pouvoir nous fondre de chaque pouce de peau dans le coagulant, dans l’épais. l’expliciter, l’assigner, ce stable, ce statique. les yeux caves, concaves, travestis, déments. des mots. un sinus purulent, décrispé, hyperréel. les mimiques de soi à soi mais peut-être n’est-ce pas le pour-soi qui entretient la lampe de ce spectacle-là. une goutte de sang. perte de vie. éclatement. communauté du sommeil. pas un bruit. la brume se dissipe, la lune apparaît. comme la neige peut-être. la joie la plus franche, sans arrière-goût, la fatigue aussi, trop marché. on se couche. on s’endort. le doux et gentil maçon me parle chaque soir de la misère du monde. la lumière tamisée, la radio crépitante nous achèvent. jusqu’au cou dans le désespoir, périphéries. restez vigilants ! tant d’accusations restent en l’air, tant de censures. tant d’impératifs. activistes de la maîtrise de soi : soyez impassibles ! dans une recherche haletante d’une dynamique qui épure, ça fout. ça s’applique, c’est inquiet, c’est puissant, c’est exquis, désordonné et ordonné, serein en plus. demain je ne ferai plus la suite des coutumes. douce puis molle, elle s’émousse lourdement. ils s’étendent. accalmie. un revers de fortune est la raison de cette angoisse. je le vois soudain : j’aurais à travailler. elle dort, sortie enfin de la récrimination.

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tout est large, ouvert, détérioré, mutilé, sali, taché, portant des marques. tout le monde a l’esprit confus, non perspicace, moi seul ai l’esprit confus. c’est paradoxal. c’est l’intensité, sans intention, sans but précis, qui passe. se méfier de la répétition compulsive tout comme du voyeurisme morose. « et que je dise ou cela ou autre chose, peu importe vraiment. dire, c’est inventer. faux comme de juste, on n’invente rien, on croit inventer, s’échapper, on ne fait que balbutier sa leçon, des bribes d’un pensum appris et oublié, la vie sans larmes, telle qu’on la pleure. et puis, merde ! » effarant tribunal subjectif du subjectif, la parole sèche, dure, en averse. résister au futile, un peu, puis s’abandonner, chaque bouffée a un goût de dernier plaisir arraché. testament. il me regarde. il est insoutenable. le sourire plié. son corps bourré d’euphorisants. « ça va petit? » « ça va petit? » question de prosodie. une réminiscence. désimpliquer l’individu, voilà ce qu’ils nous ont appris. pas de quoi s’étonner si nous nous sentons paumés. entre parenthèses, pour ceux qui cherchent la prime, la séduction est dans le récit. exclusion. inclusion. j’ai froid, la fumée, la mort. donc : je tourne. pas le réfèrent ultime. simplement des renseignements. on perd la forme. la litote. et la métaphore utilisant des fourmis rouges l’ont-ils faite ? termites rouges. fourmis rouges décadentes. une situation cela se produit, se travaille. les sombres-taciturnes alternent avec les clairets-bruyants, tout semble bien réglé, le non-plein, pourquoi le monde ? par goût du jeu. où est le noeud ? mais comment se crée la moins value ? l’obscur, une introduction, mouvante donc réelle, extérieure au sujet, qui, en soulignant certaines particularités du point de vue adopté, en prévenant de fausses interprétations en dessinant à grands traits d’abord, disposerait à l’habitude. soyez naïfs. cinq minutes. je fonds. un minuscule échassier, noir, courbé, avance en se balançant : « ne vous enfantez pas… » fasciné par la dose. fin d’un bluff. l’histoire doit avoir un sens. il pleut, il pleut depuis un moment. il n’y a plus de gorge sans eau. il n’y a plus de femmes infidèles, ni même de femmes du tout. ni d’hommes non plus. et l’or de leurs corps., assis sur un banc, je regarde passer les voitures. j’étire au maximum un matériel pauvre. l’un d’eux poussait des cris, vibrant dans sa chemise à raies rouges et violettes, et se frappait la poitrine. frappe, frappe, pensais-je. Dommage qu’il y ait des contraintes, un autre se pâmait. ils sortaient tous du dilettantisme. l’usage se transforme en inventaire, hurler, pourquoi ? de même à quoi bon l’iconoclastie et se sentir tellement opprimé et incontrôlable ? à ce moment il aperçut un utopiste, légions dans ces régions de pêche et le héla. spécifique et autonome. majestueux et dodu. la pluie rendait nos rapports poisseux, stéréotypés. on en causait quelques fois. mais pas pour désavouer un parcours, ni le surpeuplement. simple exégèse de biens symboliques, plutôt, oh ! rien de prestigieux. vide. pluriel. charmant. rien d’inouï. mais canoniser quand même. vaguement tueur de poux ou coupeur d’algues. la règle de convertibilité en quelque sorte. un mégalomane de temps à autre. l’un d’eux, grand frisé souriant, me paya d’ailleurs un café dans l’espoir que je lui donne le mot. le maux. gratifiant, non? le peuple ne donne ni ambassades, ni chaires, ni pensions. moi de même. céder de la consistance est impossible. miroir. le mot de plus : « impossible ». j’étais au bout, à la jointure. le front de mer était barré de cadavres. chacun donnait qui un avis, qui un sentiment, qui une opinion là-dessus. c’était désagréable. la chair, la sensualité n’y avait aucune place. parfois, un rien de libido, cela me faisait rire. une libido bilieuse, maussade, mélancolique. une foule désemparée, emportée. des malins. le deuil fut un analgésique. ce ne fut pas long. il fallait en finir, les insulter tous. ma décision d’en finir, je la pris d’un coup. dans la nuit. seul, gentil, pliant mon or. discret de moi.

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ANDANTE, chant sur la mature immaturité, accompagné d’un texte, émeute nihiliste.

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